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n'y ait qu'un seul chef, un seul intérêt, un seul lien, on trouverait ici la démonstration de cette vérité en observant le caractère, les intérêts et la situation des trois personnages principaux, le chef vendéen Georges Cadoudal, les généraux Pichegru et Moreau.

Georges Cadoudal, l'âme et le principal instrument de la conjuration, était du petit nombre de ces fidèles serviteurs qui avaient dévoué leur existence à la cause des princes de la maison de Bourbon, et la servaient avec fanatisme: il était né près d'Aurai dans le Morbihan, et n'avait que vingt-trois ans lorsqu'il passa dans la Vendée, dès le commencement des troubles de l'Ouest. Sa force physique, la fermeté de son caractère, son intrépidité lui avaient donné une grande influence dans le cours de cette guerre civile ; quoique plébéien il s'était élevé au commandement général; il fut le dernier à poser les armes: il refusa de prendre du service dans l'armée française après la pacification conclue par le général Brune, et préfèra de passer en Angleterre, pour y nourrir la haine

profonde qu'il avait vouée au premier Consul.

Le général Pichegru, sorti des rangs et de la forte école de l'artillerie française, s'était illustré dans les premières campagnes de la guerre de la révolution. Ses talens et la fortune des armes l'avaient porté rapidement au faîte des honneurs militaires; mais attaché de cœur à l'infortunée maison royale, le conquérant de la Hollande, le libérateur de l'Alsace, abhorrait la république et supportait impatiemment le joug qui pesait alors sur la France, et qu'aggravaient même ses victoires. On sait assez comment il saisit la première occasion qui lui fut offerte de servir secrètement la cause des Bourbons, et comme, en se flattant de jouer le rôle du général Monck, il se laissa entraîner jusqu'à la résolution de trahir ses propres soldats, et d'ouvrir à l'ennemi les portes de la France. Un hasard de guerre, la prise d'un fourgon, livra le secret de ce plan de contre-révolution prématurément et trop légèrement conçu. Quoique il ne fût encore dévoilé qu'à demi,

il servit de prétexte au directoire pour frapper le coup d'état du 18 fructidor dont la réaction détruisit la République. Pichegru, échappé des déserts de Sinamary, avait été justement accueilli en Angleterre par le parti à la cause duquel il s'était sacrifié : ce général habile, audacieux, sombre et vindicatif, était disposé à tout entreprendre pour satisfaire son ressentiment contre Bonaparte, qu'il considérait comme l'auteur de sa proscription. Il croyait et faisait croire que sa haute réputation militaire ayant survécu à son existence politique, si le chef du gouvernement. était atteint et renversé, il rallierait les vieux soldats qui avaient combattu sous ses ordres, et aurait seul tout l'honneur de la restauration.

Le général Moreau, rival envieux de Bonaparte, non de sa gloire que la sienne avait souvent égalée, et peut-être surpassée aux champs d'Hohenlinden, mais de son génie, de ses succès politiques, de son élévation qu'il avait loyalement secondée, et qui avait mis entre eux la distance du souverain au

sujet; Moreau, généralissime avant lui, ne pouvait supporter la domination du premier Consul n'ayant ni su ni voulu s'emparer du pouvoir quand il y était appelé par le voeu de la nation et de l'armée, il se trouvait trop grand dans l'estime publique pour fléchir devant le dictateur; il dédaignait sa faveur et même les récompenses nationales transmises par ses mains. Affectant de vivre dans une retraite absolue, il attirait d'autant plus les regards, il fixait d'autant plus l'attention publique. Sa modestie et la simplicité de ses manières contrastaient avec le luxe de la nouvelle cour et les pompes militaires, où il évitait de paraître et qu'il ridiculisait sans ménagement: sa conduite devint suspecte, et parut bientôt hostile; les mécontens de tous les partis jetèrent sur lui des regards d'espérance: les républicains le croyaient fidèle à leurs prétendus principes de gouvernement, et capable de les faire triompher un jour par sa popularité et par l'affection que lui conservait la plus grande partie de l'armée; les royalistes, qui plusieurs fois, mais

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vainement, avaient cherché à l'attirer, ne doutaient pas que sa fierté blessée et la haine de Bonaparte ne le précipitassent tôt ou tard dans leur parti. Aucun d'eux ne croyait à l'apathique indifférence du général Moreau : son repos dans les bras d'une jeune épouse, dans sa belle retraite à Grosbois, paraissait hostile, parce que chacun lui prêtait ses vues et lui supposait de grands desseins.

On ne doit donc pas s'étonner que les premiers auteurs de la conjuration formée à Londres aient, avant de rien entreprendre contre la personne du premier Consul, voulu s'assurer de la coopération du général Moreau; et en effet, un premier succès, c'està-dire l'enlèvement ou la mort de Bonaparte ne pouvait produire qu'une anarchie peutêtre plus sanglante que celle de la convention, un plus grand obstacle au rétablissement de l'ancienne monarchie, si un chef assez accrédité pour disposer de l'armée et entraîner l'opinion, ne se montrait à la nation au moment de la catastrophe. Pichegru, traître et transfuge, ne pouvait jouer un tel rôle : il

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