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DU CHEVALLIER SANS REPROCHE,

LOUIS DE LA TRÉMOILLE.

CHAPITRE PREMIER.

rudesse de mon esprit, ne à la différance et variabilité du vulgaire languaige du temps pré

La généalogie de la riche et illustre maison sent, j'ay quis l'entrée de mon petit labeur par

de la Trémoille.

Après avoir tyré de mon désolé cueur, innumérables souspirs pour l'infortune advenue en la très-noble et illustre maison de La Trimoille, à présent florissant en honneur, non seullement pour le décès de monsieur Charles, mais aussi de monsieur Loys son père, qui sont au lict d'honneur, couverts de fidélité, chevaleureusement passez de ceste misérable demeure au temple de bonne renommée et lieu de immortel loz sans reproche, vérité procédant de honneste amour et gratitude despiesça (1), née de plusieurs bienffaitz, et grans bénéfices que j'ay de ceste très-noble maison receuz, plus remplissans mon honneste plaisir que particulier proffit, m'ont contraint prandre une des servantes de l'œil du monde et une autre de la radiante Lucine, pour rédiger par escript, non en vers et mectres, mais en prose, les mémorables gestes du loyal père après ceulx de l'obéissant filz. Combien que nécessité et aage me vouleussent de la main dextre ouster ma plume, et m'empescher de plus escripre tragédies, histoires et choses moralles, où au gré d'aucuns j'ay trop de jours emploiez, plaignans plus que moy l'occupacion de telles œuvres, qu'il n'extiment estre tant acceptées des prudens hommes que les négoces familières qui eslièvent par richesses ceulx qui, nuyet et jour, y vacquent et travaillent, comme si, par inopiné conseil, vouloient maintenir que richesse mondaine fust souveraine félicité, dont tous les raisonnables hommes congnoissent par vraye expériance le contraire; or donc, sans avoir regard au parler d'aucuns, à la difficulté de mon entreprise, à la

(1) Depuis long-temps.

la généalogie de ce preux Loys nommé, par ses glorieux faictz, chevalier sans reproche; la première tige duquel végéta premièrement ou fertile et fameux pays de Bourgoigne, les vers et florissans rameaulx qui ont produyt tant de nobles fruictz en toutes les parties des Gaules que nous appellons à présent France occidentalle.

Et pour l'entendre, les antiques et modernes historiens portent tesmoignaige que, durant le règne de Loys huyctiesme de ce nom, fils de Phelippes-Auguste, dix-septiesme roy de France, florissoyt et avoyt bruyt et renom en Bourgoigne, ung preux et hardy chevalier, nommé messire Ymbault de la Trimoille, qui fut marié avec une des filles de l'illustre maison de Castres, duquel mariage vindrent plusieurs enfans masles, qui vesquirent avec leur père longuement; en sorte que le père et les enfans estoient, pour leurs nobles armes, crains et redoubtez, car ils estoient riches, vaillans, hardis et prudens en guerre. Et fut messire Ymbault au service dudit roy Loys VIII, à guerroier les Angloys, et après son décès, au service du roy sainct Loys, qui commença régner l'an 1227; et l'an 1247 les princes de France se assemblèrent en la ville de Lyon, avec le roy sainct Loys, où estoit le pape Innocent quart de ce nom, qui leur récita comment la cité de Jhérusalem avoit esté prinse par les Infidelles, et les Crestiens chassés, et partie d'iceulx occis, ce qui esmeut à pitié le Roy, les princes et plusieurs chevaliers de France; en sorte que pour aller donner secours aux Crestiens, le roy sainct Loys, les arcevesques de Reims et Bourges, l'évesque de Beauvaiz, les troys frères du Roy, le comte de Sainct-Paul, Jehan comte de Richemont, filz du duc Jehan de Bretaigne, le

comte de La Marche, le comte de Montfort, Archambault, seigneur de Bourbon, Hue de Chastillon, le seigneur de Coucy, messire Ymbault de La Trimoille, et troys de ses enfans, l'aisné desquelz estoit marié et avoit ung filz, aussi se croisèrent plusieurs aultres princes, barons, chevaliers, prélatz et aultres gens.

L'an après, allèrent tous oultre mer prindrent la ville Damyète, environnée du grant fleuve du Nyl, puis allèrent assiéger la ville de Malsaure (1) où ils eurent grosse perte; car une partie des Crestiens furent occis, et plusieurs desditz prélatz et gros seigneurs de France, et entre aultres Robert, comte d'Artoys, frère dudict roy sainct Loys, messire Ymbault de La Trimoille et ses enfans, de l'aisné desquelz enfans sont venuz d'aultres enfans, desquelz est descendu messire Guy de La Trimoille, dont nous parlerons par après.

cause de sa mère qui estoit fille dudict due et seur de Gaultier, duc d'Athènes, qui espousa dame Jehanne de Mélo, dont vinst dame Jehanne d'Eu, comtesse et duchesse d'Athènes, laquelle donna, en l'an 1388, la seigneurie de Saincte-Hermyne en Poictou ausdicts Guy de La Trémoille et dame Marie de Sully sa femme. Ce Gaultier, duc d'Athènes, comme récite maistre Jehan Bocasse en la fin de son livre des nobles malheureux, après la mort de son père qui avoit perdu ladicte duché que ses prédécesseurs avoyent acquise à la glorieuse conqueste que les Françoys firent contre les Infidèles, lorsque Geoffroy de Boulion, Geoffroy de Luzignen, diet la grant dent, et aultres, conquirent la Terre-Saincte, se retira à Florence dont il fut chief et gouverneur, puis s'en vinst en France, dont ses prédécesseurs estoient yssuz, et fut receu honnorablement par le roy Jehan, qui le fist son connestable, et le maria avec ladicte Jehanne de Mélo, fille de messire Raoul de Mélo, comte d'Eu et de Guynes. Depuis ledict Gaultier fut occis en la journée davant Poictiers, où le roy Jehan fut prins par les Angloys, en l'an 1356.

Ung peu davant ce, et durant le règne dudict roy Phelippes Auguste, vivoit messire Aymery, vicomte de Thouars, qui estoit ung grant et redoutable prince en Aquitaine, et aussi monsieur Amorry de Craon, chevalier, qui fut fort aymé du pape Innocent troysiesme de ce nom, au moyen de ce que, à sa requeste, il estoit Messire Guy de La Trimoille estoit ung des allé, contre les Infidèles, en Asie, avec Boni-beaulx et vaillant chevalier qu'on eust peu veoyr; face, marquis de Montferrant, Bauldouyn, comte de Flandres, Henry, comte de Sainct-Paul, Loys, duc de Savoye, et aultres princes de France, environ l'an 1200; dont par après ledict pape Innocent donna quelques priviléges spéciaulx audict seigneur de Craon, et par la bulle d'iceulx, dattée de l'an 1222, l'appelle le fort des forts, chief des chevaliers, ayde et secours du Sainct-Siége apostolicque: ce que je n'escriptz sans cause, car monsieur Loys de La Trimoille (duquel je veulx parler) est aussi descendu de ces deux maisons de Thouars et de Craon, comme nous verrons cy-après.

Du filz aisné dudict Ymbault de la Trémoille vinst ung aultre de la Trimoille qui fut père de messire Guy de La Trimoille, lequel messire Guy de la Trimoille espousa dame Marie de Sully, qui avoit esté fiancée avec monsieur Jehan, comte de Mompensier, filz de Jehan, duc de Berry, qui estoit filz du roy Jehan, et frère du roy Charles V, au moyen de ce que durans lesdictes fiansailles ledict comte de Mompensier estoit décédé.

Ladicte Marie avoit quarante mille livres de rente, et estoit fille de messire Loys de Sully et d'une dame de la maison de Cran; et ledict messire Loys estoit venu d'ung duc d'Athènes, à

(1) Massoure.

et à ceste cause, en l'expédicion que le roy Charles VI fist contre les Angloys et Flamans, le Roy fist bailler l'auriflame audict messire Guy, qui la retourna à son honneur, la victoyre par les François obtenue. Certain longtemps après, il fut en Hongrie, en la compaignée de monsieur Jehan, comte de Nevers, filz de Phelippes, duc de Bourgongne, et aultres princes de France que ledict roy Charles VI envoya contre les Infidèles, pour secourir Sigimond, roy de Hongrie et Bohème, qui depuis fut empereur, où les Françoys furent deffaitz par la malice des Hongres. Lesquelz, envieux des mémorables faictz des Françoys, les faisoyent marcher davant, leur donnant entendre que incontinent après marcheroit leur armée, ce qu'elle ne fist, par le moyen de quoy les ennemys obtindrent victoyre; et fut prins ledict Jehan, comte de Nevers, avec aultres seigneurs de France, ledict messire Guy de La Trimoille blécé en plusieurs lieux, et son filz aisné, aussi nommé Guy, qui estoit encores fort jeune, occis.

Ledict messire Guy, comme il vouloit retourner en France, mourut des playes qu'il avoit eues, et fut enterré en la ville de Rhodes; il laissa ladicte de Sully sa veufve, et deux filz, Georges et Jehan, en la garde de leurdicte mère, l'aisné desquelz n'avoit encores cinq ans; et tost après ladicte dame se maria en secondes

nopces avec messire Charles, seigneur d'Allebret, lors connestable de France.

Ainsi appert que lesdictz Jehan et Georges de La Trimoille sont descenduz de la maison de Athènes et de Sully d'une part, et de l'autre part de l'ancienne maison de Cran, ung puisné de laquelle espousa dame Mahault, comtesse de Flandres et de Breban, enterrée au cueur du couvent des Frères-Prescheurs de Paris, et ung messire Jehan de Craon, qui fut évesque d'Angiers, arcevesque de Reims, patriarche de Constantinople, et grand gouverneur du roy Charles V, père dudict Charles VI; lequel messire Jehan de Crap estoit oncle de messire Pierre de Craon, chevalier, qui fut tant aymé du roy Charles VI, et monsieur Loys duc d'Orléans, son frère, que ledict duc voulloit qu'il fust tousjours vestu de ses couleurs : toutesfois fust esloygné de court, pour une parolle qu'il dist à madame Valentine, espouse dudict duc d'Orléans, par le moyen de messire Olivier de Clisson, chevallier, lors connestable de France; lequel de Clisson ledict de Cran s'efforça occire en la ville de Paris, avant que l'an fust passé, dont vindrent de grosses follies, comme il est contenu ès Annalles d'Aquitaine et Croniques de France.

Messire Jehan de La Trémoille, filz puisné dudict messire Guy, fut comte de Jonvelles et premier chevallier de l'ordre de Jehan duc de Bourgongne, auparavant comte de Nevers, duquel a esté parlé au précédent article; aussi le fut du duc Phelippes son filz, et espousa la seur de messire Loys d'Ambayse, vicomte de Thouars, et seigneur d'Ambayse Montrichard et Blère, lesquelz décédèrent sans hoirs; pourquoy luy succéda ledict messire Georges de La Tremoille, chevallier, son frère, quequessoit

ses enfans.

duché de Bourgongne, duquel pays fut gouverneur. Il estoit seigneur de Cran, laquelle seigneurie luy estoit venue à cause de ceulx de Cran, dont j'ay parlé cy-dessus. Aussi fut seigneur de Lisle-Bouchart, et mourut sans hoyrs procréez de sa chair.

CHAPITRE II.

La nativité de messire Loys de La Trémoille; de ses meurs puérilles, et comment il y fut

nourry.

Quelque temps après le mariage de monsieur Loys de La Trimoille et de madame Margarite d'Ambayse, son espouse, elle fut enceincte du premier de ses enfans masles; et lorsque le souleil, qui est le cueur du ciel et l'œil du monde, repousoit en son trosne et siége de Libra, qui fut le vingtiesme jour de septembre de l'an 1460, ouquel an toute la monarche des Gaules estoit eureuse de paix, et habondoit en toutes bonnes fortunes, par les disposicions fatalles qui, soubz les bannières du roy Charles septiesme de ce nom, surnommé le Bien Fortuné, avoyent chassé et mis hors son royaulme de France, les anciens ennemys de l'honneur françoys, usurpateurs de leurs seigneuries et envieux de leurs redoutables ceptres et couronnes, celle illustre dame Margarite d'Ambayse enfanta d'ung beau filz; ce fut nostre chevallier sans reproche, duquel j'entends principallement escripre, et fut nommé Loys, sur les fons de baptesme. Son naistre engendra toutes manières de joys, lyesses et consolacions en la maison de monsieur son père et de tout son très-noble parentaige, parce que, par son excellente beaulté, doulceur et bénignité enfantine, donnoit jà ung espoyr aux cler-voyans qu'il seroit chevallier d'excellente vertuz, et que ce seroit la précieuse pierre Trimoillaise et Ambasienne, en laquelle reluyroit le cler et immaculé nom de ces deux anciennes maisons d'une aultre part les astronomes expérimentez disoyent que, veu le jour de sa nativité, il seroit appellé, par la disposition des corps célestes, au service des Roys, en leurs affaires civilz et pugniques, où il acquerroit hon neur de inextimable louange, et prandroit alliance par mariage avec le sang royal.

Ledict messire Georges fut en son vivant ung des plus beaulx hommes que on eust sceu veoyr, et si estoit hardy chevallier et droict homme; il fist de grans services au roy Charles VII, filz dudict Charles VI, au recouvrement de son royaulme contre les Angloys, et espousa madame Catherine de Lisle, dame de Lisle-Bouchart, de Rochefort et de plusieurs aultres terres et seigneuries: duquel mariage descendirent deux enfans, Loys et Georges. Ledict messire Loys fut marié avec dame Margarite d'Ambayse, fille dudict feu messire Loys d'Ambayse, vicomte Toutes ces choses donnèrent, oultre l'instinct de Thouars et seigneur d'Ambayse, Montri- de nature, une merveilleuse affection de le faire chard et Blère. Et au regard dudict messire songneusement alaicter et nourrir, jusques à ce Georges, ce fut ung hardy chevallier, qui fist qu'il eust passé son enfance, combien que dude grans services au roy Loys unziesme, filz rant ce temps madame Margarite d'Ambaise 2 dudict roy Charles VII, à la conqueste de la sa mère, eût de monsieur de La Trimoille, sen

espoux, trois aultres filz, savoir est: Georges, I de nature et l'imprudence de l'aage puérille,

Jaques et Jehan, tous approchans en beaulté et honnesteté de leur frère aisné Loys. Et dès ce qu'il sentit ung commancement de force et astuce puérille, qui suyt sans moyen l'imbécillité d'enfance, nature luy administra agillité et force correspondente à sa beaulté, avec ung arresté vouloyr de faire toutes choses appartenantes à gens qui veullent suyvir les armes et les cours des princes illustres, comme courir, saulter, luycter, gecter la pierre, tyrer de l'arc, et controuver quelques nouveaulx jeux et passetemps consonnans à l'estude militaire. Luy, ses frères et aultres nobles enfans de leurs aages, que leur père avoient prins en sa maison, et les entretenoit pour leur tenir compaignie, faisoyent assemblées et bandes en forme de bataille, et par les champs assailloyent petiz tigurions (1), comme s'ilz eussent baillé assault à une ville, prenoyent bastons en forme de lances, et faisoyent tous aultres passetemps approchans des armes monstrant que plus y avoyent leurs cueurs que aux grans lettres, fors le plus jeune nommé Jehan qui, dès son jeune aage, se desdia à l'Eglise, dont bien luy prinst, comme nous verrous cy-après.

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Tous les semy-dieux et semy-déesses du pays de Berry, voysins du Chasteau Bommiers, où estoit la demourance de ces très-nobles enfans, laissoyent leurs maisons et chasteaulx pour venir veoyr leurs passetemps tant honnestes, et entre aultres Loys l'aisné, lequel ilz monstroyent l'ung à l'aultre par admiration, car il estoit beau comme ung semi-dieu, son corps estoit de moienne stature, ne trop grant ne trop petit, bien organisé de tous ses membres, la teste levée, le front hault et cler, les yeulx vers, le nez moyen et un peu aquillée, petite bouche, menton fourchu, son tainct cler et brun, plus tirant sur vermeille blancheur que sur le noir, et les cheveux crespellez, reluysans comme fin or. Aussi avoit de si bonnes grâces qu'il emportoit le prix dessus ses frères et compaignons, tant pour mieux faire que par ruzes, cautelle et cler engin, dont il ne prenoit aucune gloire; mais en se humiliant, donnoit tousjours l'honneur (qu'il avoit jà aquis par l'oppinion et jugement de ceulx qui les regardoient) à ses compaignons : laquelle humilité empeschoit que envie ne s'engendrast de ses louables jeunesses en l'estomac de ceulx lesquelz il précédoit en bonne extime.

Ce Loys avoit une industrie contre la majesté

(1) Petites tours qui servaient à l'amusement des gentilshommes.

par laquelle chascun non seullement se contentoit de luy, mais l'auctorisoit en tous les faictz de jeunesse, en sorte que ceulx de son aage en faisoyent leur chief et seigneur, et n'avoient bien ne joye hors sa compaignée. Chascun estimoit ses père et mère eureux de telle génération; et ne apportèrent moins d'espoir au pays de France les meurs de sa prudente jeunesse que celle de plusieurs jeunes Rommains, tant en petites ruses, que noblesse de cueur, et entre aultres de Prétextatus qui, pour contanter sa mère l'infestant déclairer le secret du sénat qu'il avoit ouy en la compaignée de son père, auquel le celler avoit esté adjoint, luy donna, contre vérité entendre, que le sénat avoit ordonné que les hommes auroyent doresnavant plusieurs femmes pour multiplier et augmenter la généracion rommaine; dont il fut tant bien louhé du sénat, que le lendemain le sénat, assailly par les femmes rommaines pour rompre ceste supposée loy, extimèrent très-fort l'obédience du filz, tant envers sa mère que le sénat; autant en feit ce noble Loys envers madame sa mère qui vouloit tirer de luy ce qu'il avoit sceu de monsieur son père en secret, et dont il avoit défense.

En ce temps y avoit de grans discors civilz entre le roy Loys unziesme de ce nom et les princes de son sang, qui tendoient à le priver de ceptre et couronne; et quant ce jeune Loys en oioyt parler, disoit, à l'exemple de Mare Caton Utisence contre Syla, aux temps des prescriptions rommaines : Si j'estois avec le Roy je me essaieroys de le secourir; et que autrefoiz bailla ung soufflet à un de ses compaignons qui soustenoit la querelle des princes mutinez contre le Roy, ainsi que feit Cayus Cassius à Fauste, filz de Syla, qui collaudoit les cruelles prescriptions de son père; lesquelles choses estoient présage qu'il seroit de la couronne lylialle défenseur, et des injures royalles propulseur.

Pour avoir passetemps avoit oyseaulx de proye et chiens pour chasser à bestes rousses et noyres, où souvent prenoit labeur intempère, et jusques à passer les jours sans boyre et manger, depuis le plus matin jusques à la nuyt, combien qu'il n'eust lors que l'aage de douze ans ou environ.

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père de l'envoyer au service du Roy; et avec un jeune paige, prinst chemin pour y aller.

Le roy de France Loys XI, qui estoit prudent et prenoit gens à son scervice selon son'imaginacion, fut adverty des meurs de Loys de La Trimoille et de sa prudente jeunesse, qui donnoyent une actende de bon cappitaine en l'advenir; et considérant que la première origine de ceulx de La Trémoille estoit de Bourgongne, et que Charles, lors duc de Bourgongne, estoit ennemy de France, et pourroit retirer ce jeune seigneur Loys de La Trimoille, manda à monsieur son père, par quelque gentilhomme de sa maison , qu'il vouloit avoir son filz aisné pour le servir, et qu'il luy envoyast. Le père fut fort troublé de telle nouvelle, et, congnoissant la complexion du Roy, ne sçavoit quelle responce faire, pour deux raisons: l'une qu'il ne vouloit que son filz se esloignast de luy, parce que c'estoit toute sa consolacion; l'autre que le Roy, quelque temps auparavant, avoit mis en sa main la vicomté de Thouars, et aussi aultres seigneuries qui appartenoyent à messire Loys d'Ambayse, père de son espouse, dont il avoit donné partie à la dame de Momsoreau (1) et à messire Jaques de Beaumont, chevalier seigneur de Bressuyre, pour quelque imaginacion qu'il eut contre ledict d'Ambayse, à la raison de ce que on luy raporta qu'il avoit parlé seullement au duc de Bretaigne. Et pour ces causes fist responce au messagier que son filz estoit encores bien jeune pour porter les labeurs de la court, et que dedans ung an pour le plus loing, luy envoyeroit, en le merciant de l'honneur qu'il luy faisoit, dont le filz fut adverty, lequel y vouloit bien aller.

Ung jour advinst bien tost après que luy, Georges et Jaques, ses frères, en la compaignée des veneurs de leur père et d'aulcuns gentilshommes, à l'heure que aurore avoit tendu ses blanches courtines pour recepvoir le clerjour, partirent du chasteau de Bommiers pour aller chasser aux bestes rousses. Si trouvèrent ung grant cerfqu'ilz entreprindrent prandre à course de chiens et chevaulx, se mirent après par boys et fourestz, et se séparèrent pour mieulx le trouver. Le désir de prandre le cerf leur fist perdre le souvenir de boyre et manger, et l'appétit de toutes viandes, en sorte que le souleil approchant de l'Occident, doubloit et croissoit leurs umbres. Et tost après l'ombre de la nuyt commença à chasser la reluysance du jour, en

(1) Nicole de Chambes, dame de Montsoreau.

sorte qu'ilz se perdirent l'ung l'autre à la course; et demoura Loys, seul en une grande fourest, courant après le cerf qu'il perdit pour l'obscurité de la nuyt. Ses deux frères prindrent le vray chemin avec les veneurs, lesquelz, conjecturans que Loys se fût retiré des premiers au chasteau, se retirèrent, et y arriverent environ dix heures de nuyt, tous affamez et marriz d'avoir perdu leur proye; mais plus furent courroussez de ce qu'ilz ne trouvèrent Loys, voyans au nombre des gens de leur compaignée, que seul estoit demouré par les boys, en dangier de sa personne. Parquoy les veneurs et autres serviteurs du chasteau, s'en allèrent à diverses pars, pour le trouver, ce qu'ilz ne feirent jusques à la poincte du jour. Comme on le serchoit, environ la mynuit que Somnus avec ses pesantes helles descend ou cerveau de l'homme et embrasse toutes les créatures en leur repos, leur deffendant de parler, le jeune Loys, se voyant sans compaignée, fors des oyseaux nocturnes qui bruyoient par la forest, l'issue de laquelle ne povoit trouver, descendit de dessus. son cheval qu'il atacha à ung arbrisseau près ung fort buisson, où il trouva une grosse souche, de laquelle après se estre estendu sur la froide et humide terre, toutesfoys couverte de fueilles, fist ung chevet où il s'endormit.

Le jeune seigneur de La Trémoille s'estant réveillé, monta sur son cheval, et fist tant que, environ le poinct du jour, arriva seul au chasteau de Bommiers. Les père et mère, qui encores repousoyent en leurs lictz, sceurent la venue de leur filz et, non monstrans aucun semblant de son labeur, dont ilz furent joyeulx, commandèrent le traicter comme appartenoit, ce qu'on fist à diligence. Et après avoir beu et mangé, avant le lever de son père, prinst ung jeune gentilhomme, nommé Odet de Chazerac, que fort il aymoit, et luy dist : « Chazerac, » mon amy, tu es le secret de mon cueur, et >> la teneur des lettres clouses de ma secrète pensée parquoy je te veulx dire un project que j'ay fait cette nuyt, te priant de ne le révéler. Lors luy déclaira au long ce qu'il avoit délibéré, par opinion arrestée, de demander congié à son père pour aller au service du Roy, et en son reffus s'en aller, interrogeant Odet de Chazerac s'il vouldroit aller avec luy : ce qu'il luy accorda.

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