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nations, et leur incorporation forcée dans les équipages, le gouvernement anglais néglige rait de tenir sa grande flotte ensemble et ralliée dans les ports de la Manche. Plus on mettait d'activité dans les arsenaux de Hollande, de France et d'Espagne, à construire et armer des vaisseaux, et plus les Anglais devaient s'obstiner à soutenir leurs croisières éloignées et divergentes. Lorsque ces armemens, en apparence inutiles, auraient été poussés jusqu'à leur perfection, les chances que la fortune manque rarement d'offrir à qui sait les attendre, pouvaient dérober leur sortie et leur fausse destination; et, tandis tandis que les eseadres ennemies erreraient incertaines, une habile combinaison rassemblerait à la hauteur de Brest la presque totalité des forces navales des alliés; cette flotte, maîtresse des parages de la Manche au moins pendant quinze à vingt jours, protégerait le passage de la flottille de Boulogne et le débarquement de l'armée.

Quant à cette dernière partie du projet de descente, que nous avons appelée la troisième

condition du problème, nous pensons que les idées du premier Consul, tant sur le choix des points de débarquement que sur les premiers mouvemens de l'armée, n'étaient point fixées.

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Ni les deux expéditions du conquérant des Gaules, ni la transmigration guerrière du duc de Normandie, brûlant ses vaisseaux pour prendre possession d'un héritage, ni les descentes partielles exécutées sur différens points des côtes d'Angleterre et d'Irlande, pendant le dernier siècle, ne pouvaient servir d'exemple: c'était bien le même bras de mer qu'avaient franchi deux fois les légions romaines sur des flottilles construites par leurs mains; c'étaient les mêmes rivages qu'il fallait aborder, et peut-être affronter de pareilles tempêtes; mais combien la similitude des arts de la civilisation, la force d'un gouvernement régulier, celle plus redoutable de l'esprit public, la parfaite égalité des armes et la supériorité de la marine des insulaires, n'opposaient-elles pas au César de notre âge, d'obstacles inconnus à son modèle !

Il est vraisemblable que Bonaparte n'aurait tracé d'avance aucune opération, el que, ayant une fois pris terre, il n'aurait consulté que son génie pour s'ouvrir rapidement le chemin vers la capitale, et mettre à profit la terreur dont sa seule présence aurait frappé tous les esprits.

Si l'histoire ne conservait soigneusement les détails de ces prodigieux apprêts, on ne ferait peut-être qu'admirer, comme un vain effort de génie, le plan général que nous venons d'esquisser; mais lorsqu'on voit un seul chef en ordonner et conduire toutes les parties avec une égale prévoyance, avec l'énergie et l'obstination qui surmontent tous les ob stacles, la surprise et l'intérêt s'accroissent avec l'importance de l'objet; on assiste à l'un des plus grands spectacles de guerre, l'un des plus mémorables et des plus instructifs.

Pendant que les constructions navales, les travaux de fortification, ceux du matériel de l'artillerie, les approvisionnemens de tout genre s'exécutaient de toute part, le premier Consul s'occupait avec la même activité de la

formation de son armée, que l'expédition de Saint Domingue, les divisions détachées en Italie, en Portugal et en Hanovre, avaient beaucoup réduite.

Quoiqu'on n'eût congédié définitivement, après la paix d'Amiens, qu'un petit nombre de vieux soldats trop fatigués, et qu'on n'eût accordé aux autres que des congés de semestre, les cadres en étaient déjà dégarnis; la discipline s'était relâchée; l'ennui de la vie sédentaire et du service passif des garnisons avait rendu la désertion très-fréquente et comme la législation militaire n'offrait que des moyens insuffisans pour la réprimer, les conseils de guerre furent rétablis dans les corps, par un arrêté plus sévère, qui fut discuté dans le conseil d'état : le premier Consul écrivait au ministre de la guerre, que « si on n'arrêtait ce désor» dre, il serait impossible d'organiser l'ar»mée, et de régulariser la comptabilité. »

Il fallut, pour compléter les. corps, faire exécuter la loi de la conseription avec plus de vigilance et de rigueur qu'on n'en avait

encore employé; de nouveaux règlemens limitèrent les exemptions du service militaire, et rendirent les remplacemens difficiles. Cette institution, née au sein des orages de la révolution de 1789, et dont la véritable origine fut la formation volontaire et l'armement simultané des gardes nationales du royaume, avait été graduellement regularisée par la convention nationale. A la levée de soixante bataillons de volontaires, décrétée par l'assemblée constituante, avait succédé celle des réquisitionnaires indistinctement incorporés dans les nouveaux cadres des demi-brigades: les menaces, les efforts divergens des puissances coalisées contre la France, l'invasion inconsidérément entreprise avec des moyens insuffisans, ne servirent qu'à aiguillonner et pousser aux combats une population naturellement belliqueuse. Cette obligation du service personnel, que le nom seul de milice rendait odieuse sous la monarchie absolue, parut naturelle et juste dès que les idées libérales en eurent ennobli le motif; le même sentiment d'indépendance individuelle qui

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