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bien

animation. Son jeu, encore heurté, a parfois recours à des recherches d'effet trop prémédités; parfois, au contraire, il semble un peu fruste ; il est toujours sincère et passionné. Mlle Mitz Dalti, très gracieuse, articule imparfaitement. MM. Ripert, Hardy, Damery, d'Avançon ont apporté un soigneux concours à cette représentation.

L'Ambigu a fait une reprise de Fualdès, le fameux fait-divers dramatique de Dupeuty et Grangé. La pièce est interprétée dans la note voulue par la plupart des acteurs. Le tableau de l'assassinat encore que l'effet en soit alourdi par une mise en scène indiscrètement insistante, est d'un incontestable pathétique et il suffit, pour prendre goût à ce spectacle un peu suranné, de n'y apporter pas les exigences d'une âme chagrine.

ALFRED ATHIS

Musique

Opéra-Comique: Fervaal, action musicale en 3 actes et un prologue de M. VINCEnt d'Indy.

De tous les jeunes musiciens frisant la cinquantaine, M. Vincent d'Indy n'est assurément pas celui qui a le plus à se plaindre des rigueurs du sort. Né sous une étoile favorable, pouvant travailler à ses heures et attendre, en toute tranquillité, la visite de l'inspiration, M. d'Indy, depuis qu'il compose pour la postérité, a vu sa renommée s'établir et grossir doucement mais sûrement... D'abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le nom de l'heureux compositeur. Telle bouche le recueille, et piano, piano vous le glisse en l'oreille adroitement. Le nom chemine, il germe et rinforzando de bouche en bouche il va le diable; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez une réputation se dresser, s'enfler, grandir à vue d'œil...

Bien que M. Vincent d'Indy n'ait pas, jusqu'à présent, enrichi le patrimoine musical de la France d'une de ces œuvres de maîtrise originale et hardie affirmant une puissante individualité et ne devant rien à personne, on le porte volontiers aux nucs. On le traite de chef d'école, sans préciser de quelle école, et plusieurs enthousiastes de son incontestable et compliqué talent n'hésitent pas à considérer M. d'Indy comme une façon de génie, une sorte de Messie de l'Art.

Certes, M. d'Indy est un musicien de la plus haute valeur, un ajusteur de notes extraordinaire. Il connaît toutes les combinaisons du langage musical et, au besoin, il en invente.

Fort en thème pouvant rivaliser de métier avec n'importe quel fabricant de musique; théologien capable de soutenir mieux que quiconque une controverse sur les points de doctrine wagnérienne, merveilleux assembleur de sons, robuste et subtil manicur d'orchestre, M. d'Indy, malheureusement, attache trop d'importance à la forme aux dépens

de l'idée. Dans ses ouvrages, toujours intéressants, se trouvent, non des pensées fortes et neuves, mais des curiosités de technique et des tours ingénieux dans leur bizarrerie raffinée; en tous cas, il faudrait chercher longtemps pour y rencontrer des éléments artistiques d'un intérêt général et humain. Et c'est bien à l'auteur du Chant de la Cloche et de Fervaal que se peuvent appliquer ces lignes écrites un jour par Richard Wagner : « Le plus beau talent, l'éducation la plus étendue, la plus grande, la plus noble ambition, sans pouvoir, à l'aide de ces avantages, parvenir une seule fois à produire sur notre esprit et notre cœur cette profonde impression que nous attendons dans la musique. >>

M. d'Indy fut sans cesse travaillé de la belle ambition de sortir des communes ornières. Or, s'il faut en croire le maître Reyer : « Lorsqu'on se préoccupé un peu trop de ne pas faire comme tout le monde, on finit toujours par faire comme quelqu'un. » M. d'Indy, dans Fervaal particulièrement, pour ne pas faire comme tout le monde, a surtout fait du Wagner. C'est déjà énorme. Cependant, jusqu'à preuve du contraire, il n'est pas douteux que celui qui réussit encore le mieux à faire du Wagner, c'est Wagner lui-même. Et puis, est-il vraiment d'une utilité artistique indispensable de tenter de refaire ce que Wagner accomplit, voilà tantôt cinquante ans? Ce qui était besogne originale et téméraire au temps de l'autrefois a perdu singulièrement de sa nouveauté aujourd'hui. Que sert de rééditer ce qui fut miraculeusement exécuté? Que peut ajouter le talent au génie ?

Qu'un compositeur profite des améliorations, des inventions apportées par Wagner à l'art musical (art perfectible en ses moyens d'expression); qu'il enrichisse sa palette des couleurs wagnériennes ; qu'il cherche à s'élever jusqu'aux faîtes suprêmes à l'imitation du Titan, en épurant son inspiration, en élargissant son style, en développant ses dons, voire sa manière (s'il en a une), en renforçant ses qualités personnelles de certains procédés, de nombre de beautés de Wagner assimilables à son tempérament; qu'il hérite et jouisse des trésors laborieusement amassés par le grand ancêtre, il est dans son rôle d'artiste. Mais qu'il se contente d'à peu près reproduire un modèle parfait, voilà qui est étrange et, peut-être, d'une portée artistique contestable.

M. L. de Fourcaud, récemment, dans une magistrale étude consacrée à « l'anarchie lyrique », écrivait excellemment : « Nous périssons par les pseudo-combinaisons wagnériennes aussi bien, sinon plus encore, que par les avatars anti-wagnériens... Les formes très surannées de l'opéra-spectacle, inventé par Scribe et ses collaborateurs, et auxquelles, trop souvent, on sacrifie encore à l'Académie nationale de musique, en s'efforçant de les mettre au goût du jour, ne sont plus tolérables; mais les formes dites avancées, directement inspirées en surface du grand homme de Bayreuth et appliquées à des drames inconsistants ne valent pas mieux. Ni routine, ni pastiche. Il faut avoir soi-même dérobé l'or du Rhin sous les vertes eaux du

fleuve pour être en droit de le transformer en pièces de trésor. Cet or n'est appréciable que vierge. Ceux qui le ravissent déjà travaillé n'en peuvent plus faire que des paillettes pour des habits d'Arlequin. On ne ramasse pas davantage la limaille tombée de l'étau de Siegfried. Elle ne sera jamais que limaille. L'épée du héros étincelle ailleurs et celui-là qui l'a forgéc la possédera. » En l'occurrence, le morceau valait d'être reproduit.

Epris complètement du grand œuvre du poète-musicien de. Parsifal, nourri de sa moelle, envahi, accaparé, dominé par le sentiment waguérien, subissant sa loi souveraine et ne concevant guère le beau que selon les règles qui en ont été fixécs par Wagner, M. Vincent d'Indy s'abandonne avec délices au courant qui l'emporte vers Bayreuth; du haut de la colline sainte où s'érige le théâtre-temple, l'esprit du colosse souffle sur lui; et c'est merveille de suivre, dans la plupart de ses partitions, la pensée agissante et despotique de Wagner et de constater avec quelle fidélité d'apôtre M. d'Indy glorifie celui que son admiration élut dieu.

En écoutant Fervaal on ne cesse de songer à Wagner; mais, souvent, aussi, l'on regrette les splendeurs du paradis perdu.

S'il m'était permis de répéter ce que j'écrivais, l'an dernier, au lendemain de la première soirée de Fervaal au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, je dirais que, préférant les qualités personnelles et originales, «< ces émotions et ces passions que, selon Wagner, la musique exprime uniquement», à toute la science imaginable, et estimant que le talent ne tient pas lieu d'idée, ce n'est pas sans éprouver une douloureuse surprise que l'on voit un musicien de la sève la plus choisie se résoudre à jouer le rôle de satellite gravitant autour d'un astre de première grandeur, n'être qu'une nébulcuse, alors qu'il pourrait briller de sa propre lumière en restant lui-même.

Oh! il n'y a pas à se dissimuler qu'en composant la volumineuse partition de Fervaal, M. d'Indy a surtout péché par excès de modestie; car, c'est fort exagérer la modestic, quand on est un artiste de solide mérite, susceptible de penser par soi-même et de tirer de son propre fond un ouvrage, d'assumer la tâche ingrate de ne pas s'écarter de la règle wagnérienne, de faire le sacrifice de sa personnalité, de frapper son inspiration à l'effigie d'un autre et de n'aspirer qu'à l'honneur d'être un simple reflet. C'est même là un acte d'humilité excessif et touchant dont il y a peu d'exemple.

que,

Et cet acte d'humilité est d'autant plus méritoire si habile que soit un compositeur, quelque dépense qu'il fasse de talent et de savoir pour chausser les souliers du génie, il n'égalera jamais le génie, et, malgré soi, on sera toujours tenté de lui répondre comme ce Spartiate de Plutarque à qui l'on proposait d'aller entendre un homme imitant à la perfection le rossignol : « J'ai entendu le rossignol lui-même. »

Auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels le Chant de la Cloche, Wallenstein, Sauge fleuric, Jean Hunyade, la Forêt en

chantée, Symphonie sur un air montagnard français, l'ouverture pour Antoine et Cléopâtre, la Chevauchée du Cid, Karadec (musique de scène), Marie-Magdeleine (cantate), l'Art et le Peuple (chœur), Istar et de nombreuses pièces de musique, de genre et d'aspect divers, M. d'Indy, avant Fervaal, n'a doté le théâtre que d'un petit acte: Attendez-moi sous l'orme, joué à l'Opéra-Comique le 11 janvier

1882.

A cette époque, M. d'Indy ne combinait pas encore lui-même ses livrets, puisque l'acte ci-dessus désigné, était signé de MM. Jules Prével et Robert de Bonnières. Plus tard seulement, M. d'Indy s'avisa de découvrir en lui un poète qu'il ne soupçonnait pas au début de sa carrière. Tant il est vrai qu'on ne se connaît jamais complètement.

Le livret de Fervaal, en dépit de sa couleur légendaire, n'est directement emprunté à aucune légende définie et connue. M. d'Indy l'a construit de bribes et de morceaux, côtoyant sans peur les analogies, n'évitant pas les situations déjà éprouvées par l'usage, empruntant ses matériaux à la mythologie glacée des Celtes, au culte druidique, aux coutumes et mœurs des Gaulois, aux traditions locales des Cévennes, etc., et, ceci étant barbarement mélangé à cela, l'histoire fabuleuse de Fervaal sortit en pièce de l'invention laborieuse de M. d'Indy, comme Minerve du cerveau de Jupiter.

Richard Wagner, à l'exemple d'Homère, d'Eschyle, de Sophocle, de Dante et de Shakespeare, se contentait des légendes, à lui fournies par l'imagination populaire et les fécondait de toute la force de son génie. M. d'Indy, lui, n'osant se mesurer avec la noble simplicité de la pure légende ou affronter l'éternelle signification humaine, dépouillée de toute convention arbitraire, du mythe, a inventé — en imitant, sans le vouloir évidemment.

Aussi, son affabulation embroussaillée, noyée de brume, oppressée d'extériorités sans objet, d'un symbolisme tourmenté et cherché, évoque-t-elle constamment, en son aspect général, en ses détails caractéristiques, jusque dans l'attitude et la signification de ses personnages, le souvenir des chefs-d'œuvre de Wagner. Qu'on en juge!

Fervaal, fils des nuées, est recueilli, blessé, par Guilhen, jeune reine sarrazine connaissant la vertu des breuvages magiques; - tel Tristan, blessé, fut recueilli et soigné par Yseult habile à confectionner les philtres.

Fervaal est pur comme Parsifal. Pour accomplir la mission qui lui est dévolue par le Destin, il doit rester pur et fuir l'amour. De même qu'Alberich (Or du Rhin), il maudit l'amour. Guéri par Guilhen, Fervaal s'abandonne au repos et aux enchantements de la tendresse partagée dans les jardins de la nouvelle Armide. Mais Arfagard, composé de Kurwenal et de Gurnemans et prêtre druidique par-dessus le marché, le rappelle à son devoir : il doit sauver Cravann, sa libre patrie, qui, unique parmi les nations celtiques, conserve les antiques croyances menacées par Yesus. Et pour que Fervaal n'ignore rien, Arfagard se met à lui conter l'histoire des premiers ages du

monde (Mime interrogé par Wotan raconte, dans Siegfried, l'histoire des races des Géants, des Nains et des Dieux), et en outre il lui apprend ce qu'il lui reste à faire (Wotan, dans la Walkyrie, apprend à Brunnhild ce qu'il attend d'elle).

Un brenn de guerre va être choisi et c'est Fervaal, le sauveur, l'élu, le seul qui tienne en ses mains le salut de son pays et de sa race, à qui est réservé le suprême honneur.

Fervaal, pourtant, cède à l'amour de Guilhen, tandis qu'au loin la voix d'Arfagard l'avertit du danger et le convie à l'action héroïque. Ainsi la voix de Brangaine avertit Tristan et Yscult, perdus dans l'extase, du danger qu'ils courent. Fervaal, saisi d'effroi, maudit l'amour une seconde fois et fuit.

Guilhen, furieuse, lance ses sujets assoiffés d'or sur Cravann.

A l'acte deuxième, au pays de Cravann, un petit berger, comme il s'en trouve dans Tannhaüser, appelle les chefs de la contrée au conseil à l'effet de nommer le brenn de guerre. Avant la réunion solennelle de l'assemblée, Arfagard évoque Kaito, être primordial en possession des arrêts du Destin (Wotan, dans Siegfried, évoque Erda, être primordial, prophétesse des choses éternelles). Alors paraît un serpent qui se transforme en femme (est-ce un souvenir de la femme serpent dont Wagner s'inspira pour son livret des Fées ?) et Kaito nous confie que c'est-elle qui « à regret, cnfanta le monde », puis elle ajoute cette prophétie :

Si le serment est violé,

Si la loi antique est brisée,

Si l'amour règne sur le monde,

Le cycle d'Esus est fermé...

Scule, la mort,
L'injurieuse mort
Appellera la vie :

La nouvelle vie naîtra de la mort.

Le conseil a licu: l'entrée des chefs n'est pas sensiblement différente de l'entrée des maîtres-chanteurs. Le chef Chennos se dit « prompt au combat » avec autant d'assurance que le maître-chanteur Nachtig se déclare « prêt à chanter ». Sur la proposition d'Arfagard, Fervaal est élu brenn. On annonce que Cravann est envahi par unc armée immense. Fervaal donne des ordres pour repousser les envahisseurs et la scène se vide. Fervaal, profite de l'occasion pour avertir Arfagard qu'il a trahi le serment druidique et qu'il ne lui reste plus qu'a mourir, « la nouvelle vie devant naître de la mort ».

Les chefs celtes reviennent. Fervaal entonne un chant de victoire, repris en chœur par les guerriers. Quand tout le monde est parti, Arfagard prédit la perte de Cravann.

Au dernier acte, les Celtes ont été battus. Fervaal qui chercha vainement la mort dans la bataille, pric Arfagard de le tuer :

Viens célébrer l'insigne sacrifice.

Lève ton bras, mon père, et frappe fort;
La vengeance d'Esus sur moi soit assouvic;
La nouvelle vie renaitra de la mort !

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