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rait bien être fils de Jean de Troyes, grand-mai- | tre d'artillerie sous Charles VII; cette opinion est fort incertaine. Ce que nous savons de plus positif, c'est que l'auteur, à l'époque où il écrivit cette histoire, était, comme il le dit lui-même, au trentecinquiesme an de son âge. Le style de Jean de Troyes se distingue par une simplicité charmante et une élégance naïve. Nos prédécesseurs ont reproduit le texte de l'édition de 1611, après l'avoir com

paré à celui d'un manuscrit du 15e siècle (1) qui présentait des passages inédits; nous nous en tenons à cette version. Nous avons laissé subsister quelques notes de Jean Godefroy. Nous renvoyons aux Mémoires de Comines pour certains faits inexactement rapportés dans la Chronique du greffier de l'Hôtel-de-Ville.

(1) Bibliothèque française, M. (3., no 9689.

LES CHRONIQUES

DU

TRES CHRESTIEN ET TRÈS VICTORIEUX

LOUYS DE VALOIS,

FEU ROY DE FRANCE (QUE DIEU ABSOLVE),

UNZIESME DE CE NOM;

AVECQUES PLUSIEURS AULTRES ADVENTURES ADVENUES TANT EN CE ROYAULME DE FRANCE, COMME ÈS PAYS VOISINS, DEPUIS L'AN 1460 JUSQUES EN L'AN 1483 INCLUSIVEMENT.

PREMIÈRE PARTIE.

rance, et adresser ce que y seroit mal mis ou escript; car plusieurs desdites choses et merveilles sont advenuës en tant de diversitez et façons estranges, que moult pénible chose auroit esté à moy, ou aultre, de bien au vray et au

A l'honneur et loüange de Dieu nostre doulx | Saulveur et Rédempteur, et de la bénoiste, glorieuse Vierge et pucelle Marie, sans le moyen desquels nulles bonnes œuvres ou opérations ne peuvent estre conduictes. Et pour ce aussi que plusieurs roys, princes, comtes, barons, pré-long eseripre la vérité des choses advenues du

lats, nobles hommes, gens d'église, et aultre populace, se sont souvent délictez et délictent à ouyr et escouter des histoires merveilleuses, et choses advenuës en divers lieux, tant de ce royaulme que d'aultres royaulmes chrestiens. Au trente cinquiesme an de mon aage me délectay en lieu passer temps et deschever (1) oysiveté à escripre et faire mémoire de plusieurs choses advenües au royaulme de France, et aultres royaulmes voisins, ainsi qu'il m'en est peu souvenir. Et mesmement depuis l'an 1460, que régnoit à roy de France Charles septiesme de ce nom, jusques au trespas du roy Louys unziesme de ce nom, fils dudit roy Charles, qui fut le pénultiesme jour du mois d'aoust, l'an 1483, combien que je ne vueille ne n'entens point les choses cy après escriptes estre appelées, dictes ou nommées chroniques, pource que à moy n'appartient, et que pour ce faire n'ay pas esté ordonné et ne m'a esté permis; mais seulement pour donner aucun petit passe-temps aux lisans, regardans, ou escoutans icelles. En leur priant humblement excuser et supployer à mon igno

(1) Eviter.

rant ledit temps.

Et premièrement, touchant le faict et utilité de la terre durant ladicte année 1460. Au regard et tant que touche le terroüer et finaige du royaulme de France, il y creut compectamment de blez, qui furent bons et de garde, et et n'en fut point vendu au plus chier temps de ladicte année que vingt-quatre sols parisis le septier; mais il n'y creust que bien peu de fruict. Et au faict des vignes il y eut bien peu de vin, et par espécial en l'Isle de France, comme d'un muy de vin pour chascun arpent, mais il fut bien bon, et se vendit chier le vin crou ès bons terroüers d'entour Paris, comme de dix et unze escus chacun muy.

En ce temps fut faicte justice et grande exécution audit lieu de Paris, de plusieurs povres et indigentes créatures, comme de larrons, sacriléges, pipeurs et crocheteurs. Et pour lesdits cas plusieurs en furent batus au cul de la charrecte pour leurs jeunes âges et premier meffaict, et les aultres pour leur mauvaise coustume et persévérance furent pendus et estranglez au gibet de Paris, nommé Montigny, nouvelle créé et estably pour la grande vieillesse, ruyne et

décadence du précédent et ancien gibet nommé | René de Cecille et de Ihérusalem, et du prince Montfaulcon.

Audit temps fut faict mourir et enfouye toute vive audit lieu de Paris, une femme nommée Perrette Mauger, pour occasion de ce que ladicte Perrette avoit fait et commis plusieurs larrecins, et en ce faisant par long-temps continué, et aussi favourisé et recellé plusieurs larrons, qui aussi faisoient et commectoient plusieurs et divers larrecins audit lieu de Paris, lesquels larrecins pour lesdits larrons vendoit et distribuoit, et l'argent que de ce elle recepvoit, en bailloit et délivroit ausdits larrons leur portion, et pour elle en retenoit son butin. Pour lesquels cas et aultres par elle confessez fut condamnée par sentence donnée du prévost de Paris, nommé messire Robert Destouteville, chevalier, à souffrir mort et estre enfouye toute vive devant le gibet, et tous ses biens acquis et confisquez au Roy de laquelle sentence et jugement elle appella formellement en la cour de parlement, pour révérence duquel appel fut différé à exécuter. Et après que par ladicte court le procez d'icelle eut esté veu et visité fut dit par arrest d'icelle, et en confermant ladicte sentence, que ladicte Perrette avoit mal appellé et l'amanderoit, et que ladiete sentence seroit exécutée : ce qui fut dit à icelle Perrette, laquelle déclaira lors qu'elle estoit grosse, parquoy fut de rechief différé de l'exécuter. Et fut faiet visiter par ventrières et matrosnes, qui rapportèrent à justice qu'elle n'estoit point grosse. Et incontinent ledit rapport fait fut envoyée exécuter aux champs devant ledit gibet, par Henry Cousin, exécuteur de la haulte justice audit lieu de Paris.

Merveilles advenuës au royaulme d'Angleterre en ladicte année.

En ce temps passa la mer en Angleterre un légat de Rome, légat de par le Pape, qui illec prescha le peuple du pays. Et par espécial en la ville de Londres, maistresse ville dudit royaulme, là où il fist plusieurs remonstrances aux habitans dudit lieu et aultres d'environ, contre et au préjudice du roy Henry d'Angleterre, lesquelles remonstrances le cardinal d'Yorth qui accompagnoit ledit légat après ladicte exposition par lui exposée en leur langage. Et tantost après ladicte exposition faite, ledit peuple qui estoit assez de légière créance se esmeut pour faire guerre allencontre dudit roy Henry de Lancastre et de la Royne (1) sa femme, fille du roy

(1) Marguerite d'Anjou.

se

de Galle leur fils. Et print ledit populaire pour leur capitaine le comte de Warwich, qui estoit capitaine de Calais, pour et au lieu de Richard duc d'Yorth, qui vouloit et prétendoit à estre roy dudit royaulme, qui maintenoit à luy duyre et compecter ledit royaulme d'Angleterre, comme prouchain héritier de la lignée et du cousté du roy Richard. Et peu de temps après ledit due d'Yorth qui avoit après luy grand nombre de populaires en armes, misrent aux champs et vindrent en un parc où estoit illec ledit roy Henry avec plusieurs ducs, princes, et aultres seigneurs, aussi tous en armes. Et auquel parc y avoit huit entrées, qui estoient gardées par huit barons dudit royaulme, qui tous estoient traistres audit roy Henry. Lesquels huit barons, quant ils sceurent venir le duc d'Yorth devers ledit parc, le laissèrent entrer en icelluy avec le comte de Warwich et autres, qui vindrent tout droit où estoit ledit roy Henry, lesquels ils prindrent et saisirent. Et incontinent ce fait, vindrent tuer plusieurs princes et aultres grands seigneurs de son sang qui estoient autour de luy. Et ces choses faictes ledit comte de Warwich print ledit Henry et l'amena tout droit en la ville de Londres, et portoit l'espée nuë devant ledit Henry comme son connestable. Et quand icelluy roy Henry de Lancastre fut audit lieu de Londres, il le mena tout droit devant la tour dudit Londres, dedans laquelle tour estoient quatre barrons dudit pays pour ledit Henry. Ausquels ledit Henry et Warwich parlèrent par belles paroles, les tirèrent hors de la tour, après ce qu'ils leur prosmirent qu'ils ne auroient nul mal de leurs personnes, et qu'ils les asseuroient lesquels soubs umbre de leurs dictes promesses yssirent hors de ladicte tour. Et ainsi qu'on menoit lesdits quatre barons après ledit Henry et Warwich, plusieurs de ladicte ville de Londres s'esmurent et vindrent tuer l'un desdits quatre barons, nommé le seigneur Descalles, et luy baillèrent plusieurs coups orbes. Et le lendemain ils firent escarteller lesdits aultres barons devant ladicte tour de Londres, nonobstant lesdictes promesses ainsi à eux faictes. Et s'y fie qui vouldra.

Audit temps advint en la cité de Paris un grant débat entre les gens et officiers du Roy en sa chambre des aides à Paris, et un des bedeaux de l'Université d'icelle ville, pour un exploict fait par icelluy bedeau à l'encontre de deux conseillers de ladicte chambre des aydes, pour lequel exploict ledit bedeau fut constitué prisonnier en la conciergerie du Palais-Royal audit lieu de Paris. Dont ceulx de ladicte Uni

versité furent moult desplaisans, et pour le ravoir firent cessations en ladicte ville de preschier, lire et estudier. Et après furent appointez, et fut restably et demourèrent contens.

Audit temps advint à Paris aussi qu'un nommé Anthoine le bastard de Bourgogne vint et entra en ladicte ville de Paris en habit mescognu, et n'y séjourna que un jour et une nuit et puis s'en retourna. Et quant il fut sceu qu'il estoit ainsi venu en ladicte ville, plusieurs officiers du Roy et gens de façon d'icelle, furent fort imaginatifs comment ne pourquoy il estoit ainsi venu que dit est. Et de ladicte venuë en furent portées les nouvelles au Roy par aucuns qui en parlèrent à la charge de ladicte ville, qui n'y avoient aucune coulpe. Et pour ceste cause et à grant haste le Roy envoya audit lieu de Paris son mareschal seigneur de Loheac (1), et maistre Jehan Bureau thrésorier de France, pour pourveoir et donner provision audit donné à entendre. Et affin que le Roy n'eust aucune imagination que ceulx de ladicte ville de Paris eussent aucune coulpe ou charge à ladite venuë, luy fut envoyé de par ladicte ville une ambaxade, ou estoient maistre Jehan de Lolive docteur en théologie et chancelier de l'église de Paris, Nicolas de Louviers, sire Jehan Clèrebourg général maistre des monnoyes, sire Jehan Luilier clerc de ladicte ville, Jacques Rebours procureur d'icelle, Jehan Volant marchant, et aultres, tous lesquels le Roy receupt bénignement. Et après leur propos fait servant à leur excusation fut le Roy très content d'eulx,et leur fist bonne et gracieuse response, et s'en retournèrent joyeusement à Paris dont ils estoient partis.

En ce temps messire Robert Destouteville chevalier, qui estoit prévost de Paris, fut mis et constitué prisonnier en la bastille Sainct-Anthoine à Paris. Et depuis au Louvre par l'ordonnance desdits seigneurs de Loheac, maistre Jehan Bureau, pour aucunes injustices ou abus qu'on luy mettoit sus, qu'il faisoit en exerçant sondit office, dont de ce ne fust point attaint. Et lors par maistre Jehan Advin, conseiller lay en la court de parlement, furent faits plusieurs exploits en l'ostel dudit Destouteville: comme de chercher boistes, coffres et aultres lieux, pour sçavoir se on y trouveroit nulles lettres, et fist plusieurs rudesses audit ostel à dame Ambroise de Loré, femme dudit Destouteville, qui estoit moult saige, noble et honneste dame, Dieu de ses exploicts les vueille pugnir, car il le a bien desservy (2).

(1) André de Laval, de la maison de Montmorency. (2) Mérité.

En ladite année furent les rivières de Seine et Marne moult grandes, tellement que en une nuit ladicte rivière de Marne creust et devint si grande à l'environ de Sainct-Mor-des-Fossez, comme de la haulteur d'ung homme, et fist plusieurs grands dommages en divers lieux. Et entre les aultres dommages ladicte rivière vint si grande à un village nommé Claye, et en un hostel illec estant qui est à l'évesque de Meaulx, qu'elle en emporta toute la massonnerie du devant dudit hostel où il avoit deux belles tours

nouvellement basties, dedans fesquelles y avoit de belles chambres bien nattées, voires bien garnies de lict, tapisseries et aultres choses qui tout en emporta ladicte rivière.

En ce temps advint en Normandie que le corps de l'église de Fescamp, par malle fortune et feu d'adventure qui vint de la mer devers les Marches de Cornoualle, se bouta au clochier d'icelle abbaye, qui fut tout brùlé et ars, et furent les clochers d'icelle abbaye toutes fondues et mises en une masse, qui fut moult grant pitié en ladicte abbaye.

Audit temps furent grandes nouvelles par tout le royaulme de France et en aultres lieux, d'une jeune fille de l'aage de dix-huict ans ou environ, qui estoit en la ville du Mans, laquelle fist plusieurs folies et grandes merveilles, et disoit que le diable la tourmentoit, et sailloit en l'air, crioit et escumoit, et faisoit moult d'aultres merveilles, en abusant plusieurs personnes qui l'alloient voir; mais en fin on trouva que ce n'estoit que tout abus, et qu'elle estoit une meschante folle, et faisoit lesdictes folies et diableries par l'ennortement, conduicte et moyen d'aucuns des officiers de l'évesque dudit lieu du Mans, qui la maintenoient et en faisoient tout ce que bon leur sembloit, et qui ausdites folies faire l'avoient ainsi duicte (3).

Audit temps advint de rechief audit royaulme d'Angleterre après que la desconfiture devantdite ait esté faite par le comte de Warwich, que le duc de Sommerset, cousin dudit roy Henry d'Angleterre, accompaigné de plusieurs aultres jeunes seigneurs parens et héritiers des aultres princes et seigneurs qui estoient et avoient esté tuez à la prise dudit roy Henry de Lancastre, firent de grands amas de gens-d'armes et vindrent tenir les champs à l'encontre dudit duc d'Yorth, et tant firent qu'ils le vindrent trouver en un champ luy et sa compaignie, qui furent tuez. Et audit champ nommé les plaines SainctAlbans fut tué ledit duc d'Yorth; après qu'il

(3) Instruite.

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