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nion des marins les plus expérimentés était loin d'être fixée; et la plupart ne partageart pas, à cet égard, la sécurité que le premier Consul affectait et voulait inspirer. La mer, disaient-ils, fût-elle couverte de ces chaloupes canonnières, de bateaux et de péniches, les vaisseaux de ligne et les frégates disperseront ces fragiles embarcations. Il suffira des moindres évolutions d'une escadre pour traverser en tout sens et mettre en désordre cette foule de bâtimens que leur marche inégale, comme leur construction, empêchera d'ailleurs de se maintenir en ligne: il suffira de quelques bordées pour y jeter la confusion; l'encombrement des troupes rendra leur valeur inutile, et le combat plus 'sanglant et plus désastreux on ne peut tenter le passage qu'après une bataille navale entre des escadres d'égale force, et dont les résultats, fussent-ils même balancés, auraient contraint la flotte anglaise à rentrer dans ses ports et à laisser la mer libre au moins pour quelques jours.

On répondait à ces objections, que trois

marées suffiraient pour mettre en rade et en partance, la totalité de la flottille, lorsqu'elle serait réunie à Boulogne et dans les petitsports voisins de Montreuil, de Vignereux et d'Ambleteuse ; que, dans la belle saison, les calmes et les vents faibles d'est et de sud-est, favorables à la navigation des bâtimens légers, ne permettaient pas aux vaisseaux de ligne, maniés et entraînés par la violence des courans du canal, de manoeuvrer à hauteur du passage, et d'y maintenir leur croisière; que rien n'empêchait d'attendre cette circonstance et d'en profiter; que dans ce cas, et s'il fallait combattre contre quelques vaisseaux de haut bord, les expériences faites avaient démontré que leur feu à grande portée était peu redoutable pour des bâtimens qui ne présentaient que de très-petites surfaces, et n'étaient, pour ainsi dire, que des points marqués sur les eaux. Se trouvaient-ils assez rapprochés pour être menacés d'une bordée; l'élévation du vaisseau en diminuait beaucoup le danger; tandis que le tir à fleur d'eau des chaloupes et des bateaux canonniers se

manoeuvrant facilement, virant de bord changeant de position à la voile et à la rame, leur donnait un avantage décidé, si les vents faiblissaient, et leur livraient ces citadelles, si la mer était calme : sans se laisser imposer par les masses, disaient les partisans de ce nouveau genre de combat naval, il faut oser les assaillir de tous côtés avec nos mille batteries flottantes, toutes armées d'un fort calibre, montées par d'intrépides soldats, et dont l'abordage simultané sera très-redoutable. On citait l'exemple des brillans combats des flottilles suédoises, dans la dernière guerre sur les côtes la Finlande; enfin, sans se dissimuler les pertes qu'on pouvait éprouver dans ce court trajet, on pensait qu'il n'était pas vraisemblable que la flotte anglaise parvînt, ni par son feu, ni par ses manoeuvres, à barrer tellement le passage, que la plus forte partie de l'expédition ne pût atteindre le rivage opposé.

Mais quoique décidé à le tenter avec les seuls moyens de son immense flottille, le premier Consul combinait ceux qui pouvaient,

en éloignant la masse des forces navales de l'ennemi, favoriser le ralliement des siennes, et lui assurer dans le canal une supériorité décidée à l'époque où l'expédition serait prête à mettre à la voile. Cette partie de son plan d'aggression était la plus importante, et fut aussi la plus secrètement conduite : nous ne faisons ici que l'annoncer, nos lecteurs la reconnaîtront dans la suite par le développement des événemens.

Nous avons dit dans le Chapitre précédent que le gouvernement anglais, pendant qu'il prolongeait une fausse négociation, avait pressé ses armemens avec tant de vigueur, qu'au moment où la rupture fut décidée, les escadres se trouvèrent prêtes à mettre en mer pour leurs différentes destinations: bloquer à la fois tous les grands ports, paralyser dans les arsenaux des trois puissances leurs forces navales dispersées, écumer les mers en pleine sécurité, soumettre au pavillon britannique toute espèce de navigation, s'emparer, presque sans coup férir, des îles rétrocédées, consommer la ruine de Saint-Domingue et

de tous les établissemens français dénués de secours; tel devait être et tel fut en effet le plan de guerre des Anglais. Tout le génie de Bonaparte n'y pouvait opposer, pendant la première campagne, que des menaces et d'impuissans efforts. L'amiral Nelson croisait avec dix-huit vaisseaux et un nombre correspondant de frégates dans la Méditerranée : il bloquait étroitement Toulon, Génes, Livourne. L'amiral Edward Pellew croisait avec dix vaisseaux au cap Saint-Vincent, et observait tous les ports d'Espagne; l'amiral Cornwallis était avec vingt vaisseaux sur la côte de Brest; l'amiral Keith et le contre-amiral SidneySmith commandaient la flotte du canal; d'autres croisières étaient établies aux embouchures de l'Elbe et du Weser..

Ainsi, dès le commencement de la guerre tous les vaisseaux et frégates que l'Angleterre put armer, furent mis en mer. Le premier Consul prévit que, pour soutenir ce système de blocus universel, aussi profitable à son commerce qu'utile au maintien de sa marine par l'enlèvement des gens de mer de toutes les

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