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de détails à lui personnels, de métaphores originales que vous trouverez dans son Bon poète, d'une souple onction que vous verrez à ses Missels enluminés, et. dans ce Voyageur dont je parlais, d'une mélancolie élégante et amusante qui rapetisse les choses autour de soi, mais pour en souffrir plus intimement. Il dit cela en jolies phrases: « Plus tard j'ai traversé des villages où des femmes réunies cousaient à l'ombre d'un toit; elles semblaient garder les maisons comme on surveille des enfants qui s'amusent tout auprès, et, en tirant l'aiguille, leurs mains paraissaient jouer à pigeon-vole. Puis j'ai traversé des mers, qui sont les froids miroirs, bizarrement découpés, du ciel et de l'ombre et du nuage... (Au pôle). Je vis alors de vastes étendues polies et transparentes où le sol semblait une large glace embuée séparant deux mondes. A chacun de mes pas, ma semelle couvrait exactement l'image de ma semelle vagucment réfléchie. »

Dans d'autres poèmes, de jolis bibelots sont curieusement sculptés, des meubles vivent, des oiseaux sont gravés d'un curieux relief. Evidemment l'auteur ne reforme pas le monde, mais il ne l'a pas promis et je me borne (car, à le citer je risquerais vite d'égaler l'étendue de son volume), en vous affirmant que j'y ai trouvé de séricuses promesses de talent.

GUSTAVE KAHN

LA CRITIQUE

GEORGE MEREDITH : Essai sur la Comédie; de l'idée de Comédie et des exemples de l'esprit comique. Introduction de M. Arthur Symons; traduction de M. Henry-D. Davray (Mercure de France). Il peut être nécessaire, lorsqu'on a lu le livre de M. George Meredith, de le relire encore. Et, cette seconde lecture achevée, d'en entreprendre une troisième. A moins que, familier avec l'auteur de Rhoda Fleming, le lecteur n'en perçoive, du premier coup, la pénétrante, et rare, et savoureuse ironie.

Mais rejetons cette hypothèse. M. George Meredith est très peu connu en France. On peut même affirmer, sans crainte d'être démenti. qu'il n'y est pas connu du tout. Et comment le serait-il ? Par les adaptations de deux de ses romans, The Ordeal of Richard Feverel et Sandra Belloni, parues vers 1866 ? Mais ces adaptations sont ridicules. Elles n'existent pas. Elles ne peuvent pas exister. Tout homme de bon sens, soucieux d'informations précises, les doit éloigner de lui avec horreur. Comme si, pour comprendre et pour admirer le génie d'Edgar Poe, nous avions recours aux traductions de M. Maurice Rollinat... Disparaissez donc, faux interprètes de la pensée de M. Meredith! Allez-vous en...

Né en 1828, dans le Hampshire, et par conséquent, si l'on compte bien, aujourd'hui septuagénaire, M. George Meredith atteste d'une destinée glorieuse par la constante solitude au milieu de laquelle il a

le démon

médité et réalisé son œuvre et aussi, et surtout ainsi que tre un de ses commentateurs les plus informés, M. Arthur Symons par l'impassible et austère beauté de son rève.

M. Meredith a parcouru les voies les plus inexplorées. Il a cherché ce quenulautre, avant lui, n'avait cherché encore. Il a été le poète hors la tradition; l'obstiné pélerin vers un étrange, obscur et fantastique idéal. Il a eu, sur toutes choses, des visions mystérieuses. Il a retenu l'univers au dedans de ses regards et n'a vu, partout, que les images qu'il s'en était composées.

<< Songez, ajoute M. Symons, que Meredith a l'elliptique cerveau du poète, non le cerveau lent, prudent et logique du romancier; qu'il a sa vision personnelle d'un monde dans lequel les choses probables n'arrivent jamais; que les mots sont pour lui aussi visibles que les images mentales. Puis, considérez l'effet sur un tel cerveau, dès l'abord impatient, intolérant, infatigable, de la discipline d'un style sciemment artificiel, pour des sujets qui sont une sublime farce, sans nul rapport avec aucune des réalités, connues ou supposées, de l'Uni

vers. >>>

M. George Meredith est un décadent, si, par décadence, on entend, avec M. Arthur Symons, cette savante corruption de langage par laquelle le style cesse d'être organique et devient, à la poursuite de quelque moyen d'expression, ou de quelque beauté nouvelle, délibérément anormal.

De ce style, aussi conscient de soi que le style de M. Stéphane Mallarmé, goûtons la passion profonde, la poésie, la séduisante souplesse ; subissons-en, comme une chose inexplicable, comme un charme étrange, l'irrésistible fascination.

Mais admirons, sans réserve, l'art subtil avec lequel M. Henry Davray en a traduit les nuances les plus légères, les harmonics les plus secrètes; la maîtrise avec laquelle il a conservé au texte original sa couleur, son rythme propre, son économie et jusqu'à ce caractère d'étrangeté à quoi se heurte parfois le lecteur anglais lui-même.

A se rendre compte de la somme de talent nécessitée par une pareille traduction, il devient évident que l'entreprise de M. H.-D. Davray équivaut à une belle œuvre d'art.

Le propagateur en France du génie de George Meredith a vécu en intimité avec la pensée de son auteur; il a communié de son âme, et nous en a révélé les aspects les plus

significatifs.

car c'est une révélation

-

L'Essai sur la Comédie ne désigne qu'un aspect de l'œuvre de Meredith. L'ironiste seul apparaît ici. Le poète et le romancier sont ailleurs, dans la série des poèmes et des romans parus depuis 1851 et célèbres aujourd'hui de l'autre côté du détroit: Poems. Modern Love, The Joy of Earth, The Egoist, Rhoda Fleming, The Shaving of Shagpat, The Tragic - Comedians... toutes auvres que M. Davray doit entreprendre de nous donner un jour. N'est-il pas le seul qualifié à le faire ?

L'Essai sur la Comédie est un livre à part, malaisément définissable, non tant pour son objet, qui serait, à tout prendre, un subtil commentaire de l'idée de comique, mais à cause des développements qu'il contient, de notre impuissance à suivre ces développements avec l'autorité nécessaire.

L'ironie est loin d'y être apparente. Elle ne se révèle qu'à la réflexion et encore ne la voyons-nous se dégager de ces pages irritantes, qu'à force d'imaginer - faute de les connaître suffisamment - les types auxquels Meredith emprunte ses exemples.

Ainsi, pour ne citer que ce détail, lorsque George Meredith évoque la Comédie de moeurs actuelle, en Angleterre, et que, pour préciser sa pensée, il figure cette comédie par Hoyden, fille de Sir Tunbelly Clumsy, petite personne qui ne désobéit jamais à son père « excepté pour manger des groseilles vertes », comment goûter la saveur du trait si l'on ignore que c'est là un type fameux du théâtre anglais ? Si l'on ignore, surtout, que les comiques de la Restauration, Wycherley, Congreve, Farquhar, Dryden, Sheridan, Vanbrugh, donnaient à leurs personnages des noms qui indiquaient le genre de comique de leurs caractères?

Il ne suffit pas que M. Davray nous prête obligeamment ses lumières et se mette à notre disposition avec sa bonne grâce courtoise, toujours empressée à nous fournir des indications au bas des pages.

Il faut que nous connaissions Congreve et la petite Hoyden. Qui connaît la petite Hoyden, et son amour pour les groseilles vertes ? Assurément personne... Et il en est ainsi tout le long du livre.

En revanche, lorsqu'après une lecture patiente et un attentif examen des sources, clairement exposées par M. Davray, on a fermé l'Essai sur la Comédie, on éprouve, certaine, la joie délicate d'avoir pénétré l'effort d'une altière intelligence, d'un noble et précieux écrivain.

Et l'on comprend, véritablement, en quoi consiste l'humour anglais. Et l'on songe, avec sympathie et avec le regret de ne l'avoir point connu, à ce membre du Parlement anglais nouvellement élu, qui célèbre son arrivée à ce poste éminent par la publication d'un ouvrage sur le Tarif des courses de Fiacres, dédié à une parente bien-aimée et

morte...

Et de cette sympathie, une partie va aussi à ce membre d'une entreprise de pompes funèbres (auxquelles on souscrit d'avance, comme aux assurances sur la vic), à ce membre d'une Burial Company qui, dans un dîner, cherche des adhérents et engage poliment les invités à s'inscrire, exposant les avantages qui en résulteraient pour eux dans le cas de leur décès immédiat et très possible : la salubrité de l'endroit, les qualités spéciales du sol pour la prompte décomposition de leurs restes, etc...

JEAN DE MITTY

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drame wagnérien (A. Charles).

Ceci n'est point une banale élucubration, bâclée à la diable, dans le but un peu naïf de découvrir Wagner, ob comme il en surgit trop de-al puis quelque temps, mais bien, au contraire, une étude réfléchie et fort intéressante dans laquelle le rôle néfaste joué par l'or dans la tétralogie de l'Anneau du Nibe-ol lung est recherché, déterminé et mis en lumière avec un soin et une subtilité rares. Les conflits et les catastro-h phes que le désir et la pos- Ess session de l'or maudit font

naître parmi les dieux, les bi habitants du Nibelheim, les lange géants et les héros; la lutte l entre la force d'amour et

l'or, cause de la déperdition
des énergies primordiales et
de tous les maux qui acca-
blent la race des dieux et la
race humaine, éclatent avec

une curieuse intensité dans
ce livre d'une ingénieuse H

compréhension wagnérien-no lon ne. Tout y est clairement

montré, expliqué et logi-go
quement déduit. Et quicon-
que aspire à pénétrer jus-
qu'aux extrêmes profondeurs
de la pensée du titan de
Bayreuth, à en saisir les di-
vers aspects et à s'assimiler
le symbole initial de la co-
lossale tétralogie peut pren-
dre, en toute assurance, le
livre de M. Nerthal comme
guide.

ANDRÉ CORNEAU

HISTOIRE, SOCIÉTÉS, GOUVERNEMENTS

L'Année sociologique, publiée sous la direction d'EMILE DURKHEIM (1) (Alcan).

Voici le premier volume d'un répertoire où seront analysés ou du moins indiqués les principaux ouvrages et les articles importants publiés dans l'année sur des questions de sociologie. « Il y a encore, dit la Préface, trop de sociologues qui dogmatisent journellement sur le droit, la morale, la religion avec des renseignements de rencontre ou même avec les seules lumières de la philosophie naturelle, sans paraître soupçonner qu'un nombre considérable de documents ont été, d'ores et déjà, réunis sur ces questions par les écoles historiques et ethnographiques de l'Allemagne et de l'Angleterre. » Des répertoires à la fois bibliographiques et analytiques sont des instruments indispensables pour ceux qui veulent se tenir au courant des progrès d'une science dans le fouillis de la production intellectuelle contemporaine. L'idée de M. Durkheim et de ses collaborateurs est excellente, et la réalisation me paraît répondre à tous les désirs. Du premier coup la tentative aboutit au succès. Les 550 pages d'analyse sont précédées de deux « mémoires originaux », l'un de M. Durkheim, l'autre de M. Simmel, professeur à l'Université de Berlin. Ce sont pour ainsi dire des modèles de sociologie positive et méthodique, des types d'« études qui traitent des sujets restreints et qui ressortissent aux branches spéciales de la sociologie ». Le travail de M. Durkheim, intitulé la Prohibition de l'inceste et ses origines, c'est la question controversée de l'origine matriarcale de la famille reprise par un côté nouveau et traitée avec abondance d'exemples concrets et pour la première fois avec un jeu complet de définitions précises.

ALFRED FOUILLÉE : Psychologie du peuple français (Alcan).

Encore une critique de la notion de race au sens physiologique. D'après M. Fouillée, une « systématisation d'idées forces en dépendance réciproque explique, outre la conscience nationale, la volonté nationale » (p. 12). « Un peuple est avant tout un ensemble d'hommes qui se regardent comme un peuple » (p. 74). Il n'y a point de fatalités physiologiques de races (pp. 158, 172). Néanmoins il faut tenir compte des causes physiologiques dans l'étude de la psychologie des races.

Sur ces bases générales M. Fouillée édifie sa psychologic du peuple français, très beau monument d'imagination métaphysique auquel des citations d'écrivains anciens, des observations d'étrangers sur la France, des remarques toujours ingénieuses donnent beaucoup d'agrément et une apparence de solidité. Les Français, d'après M. Fouillée, ont gardé quelques traits des Gaulois, en voici une preuve (p. 145) : << Ammien Marcellin nous dit que, avides de vin, les Gaulois recher

(1) Les collaborateurs de M. Durkheim ont été MM. Simmel, Richard, E. Lévy, Bouglé, Fauconnet, Hubert, Lapie, Mauss, A. Milhaud, Muffang, Parodi, Simiand.

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