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simula rien. J'étais venu à Paris, dit-il, pour attaquer le premier Consul. Quels étaient vos moyens? J'en avais bien peu; je comptais en réunir. De quelle nature étaient vos moyens d'attaque? Des moyens de vive force. Aviez-vous' beaucoup de monde avec vous? Non, parce que je ne devais attaquer le premier Consul que quand il y aurait un prince français à Paris; il n'y est point encore. Où comptiez-vous trouver cette force? Dans toute la France. Qui devait fournir les fonds et les armes? J'avais depuis long-temps les fonds à ma disposition, je n'avais pas encore les armes. N'est-ce pas avec ce poignard que, secondé par des conjurés, vous vous proposiez d'assassiner le premier Consul? Je devais l'attaquer avec des armes pareilles à celles de son escorte et de sa garde.

Il répondit avec la même précision et la présence d'esprit la plus imperturbable sur tout ce qui lui était personnel; mais on ne put lui arracher aucun aveu qui compromît ses complices: Vous me tenez, il y a eu déjà assez de victimes, et je ne veux pas étré

cause qu'il y en ait davantage. Il nia qu'il eût trempé dans l'affaire de la machine infernale, et qu'il eût eu jamais l'intention de faire assassiner le premier Consul dans le palais des Tuileries. Il nia qu'il eût jamais connu le général Moreau, ni vu le général Pichegru ailleurs qu'à Londres: sur cette question, n'éticz - vous pas en Angleterre à la tête d'un corps armé payé par le trésor anglais? il répondit: Non; plusieurs officiers que je commandais dans l'Ouest sont passés en Angleterre; mais ils n'y étaient point employés ; je ne l'étais point davantage.

Le général Pichegru, dont la complicité semblait être surabondamment prouvée, se renferma dans un système de dénégation dont rien ne put le faire sortir. Les déclarations positives de plusieurs des coaccusés d'un rang inférieur, leur confrontation avec lui, ne purent l'ébranler; ses réponses, trèsconcises et insignifiantes, ne laissèrent pas percer le moindre trait de lumière sur ses relations avec eux; il n'en voulut reconnaî

tre aucun. Il nia qu'il eût vu Georges Cadoudal ailleurs qu'à Londres, et ne convint jamais qu'il eût rencontré le général Moreau depuis son arrivée à Paris. Pressé de s'expliquer sur les motifs qui l'avaient déterminé à quitter l'Angleterre pour rentrer en France, il le fit de la manière suivante :

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<< Il y a dix ans que je suis sorti de France >> par l'effet des démarches de Bonaparte, >> dont la haine date de l'époque du 13 ven» démiaire, pour m'être expliqué sur cette » journée en véritable Français, et qui >> me regardant probablement comme un >> obstacle à son ambition, concourut spé>> cialement aux événemens de fructidor, >> en m'éloignant ainsi de la France. Depuis >> cette époque, j'ai parcouru divers pays » étrangers, et en dernier lieu, je me suis >> retiré en Angleterre. Fatigué d'un éloigne>>ment aussi prolongé de mon pays, fatigué » des calomnies que les journaux français » multipliaient sur mon compte, disant tan» tôt que j'étais à la tête des armées étran

gères, tantôt à la tête des conseils, j'ai cru

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>> ne pouvoir mieux faire que de rentrer en >> France.. Voilà tout ce que je puis vous » dire. »>.

Et ce fut en effet à cette déclaration que se borna la défense de Pichegru. On connaît assez sa fin tragique : pendant le cours du procès, on le trouva mort dans son lit, étranglé de ses propres mains dans la nuit du 5 au 6 avril. Ce suicide trouva peu de croyance, malgré la publication des procès-verbaux et des divers rapports tant des gens de l'art appelés en grand nombre pour constater l'identité de l'individu et le genre de mort, que des gardes et des geôliers chargés du service intérieur de la prison. On supposa, contre ces documens authentiques, un crime inutile, et dont l'exécution eût exigé la connivence du concierge, des porte-clefs et des gendarmes. Le motif qu'on attribuait au chef du gouvernement pour avoir commandé cette atroce vengeance, n'était pas même spécieux. On lit dans les Annales anglaises que «< Bona>> parte, craignant la sensation que devait pro» duire la présence de Pichegru aux débats pu

>>blics, et plus encore son supplice, le fit secrè>>tement étrangler par ses mamelucks. >> Mais qu'avait-il besoin de ces exécutions orientales si contraires aux moeurs des peuples d'Occident? Ne savait-il pas bien que dans nos gouvernemens, même les moins affermis, la tête la plus illustre, abandonnée au glaive de la loi, peut tomber sur l'échafaud sans causer la moindre commotion? Le cordon et les muets, nous l'avons aussi trop bien appris, sont moins affreux que l'abus des formes judiciaires, la corruption et l'iniquité des juges. Aucun de ces instrumens de tyrannie ne fut employé contre Pichegru il est plus naturel de croire que lorsqu'il vit les agens subalternes de la conjuration, ceux-là même dont les rapports l'avaient trompé, découvrir la trame, le charger à l'envi, et racheter leur vie par ces aveux, il désespéra d'échapper à la honte du supplice; et plutôt que de voir son propre sang flétrir ses lauriers, il se donna la mort avec ce féroce courage qu'il avait autrefois montré dans les combats.

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