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recrutement, on fut entraîné à en abuser la même violence des circonstances qui avaient fait consumer la ressource des domaines nationaux; comment la partie la plus précieuse de la population aurait-elle été ménagée par les divers gouvernemens, après le succès d'une levée qui, enlevant tout à la fois la fleur de la jeunesse française, ne rencontra pourtant aucune opposition?

Les deux campagnes qui suivirent la rupture du traité de Rastadt, soit en Allemagne, soit en Suisse, soit en Italie, furent celles qui coûtèrent le plus de sang à la France. Cette énorme cousommation d'hommes porta sur les deux premières classes de la conscription; elles furent presque entièrement épuisées.

Le général Bonaparte, à son retour d'Égypte, parvenu à la dictature consulaire, et prompt à l'affermir en reconquérant l'Italie et relevant la fortune des armes françaises, ordonna une levée de 30,000 conscrits: on ne put l'effectuer qu'en prenant les jeunes gens de dix-neuf ans accomplis qui étaient entrés dans leur vingtième année, mais n'avaient

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pas atteint l'âge fixé. Cette déviation affaiblit le système, et le refus d'expédier des congés absolus aux soldats citoyens qui avaient achevé leur temps de service, véritable manquement à la foi publique, acheva de discréditer la loi. Dès ce moment, l'institution perdit dans l'opinion sa force morale; et son exécution et sa durée n'eurent d'autres garanties que la vigueur d'un gouvernement concentré dans des mains habiles, et la nécessité et l'habitude de l'obéissance.

Les principes consacrés par le titre premier de la loi, savoir: « que tout Français est sol>> dat, et se doit à la défense de la patrie.

>> Que lorsque la patrie est déclarée en >> danger, tous les Français sont appelés à sa » défense, sans en excepter ceux qui ont » déjà satisfait à ce devoir et obtenu des >> congés.

>> Que le nombre des défenseurs se règle » par la connaissance de l'incomplet de l'ar

» mée.'»

Ces principes, disons-nous, ainsi vaguement exprimés, donnaient au dictateur, qui,

en se réservant l'initiative, avait interdit toute espèce de discussion indépendante, la latitude la plus illimitée: aussi, considéra-t-il toujours la loi de la conscription militaire, telle qu'elle existait alors, comme le plus ferme appui de sa puissance. Lorsque', après les traités de Lunéville et d'Amiens, il dut faire rentrer la plus grande partie de l'armée sur le territoire de la République, il n'accorda point de congés absolus, mais seulement des semestres pour calmer les murmures; et malgré l'extrême embarras des finances il ne songea point à soulager le trésor des réformes. Loin de modérer, en raison de l'état de paix, l'exécution de la loi de la conscription, il appela le reste des classes arriérées; et pour dérober à l'étranger la connaissance de l'effectif de ses forces disponibles, il prescrivit au ministre de la guerre de ne point rendre publiques ses dispositions. « C'est sur le recrutement (écrivait-il à ce mi>>nistre peu de temps avant la déclaration >> de guerre) que vous devez porter con>> stamment une grande attention: ne passez

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>> pas une journée sans vous occuper person>> nellement d'un objet si important: c'est la >> première et la plus grande affaire de l'état. >>

Il exigeait que les préfets des départemens rendissent chaque semaine un compte exact de la situation des levées; ceux qui étaient en retard étaient vivement pressés, et le succès de la conscription était à ses yeux le premier mérite de ces fonctionnaires. Il suivait avec une attention scrupuleuse le mouvement des conscrits appelés, depuis le départ des moindres détachemens, jusqu'à leur arrivée dans les corps; ces états de situation étaient toujours sous ses yeux; il inventait chaque jour quelque nouveau moyen d'accroître les contingens, et récompensait le zèle des préfets qui secondaient ce genre d'exaction. Les corps, déjà portés au complet, avaient ordre de recevoir les hommes qui, préférant d'y servir, se présentaient volontairement. Il ne souffrait pas que le défaut de taille fût un motif de refus, même pour l'arme de l'artillerie; il abaissa jusqu'à cinq pieds deux celle des dragons; enfin,

pouces,

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il ne tarda pas à former d'excellentes compagnies de voltigeurs, avec les hommes de la plus petite stature, et qui, sous la zồne moyenne, sont communément les plus vigoureux et les plus agiles: il doubla ainsi, tout d'un coup, les troupes d'élite dans l'infanterie, et rendit la conscription plus productive.

Nous pensons que nos lecteurs ne trouveront ces détails ni trop minutieux, ni indignes de l'histoire, s'ils se rappellent quelle était, à cette époque, la haute pensée de Napoléon; s'ils se plaisent à observer avec quelle habileté il profita des circonstances et de l'état de guerre pour s'élever au rang des souverains. Plus le parti de l'ancien ordre de choses, qui avait triomphé dans le parlement d'Angleterre, affectait de remettre en question le changement du gouvernement de la France, et plus le dictateur impatient s'efforçait de nationaliser la guerre, de faire pénétrer de plus en plus, dans toutes les classes, dans toutes les institutions, l'esprit militaire dont il était animé, et qui, selon ses vues et pour

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