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Certainement, répondit le Dr Rowell en souriant, et ce n'est pas autre chose.

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C'est bien un poignard, intervint Arnold d'une voix faible.
Avez-vous vu la lame? demanda vivement Entrefort.
Oui... un instant.

Entrefort lança un regard au Dr Rowell et murmura :

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Alors ce n'est pas une tentative de suicide.

Le Dr Rowell parut embarrassé et ne répondit pas.

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Je me vois obligé de ne pas partager votre opinion, messieurs, remarqua tranquillement Entrefort. Ce n'est pas un poignard.

Il examina la poignée de très près. Non seulement la lame était complètement cachée aux regards, plongée qu'elle était toute dans le corps d'Arnold, mais encore le coup avait été porté avec tant de violence que la peau était déprimée autour de la garde.

Le fait que ce ne soit pas un poignard entraînc une curicuse série d'éventualités et de conjectures imprévues, poursuivit Entrefort avec calme, dont quelques-unes, autant que je puisse être renseigné, sont tout à fait nouvelles dans l'histoire de la chirurgie.

Une expression où se mêlaient manifestement l'ironie et l'intérêt, se jouait sur la physionomie du Dr Rowell.

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Quelle est donc cette arme, docteur? demanda-t-il.

- Un stylet.

Arnold tressaillit. Le Dr Rowell parut confus.

- Je dois avouer, dit-il, mon ignorance absolue de la différence qui existe entre ces armes de pénétration, kriss, dagues, stylets, poignards ou couteaux catalans.

- A l'exception du stylet, expliqua Entrefort, toutes les armes que vous citez là, sont à un ou deux tranchants et pénétrent en se taillant leur route. Le stylet cst rond, n'a généralement qu'un demi-pouce environ, et même moins, de diamètre à la garde et s'effile en une pointe aiguë. Il ne pénètre qu'en refoulant les tissus de tous côtés. Vous saisissez bien l'importance du fait.

Le Dr Rowell hocha la tête en signe d'assentiment.

Comment savez-vous que c'est un stylet, docteur Entrefort? demandai-je.

La taille de ces pierres est l'œuvre de lapidaires italiens, répliqua-t-il, et elles ont été montées à Gênes. Voyez encore la garde: elle est beaucoup plus large et plus courte que celle d'une arme tranchante. Cette arme-ci date de quatre cents ans, et ne serait pas payée trop cher vingt mille florins. Remarquez aussi ces bleus sur la poitrine de votre ami dans le voisinage immédiat de la garde : cela nous indique que les tissus ont été contusionnés par la pression de la «< lame », si je puis employer ce mot.

Que peut me faire tout cela? demanda le mourant.

Peut-être beaucoup et peut-être rien. Cela jette une lueur d'espoir sur votre situation désespérée.

Les yeux d'Arnold brillèrent et il retint son souffle. Un frémissement

l'agita, que je sentis passer dans sa main qui pressait la mienne. La vie après tout lui était douce, elle était douce à ce garçon hardi et résolu qui venait avec tant de calme de regarder la mort en face.

Le Dr Rowell, sans laisser voir un seul symptôme de jalousie, ne put pourtant dissimuler un regard d'incrédulité.

- Avec votre permission, dit Entrefort s'adressant à Arnold, je tenterai ce que je puis pour vous sauver.

Faites, dit le malheureux.

Mais je vais vous faire souffrir.

C'est bien.

Beaucoup peut-être.

- C'est bien.

Et si je réussis (j'ai une chance sur mille), vous ne serez jamais complètement solide. Un danger terrible vous guettera constam

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Entrefort écrivit un mot qu'en toute hâte il fit porter par un domestique.

Pour l'instant, reprit-il, toute secousse mettrait votre vie en danger, et cette cause peut d'ici à quelques minutes ou dans des heures amener la mort. Occupez-vous sans retard des affaires que vous désircriez régler, et le Dr Rowell, ajouta-t-il se tournant vers ce dernier, va vous ordonner un fortifiant. Je vous parle net, car je vois que vous êtes un homme d'une rare énergie. Ai-je tort?

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Parlez en toute franchise, dit Arnold.

Le Dr Rowell rédigea une ordonnance. Avec un zèle irréfléchi, j'interrogeai Entrefort:

N'y a-t-il pas de danger de trismus ?

Non, répondit-il, la lésion des nerfs périphériques n'est pas suffisante pour entraîner le tétanos traumatique.

Je me tus. On apporta la potion du Dr Rowell et j'en administrai une dose au blessé. Le médecin et le chirurgien se retirèrent alors, tandis qu'Arnold mettait ordre à ses affaires. Quand ce fut fini, il me demanda :

Qu'est-ce que ce fou de français va me faire? - Je n'en ai pas la moindre idée; sois patient.

Au bout d'une heure, ils revenaient accompagnés d'un grand jeune homme qui portait dans un tablier tout un attirail d'instruments et qui, évidemment peu habitué à de parcilles scènes, devint atrocement pâle. Les yeux fixes, la bouche grande ouverte, il battit en retraite vers la porte, balbutiant :

-

Je... je ne pourrai jamais.

Allons done! Hippolyte ! Vous n'êtes pas un enfant. Voyons, mon ami, c'est un cas de vic ou de mort.

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Je ne suis pas mort, en tout cas! » murmura-t-il. — Je... je vous demande pardon, dit Hippolyte.

Le Dr Entrefort fit boire à l'impressionnable jeune homme un verre de cognac et dit :

Allons, plus d'enfantillage, mon ami... il faut que ça se fasse. Messieurs, permettez-moi de vous présenter M. Hippolyte, l'un des praticiens les plus originaux, les plus ingénieux et les plus adroits du pays.

Hippolyte, étant modeste, s'inclina en rougissant. Afin de dissimuler sa confusion, il déroula son tablier sur la table avec un grand cliquetis d'instruments.

- J'ai à prendre quelques dispositions avant que vous commenciez, Hippolyte, et je désire que vous m'observiez pour vous habituer non seulement à la vue du sang, mais aussi, ce qui est plus pénible, à son odeur.

Hippolyte frissonna. Entrefort ouvrit un étui d'instruments de chirurgie.

Maintenant, docteur, le chloroforme, dit-il en s'adressant au Dr Rowell.

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Je n'en veux pas, interrompit vivement le blessé ; je veux me voir mourir.

Fort bien, dit Entrefort, mais vous n'avez guère d'énergie à perdre. Nous pouvons cependant essayer sans chloroforme. Cela vaudra mème mieux. Faites en sorte de rester inmobile tandis que je coupe.

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-Très bien alors. La pointe du stylet a entièrement traversé l'aorte, grand vaisseau partant du cœur et portant aux artères le sang oxygéné. Si je retirais l'arme, le sang jaillirait par les deux perforations de l'aorte et vous seriez mort en quelques instants. Si l'arme avait été un couteau, les tissus entamés auraient cédé et le sang se serait frayé une route de chaque côté de la lame : d'où, la mort. En l'état actuel, pas une goutte de sang n'a passé de l'aorte dans la cavité thoracique. Tout ce qu'il nous reste à faire, c'est maintenant de permettre au stylet de séjourner définitivement dans l'aorte. Plusieurs difficultés se présentent à la fois, et je ne suis pas étonné du regard de surprise et d'incrédulité du Dr Rowell.

Son confrère sourit et hocha la tête.

C'est un risque terrible, continua Entrefort, et un cas nouveau en chirurgie; mais là est notre seul espoir. Le point important, c'est que l'arme soit un stylet, arme bête, bien heureusement pour nous à cette heure. Si l'assassin avait eu plus d'expérience, elle cût employé...

A cet emploi du mot «< assassin » et du mot « elle ». Arnold et moi, nous fîmes un brusque mouvement et je lui criai de s'arrêter. Laisse-le poursuivre, dit Arnold qui, par un remarquable effort, s'était calmé.

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- Je m'arrête, si le sujet vous est pénible, dit Entrefort.

Il ne l'est pas, déclara Arnold. D'où vient pourtant que vous pensiez que le coup ait été porté par une femme?

- D'abord, parce qu'un homme capable d'un meurtre ne se servirait pas d'une arme aussi riche et de pareille valeur; ensuite, il n'est pas d'homme assez imbécile pour employer un instrument aussi suranné et insuffisant qu'un stylet, quand on peut si aisément se procurer la plus meurtrière et la plus satisfaisante de toutes les armes de pénétration, le couteau catalan. C'était aussi une femme vigoureuse, car il faut une main solide pour plonger un stylet jusqu'à la garde, même en manquant le sternum de l'épaisseur d'un cheveu et en glissant entre les côtes, car ici les muscles sont durs et l'espace intercostal étroit. C'était non seulement une femme vigoureuse, mais encore une femme furieuse.

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Ça suffit, interrompit Arnold.

Il me fit signe de me pencher vers lui.

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:

Il te faudra surveiller cet homme il est trop intelligent; il est dangereux.

:

Maintenant, reprit Entrefort, je vous dirai donc ce que je veux faire. Il y aura sans nul doute inflammation de l'aorte. Si cette inflammation persistait, elle entraînerait un anévrisme fatal par la rupture des parois aortiques. Mais, avec l'aide de votre jeunesse et de votre santé, nous espérons l'entraver... Il est une seconde difficulté sérieuse à chaque inhalation, le thorax entier (ou charpente osseuse de la poitrine) se dilate considérablement; l'aorte reste stationnaire. Vous comprendrez donc que, l'aorte et la poitrine étant désormais maintenues en relation étroite par le stylet, la poitrine, à chaque inhalation, déplace l'aorte d'un demi pouce environ. Je suis certain du fait, parce qu'il n'y a aucune indication d'un épanchement de sang artériel dans la cavité thoracique; en d'autres termes, les lèvres des deux blessures aortiques se sont resserrées sur la lame et l'empêchent ainsi d'entrer ou de sortir. C'est une très heureuse circonstance, mais elle scru longtemps une cause de souffrance. Ainsi l'aorte, n'est-ce pas, obligée par le stylet de suivre le mouvement respiratoire, fait tour à tour avancer et reculer le cœur chaque fois que vous respirez; mais cet organe, bien qu'indubitablement fort surpris à l'heure présente, s'habituera à cette exigence nouvelle... Ce que je redoute le plus toutefois, c'est, autour de la lame, la formation d'un caillot. Déjà, n'est-ce pas, la présence de la lame dans l'aorte a considérablement diminué la capacité de circulation du sang dans ce conduit: il n'est donc pas besoin d'un bien gros caillot pour obstruer l'aorte, et, si l'aorte s'obstruait, ce serait la mort. Mais le caillot, s'il s'en forme un, peut encore être détaché et entraîné, et, dans ce cas, pourrait aller se loger dans quelqu'une

des nombreuses ramifications de l'aorte, produisant un résultat plus ou moins sérieux, à la rigueur même fatal. Si, par exemple, il obstruait la carotide droite ou gauche, il s'ensuivrait l'atrophie d'un côté du cerveau et nécessairement la paralysic d'une moitié du corps; mais il serait encore possible que de l'autre côté du cerveau une circulation secondaire vint à s'établir et ramenât un état normal. Or le caillot (qui, en passant d'artères plus grandes dans d'autres plus petites, doit inévitablement en rencontrer une de capacité insuffisante pour le porter. et finir par se loger quelque part) peut, ou bien entraîner l'amputation d'un membre, ou se loger si profondément dans le corps qu'il devienne impossible au chirurgien de l'aller chercher. Vous commencez à vous rendre compte de quelques-uns des dangers qui vous menacent. Arnold sourit faiblement.

Mais nous ferons de notre mieux pour empêcher la formation d'un caillot, continua Entrefort; il est des médicaments dont on peut se servir dans ce but.

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- Beaucoup d'autres; je n'ai point parlé de quelques-uns des plus sérieux. L'un d'entre eux serait que les tissus relâchent leur prise sur la lame et la laissent glisser. Le sang jaillirait, entraînant la mort. Actuellement, j'ignore si la lame est maintenue par la pression des tissus ou les qualités d'adhérence du sérum dégagé par la piqûre. Je reste néanmoins convaincu que, dans l'un et l'autre cas, cette pression peut, à un moment donné, cesser, car elle peut subir diverses influences. Chaque fois que le cœur se contracte et refoule le sang dans l'aorte, celle ci se dilate un peu, pour se contracter à nouveau dès que s'arrête la poussée. Tout exercice inhabituel, toute excitation inaccoutumée précipite les battements du cœur et peut, par une tension, détruire l'adhésion de l'aorte sur l'arme. Une peur, une chute, un bond ou bien un coup sur la poitrine peut faire vibrer le cœur assez pour que l'aorte lâche prise.

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Entrefort s'arrêta.

Est-ce tout? demanda Arnold.

Non; mais n'est-ce pas suffisant?

Plus que suffisant, dit Arnold dont les yeux s'éclairèrent soudain d'une lueur dangereuse, et, ce disant, le malheureux saisissait à deux mains le stylet pour l'arracher et mourir. Je n'avais pas eu le temps de mouvoir un muscle que déjà Entrefort, avec une agilité et unc rapidité incroyables, s'était élancé et lui maintenait les poignets. Lentement Arnold desserra les doigts.

Voyons, dit Entrefort doucement, c'était là un manque d'attention qui eût pu rompre l'adhésion. Il faut être plus circonspect. Arnold le regarda, et sur son visage passèrent les expressions les plus différentes.

- Docteur Entrefort, fit-il enfin tranquillement, vous êtes le diable en personne.

Entrefort répliqua-:

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