Outre ces confréries attitrées, ces corporalions de farceurs qui formaient en quelque sorte l'armée permanente de la parodie et de la satire, presque toutes les villes avaient certains jours de fête, de processions et de mascarades, où se confondaient le sérieux et le plaisant. En parlant du théâtre, nous avons cité déjà les entrées des princes et princesses, les montres de la basoche, les plantations d'arbres de mai, la représentation des Causes grasses au palais : Paris avait encore la grande procession du Lendit. Chaque année l'Université se rendait solennellement à la foire de Saint-Denis, pour y faire sa provision de parchemin. Recteur, professeurs, écoliers, appariteurs, copistes, relieurs, tout le pays latin se mettait en marche. Bourgeois et bourgeoises, devant leur porte, s'esbahissuicnt émerveillés à la vue de cetle lon. gue file de robes, dont la queue descendait encore la rue Saint-Jacques, quand la tête entrait à Saint-Denis. L'ordre et le silence ne régnaient pas toujours dans les rangs. Toute cette folle jeunesse s'égayait un peu aux dépens de ceux qui la regardaient passer. On chansonnait le guet qu'on avait battu la veille, le tavernier empoisonneur dont on avait bu le vin sans le payer, le prévôt qui avait fait pendre quelques pauvres étudiants tout au plus coupables de vol ou de meurtre sur des bourgeois. Le retour était encore plus bruyant; aux coups de langue se mélaient souvent les coups de couteau. Les interdictions de l'autorité, et par-dessus tout l'invention du papier et la décadence du parchemin, mirent fin à cette solennité. Auxerre avait ses retraites illuminées, sorte de carnaval flamboyant, qui pourrait bien avoir fourni à Rabelais i'idée de sa Ville des Lanternes. A Douai. c'était la procession de Gayant, l'Hercule flamand, un cousin du géant Hellequin, et peut-être aussi un ancêtre de Gargantua. Gayant était-il un ancien héros du pays, un représentant de la nationalité gauloise ? A cela, rien d'impossible. Mais toutes ces fêtes étaient moins encore un pieux hommage rendu au passé qu’une occasion de mettre en scène et de parodier les événements ou les personnages contemporains. Tandis que les rois et les princes jouaient dans le monde leur comédie officielle, le peuple la répétait à sa façon. Comme Hellequin, Gayant avait sa Mesnie, son ménage ou son cortége, moitié sérieux, moitié grotesque. Avec lui venaient sa femme, la féconde Gagenon, une seur de la mère Gigogne ; puis ses trois fils, Jacquot, Fillon et le petit Binbin, le varluque, le louche, malicieux bambin, dont un æil regardait la Picardie et l'autre la Champagne. Quand Charles-Quint eut enlevé aux villes flamandes leurs franchises communales, il leur laissa une dernière liberté, celle de promener Gayant. Le peuple se consolait avec son cher géant, qui finit par chasser les Espagnols, comme il avait, disait-on, chassé jadis les Romains. Parmi ces mascarades populaires, la Mort vint mêler un instant ses fantômes et ses danses au son aigre du violon, au bruit monotone du tambourin. Mais cette lugubre satire de la vie, peu faite pour l'esprit français, ne dura qu'un instant. Fille de la peste, de la famine et de la guerre, elle disparut avec ces fléaux. Le Moyen Age, avant de mourir, eut encore un quart d'heure de répit pour s'égayer : son œuvre accomplie (elle avait été longue et laborieuse), ce fut au milieu des éclats de rire de la Basoche, entre les bras des Enfants sans soucy, qu'il expira. FIN. TABLE DES MATIÈRES PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION....................... Page vit PRÉFACE DE LA TROISIÈME ÉDITION.......... .......... XVII qu'elle joue en France. — L'esprit gaulois. – Trilogie satirique au ...... 1 prit laique et bourgeois. — Universités, légistes, pragmatique, etc. laire. — Francs bourgeois, francs maçons, francs chanteurs. 9 CHAP. IV. – L'ESPRIT FRANÇAIS AU NORD. - - Contraste du Nord et du Midi. - Thibaut de Champagne. - La reine Blanche et les ba- Cuap. V. - FAPLIAUX. — Leur origine. — Le conte et l'esprit gai lois. – La femme : Griselidis, le vilain Mire, la bourse pleine sens. — Le curé : Du curé qui mangeait des mûres, Brunnain ou vache au prêtre, le boucher .d'Abbeville. - Frère Denise. - L mari : La bourgeoise d'Orléans, les Annelets. — Le clerc et le che valier : Florence et Églantine. — Le vilain : sa vogue dans le fa bliau. - Du vilain qui conquist Paradis par plaid. — Le jongleur Coap. VI. - POEMES MORAUX : Bibles. — Le Castoiement d'un père son fils. - Double caractère moral et satirique de cet ouvrage - Le Chasliement des dames. - Petits traités de morale satirique - Censure générale de la société. — Guyot de Provins. – Hu- gues de Berze. — Archithrénius........ .......... Cuap. VII. – Romans, ÉPOPÉE SATIRIQUE. — Le roman de la rose (1re partie). – Guillaume de Lorris. — L'amour au moyen âge. - Règne de l'allégorie. — Parodies des chansons de geste. – Poé- Chap. VIII. – Le Renart. - Chef-d'oeuvre satirique du moyen âge, - Singularité de cette composition. - Longues discussions aux- vel. – Conclusion.............. ... ....... . ........... 131 Chap. IX. — XIVe siècle. – Révolution morale, politique et reli- gieuse. — Le roman de la rose (2e partie). – Jean de Meung, l'Homère de la satire au moyen âge. -- Son Quvre et son in- fluence. - Invasion du naturalisme et du libre examen, - Rii. son, Nature et Faux-Semblant. – Attaques contre le célibat et AP. X. - PhiLIPPE LE BEL, LE PAPE ET LES TEMPLIERS. — Les ri- meurs gagés du roi. — Le roman de Fauvel. – Valeur historique de cette cuvre. — Le dit du roi, du pape et des monnaies. – Les Chap. XI. -- Le Diable, Dom Argent. — Vogue croissante du Diable au xive siècle. – De l'ermite qui s'enivra, de l'ermite que le Diable |