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les impressionnistes répudient toute méthode précise et scientifique. Selon le mot charmant de l'un d'eux : « ils peignent comme l'oiseau chante. »

En cela, ils ne sont pas les continuateurs de Delacroix qui attachait, nous l'avons établi, tant d'importance à la possession d'une technique permettant d'appliquer, à coup sûr. les lois qui gouvernent la couleur et en règlent l'harmonie.

S'ils connaissent ces lois, les impressionnistes ne les appliquent pas méthodiquement. Dans leurs toiles, tel contraste sera observé et tel autre omis; une réaction sera juste, une autre douteuse. Un exemple montrera combien peut être decevante la sensation sans contrôle. Voici l'impressionniste en train de peindre sur nature un paysage: il a devant soi de l'herbe ou des feuilles vertes dont telles parties sont dans le soleil, telles autres dans l'ombre. Dans le vert des régions d'ombre les plus voisines des espaces de lumière, l'œil scrutateur du peintre éprouve une fugitive sensation de rouge. Satisfait d'avoir perçu cette coloration, l'impressionniste s'empresse de poser une touche rouge sur sa toile. Mais, dans la hâte de fixer sa sensation, il n'a guère le temps de contrôler l'exactitude de ce rouge, qui, un peu au hasard du coup de brosse, sera exprimé en un orangé, un vermillon, unc laque,... un violet même. Cependant, c'était un rouge très précis strictement subcrdonné à la couleur du vert, et non n'importe quel rouge. Si l'impressionniste avait connu cette loi: l'ombre se teinte toujours légèrement de la complémentaire du clair, il lui eût été aussi facile de mettre le rouge exact, violacé pour un vert jaune. orangé pour un vert bleu, que le rouge quelconque dont il s'est con

tenté.

Il est difficile de comprendre en quoi la science aurait pu, en cette occasion, nuire à l'improvisation de l'artiste. Au contraire, nous voyons bien les avantages d'une méthode empêchant de tels désaccords qui, pour minimes qu'ils soient, ne favorisent pas plus la beauté d'un tableau que des fautes d'harmonic celle d'une partition.

9. L'absence de méthode fait que souvent l'impressionniste se trompe dans l'application du contraste. Si le peintre est bien en forme ou le contraste très visiblement écrit, la sensation, nettement ressentie, trouvera sa formule exacte; mais dans des circonstances moins propices, perçue à l'état vague, elle restera inexprimée ou se traduira d'une façon imprécise. Et il nous arrivera de voir, dans les tableaux impressionnistes, l'ombre d'une couleur locale n'être pas l'ombre exacte de cette teinte, mais d'une autre plus ou moins analogue, ou bien une teinte n'être pas modifiée logiquement par la lumière ou l'ombre: un bleu, par exemple, plus coloré dans la lumière que dans l'ombre,un rouge plus chaud dans l'ombre que dans la lumière, une lumière trop éteinte ou une ombre trop brillante.

tante de leurs lumières, - en d'autres termes, le mélange optique des couleurs des segments, le mélange optique des couleurs des touches.

Le même arbitraire, les impressionnistes le manifestent dans la fragmentation de leurs colorations. C'est un beau spectacle que leur perspicacité qui s'évertue; mais il ne semble pas que des notions directrices la desserviraient. A défaut d'elles, et pour ne se priver d'aucune chance heureuse, ils échantillonnent leur palette sur leur toile, ils mettent un peu de tout partout. En cette cohue polychrome, il est des éléments antagoniques: se neutralisant, ils ternissent l'ensemble du tableau. Dans un grand contraste d'ombre à lumière, ces peintres ajouteront du bleu à l'orangé de la lumière, de l'orangé au bleu de l'ombre, grisant ainsi les deux teintes qu'ils voulaient exciter par opposition et atténuant, en conséquence, l'effet de contraste qu'ils semblaient chercher. A une lumière orangée ne correspondra pas exactement l'ombre bleue convenable, mais une ombre verte ou violette, approximative. Dans un même tableau, telle partie sera éclairée par de la lumière rouge, telle autre par de la lumière jaune, comme s'il pouvait être en même temps deux heures de l'après-midi et cinq heures du soir.

10. Observation des lois de la couleur, usage exclusif des teintes pures, renonciation à tout mélange rabattu, équilibre méthodique des éléments, voilà les progrès que les impressionnistes laissaient à faire aux peintres soucieux de continuer leurs recherches.

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Impressionnisme et néo-impressionnisme. · Georges Seurat: Un Dimanche à la Grande-Jatte.- Usage exclusif des teintes pures et du mélange optique.- La Division: elle garantit un éclat maximum et une harmonie intégrale.— Il s'agit de technique et non de talent. Le néo impressionnisme procède de Delacroix et des impressionnistes. La communauté de technique laisse libres les individualités.

1. C'est en 1886, à la dernière des expositions du groupe impressionniste «< 8 Exposition de Peinture par Mme Marie Bracquemond, Mlle Mary Cassatt, MM. Degas, Forain, Gauguin, Guillaumin, Mme Berthe Morisot, MM. Camille Pissarro, Lucien Pissarro, Odilon Redon, Rouart, Schuffenecker, Seurat, Signac, Tillot, Vignon, Zandomeneghi - du 15 mai au 15 juin - 1, rue Laffitte » -que, pour la première fois, apparaissent des œuvres peintes uniquement avec des teintes pures, séparées, équilibrées, et se mélangeant optiquement, selon une méthode raisonnée.

Georges Seurat, qui fut l'instaurateur de ce progrès, montrait là le premier tableau divisé, toile décisive qui témoignait d'ailleurs des plus rares qualités de peintre, Un Dimanche à la Grande-Jatte, et, groupés autour de lui, Camille Pissarro, son fils Lucien Pissarro et Paul Signac exposaient aussi des toiles peintes selon une technique à peu près semblable.

L'éclat inaccoutumé et l'harmonie des tableaux de ces novateurs furent immédiatement remarqués, sinon bien accueillis. Ces qualités étaient dues à l'application des principes fondamentaux de la division. Depuis lors, cette technique, grâce aux recherches et aux apports de MM. Henri-Edmond Cross, Albert Dubois-Pillet, Maximilien Luce, Hippolyte Petitjean, Théo Van Rysselberghe, Henry Van de Velde et quelques autres, malgré des morts cruelles, en dépit des attaques et des désertions, n'a cessé de se développer, pour constituer enfin la méthode précise que nous avons résumée au début de cette étude et désignée comme celle des peintres néo-impressionnistes. Si ces peintres, que spécialiserait mieux l'épithète chromo-luminaristes, ont adopté ce nom de néo-impressionnistes, ce ne fut pas pour flagorner le succès (les impressionnistes étaient encore en pleine lutte), mais pour rendre hommage à l'effort de précurseurs et marquer, sous la divergence des procédés, la communauté du but: la lumière et la couleur. C'est dans ce sens que doit être entendu ce mot néo-impressionnistes, car la technique qu'emploient ces peintres n'a rien d'impressionniste: autant celle de leurs devanciers est d'instinct et d'instantanéité, autant la leur est de réflexion et de per

manence.

2. Les néo-impressionnistes, comme les impressionnistes, n'ont sur leur palette que des couleurs pures. Mais ils répudient absolument tout mélange sur la palette, sauf, bien entendu, le mélange de couleurs contiguës sur le cercle chromatique. Celles-ci, dégradées entre elles et éclaircies avec du blanc, tendront à restituer la variété des teintes du spectre solaire et tous leurs tons. Un orangé se mélangeant avec un jaune et un rouge, un violet se dégradant vers le rouge et vers le bleu, un vert passant du bleu au jaune, sont, avec le blanc, les seuls éléments dont ils disposent. Mais, par le mélange optique de ces quelques couleurs pures, en variant leur proportion, ils obtiennent une quantité infinie de teintes, depuis les plus intenses jusqu'aux plus grises.

Non seulement ils bannissent de leurs palettes tout mélange de teintes rabattues, mais ils évitent encore de souiller la pureté de leurs couleurs par des rencontres d'éléments contraires sur leur subjectile. Chaque touche prise pure sur la palette, reste pure sur la toile. Ainsi, et comme s'ils usaient de couleurs préparées avec des poudres plus brillantes et des matières plus somptueuses, peuvent-ils prétendre à dépasser en luminosité et en coloration les impressionnistes, qui ternissent et grisent les couleurs pures de la palette simplifiée.

3. Ce n'est pas assez que la technique de la division assure, par le mélange optique d'éléments purs, un maximum de luminosité et de coloration - par le dosage et l'équilibre de ces éléments. selon les

règles du contraste, de la dégradation et de l'irradiation, elle garantit l'harmonie intégrale de l'œuvre.

Ces règles, que les impressionnistes n'observent que parfois et instinctivement, sont toujours et rigoureusement appliquées par les néo-impressionnistes. Méthode précise et scientifique, qui n'infirme pas leur sensation, mais la guide et la protège.

4. Il semble que, devant sa toile blanche, la première préoccupation d'un peintre doive être : décider quelles courbes et quelles arabesques vont en découper la surface, quelles teintes et quels tons la couvrir. Souci bien rare à une époque où la plupart des tableaux sont tels que des photographics instantanées ou de vaines illustrations.

Reprocher aux impressionnistes d'avoir négligé ces préoccupations serait puéril, puisque leur dessein était manifestement de saisir les arrangements et les harmonies de la nature, tels qu'ils se présentent, sans nul souci d'ordonnance ou de combinaison. « L'impressionniste s'assied au bord d'une rivière », comme le dit leur critique Théodore Duret, et peint ce qu'il a devant lui. Et ils ont prouvé que, dans cette manière, on pouvait faire merveille.

Le néo-impressionniste, suivant en cela les conseils de Delacroix, ne commencera pas une toile, sans en avoir arrêté l'arrangement. Guidé par la tradition et par la science, il harmonisera la composition à sa conception, c'est-à-dire qu'il adaptera les lignes (directions et angles), le clair-obscur (tons), les couleurs (teintcs) au caractère qu'il voudra faire prévaloir. La dominante des lignes sera horizontale pour le calme, ascendante pour la joie, et descendante pour la tristesse, avec toutes les lignes intermédiaires pour figurer toutes les autres sensations en leur variété infinie. Un jeu polychrome, non moins expressif et divers, se conjuguc à ce jeu linéaire aux lignes ascendantes, correspondront des teintes chaudes et des tons clairs; avec les lignes descendantes, prédomineront des teintes. froides et des tons foncés; un équilibre plus ou moins parfait des teintes chaudes et froides, des tons pâles et intenscs, ajoutera au calme des lignes horizontales. Soumettant ainsi la couleur et la ligne à l'émotion qu'il a ressentie et qu'il veut traduire, le peintre fera œuvre de poète, de créateur.

5. D'une façon générale, on peut admettre qu'une œuvre néoimpressionniste soit plus harmonieuse qu'une œuvre impressionniste, puisque d'abord, grâce à l'observation constante du contraste, l'harmonie de détails en est plus précise et qu'ensuite, grâce à une composition raisonnée et au langage esthétique des couleurs, elle comporte une harmonie d'ensemble et une harmonie morale dont la seconde se prive volontairement.

Loin, l'idée de comparer les mérites de ces deux générations de peintres les impressionnistes sont des maîtres définitifs dont la tâche glorieuse est faite et s'est imposée; les néo-impressionnistes sont

encore dans la période des recherches et comprennent combien il leur reste à faire.

Il ne s'agit pas ici de talent, mais de techniques, et ce n'est pas manquer au respect que nous devons à ces maîtres que de dire : la technique des néo-impressionnistes garantit plus que la leur l'intégrité de la luminosité, de la coloration et de l'harmonie; de même avons-nous pu dire que les tableaux de Delacroix sont moins lumineux et moins colorés que ceux des impressionnistes.

6. Le néo-impressionnisme, que caractérise cette recherche de l'intégrale pureté et de la complète harmonie, est l'expansion logique de l'impressionnisme. Les adeptes de la nouvelle technique n'ont fait que réunir, ordonner et développer les recherches de leurs précurseurs. La division, telle qu'ils l'entendent, ne se compose-t-elle pas de ces éléments de l'impressionnisme, amalgamés et systématisés : l'éclat (Claude Monet), le contraste (qu'observe presque toujours Renoir), la facture par petites touches (Cézanne et Camille Pissarro)? L'exemple de Camille Pissarro adoptant, en 1886, le procédé des néoimpressionnistes et illustrant de son beau renom le groupe naissant, ne montre-t-il pas le lien qui les unit à la précédente génération de coloristes? Sans qu'on puisse noter de changement brusque en ses œuvres, peu à peu, les mélanges grisés disparurent, les réactions. furent notées et le maître impressionniste, par simple évolution, devint néo-impressionniste.

Il n'a d'ailleurs pas persisté dans cette voie. Descendant direct de Corot, il ne recherche pas l'éclat par l'opposition, comme Delacroix, mais la douceur par des rapprochements; il se gardera bien de juxtaposer deux teintes éloignées pour obtenir par leur contraste une note vibrante, mais s'évertuera, au contraire, à diminuer la distance de ces deux teintes par l'introduction, dans chacune d'elles, d'éléments intermédiaires, qu'il appelle des passages. Or, la technique néo-impressionniste est basée précisément sur ce contraste, dont il n'éprouve pas le besoin, et sur l'éclatante pureté des teintes, dont son œil souffre. De la division, il n'avait choisi que le procédé, le petit point, dont la raison d'être est justement qu'il permet la notation de ce contraste et la conservation de cette pureté. Il est donc très compréhensible que ce moyen, médiocre pris isolément, ne l'ait pas

retenu.

Autre marque de filiation: la division parut pour la première fois à la dernière exposition des peintres impressionnistes. Ces maitres y avaient accueilli les ruvres novatrices de Seurat et de Signac comme bien dans leur tradition. Plus tard seulement, devant l'importance du nouveau mouvement. la scission se fit et les néo-impressionnistes exposèrent à part.

7. Si le néo-impressionnisme résulte immédiatement de l'impressionnisme, il doit aussi beaucoup à Delacroix, comme nous l'avons

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