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SUR MASCARON.

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Jules Mascaron, connu des littérateurs par son Oraison funèbre de Turenne, souvent comparée au chef-d'œuvre de Fléchier, fut un des plus célèbres prédicateurs du siècle de Louis XIV. Il naquit à Marseille en 1634. Son père, avocat au parlement d'Aix, avait à cœur de perpétuer dans sa famille les talents oratoires qu'il possédait luimême. Une éducation très-soignée développa bientôt les dispositions naturelles du fils; mais celui-ci préféra l'éloquence de la chaire à celle du barreau, et entra dans la congrégation de l'Oratoire. Ses premières prédications eurent tant de succès à Saumur, que le savant Tanneguy le Fèvre, quoique protestant, ne put s'empêcher de dire : «< Rien « de plus éloquent que ce jeune orateur : tout son extérieur répond « au ministère qu'il exerce. Ses discours sont écrits avec élégance; l'expression en est choisie, le récit clair, les ornements de bon goût; << il instruit, il plaît, il touche. La fleur de notre jeunesse (protestante) s'y porte en foule. Je me fais gloire d'y assister sans le moindre déguisement, et non pas comme quelques-uns des nôtres, qui, affligés de ses succès, n'y vont que la tête cachée sous leur manteau. « Malheur à ceux qui prêcheront ici après Mascaron! » Sentence qu'on n'admettrait pas aujourd'hui sans de grandes restrictions. Mascaron parcourut ensuite les principales villes de province avec des succes toujours croissants; mais les suffrages de la capitale pouvaient seuls établir solidement sa réputation comme orateur chrétien. Ses talents lui concilièrent à Paris la stérile approbation des connaisseurs, comme son zèle apostolique avait touché les cœurs dans ses précédents auditoires. Il prêcha à la cour de Versailles douze stations consécutives; et les hommes qui avaient déjà entendu les premiers essais de Bossuet furent encore captivés par l'éloquence de Mascaron. C'est, à vrai dire, le seul rapprochement que puissent faire entre l'un et l'autre les hommes qui aiment le plus ces sortes de parallèles. Un prédicateur ordinaire peut quelquefois, par des avantages accessoires, disputer à l'homme de génie la vogue d'une capitale : mais le temps remet les renommées à leur place; et, après un ou deux siècles, le nom de Bossuet brille d'un éclat immortel, tandis que bien des gens savent

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à peine ce que fut Mascaron; souvent même la postérité pousse trop loin son indifférence, comme les contemporains avaient accordé trop ĺégèrement leur admiration. Après avoir prêché à la cour l'Avent de 1666, lorsqu'il alla prendre congé du roi : « C'est moi, mon père, << lui dit le monarque, qui vous dois des compliments. Vos sermons << m'ont charmé: vous avez fait la chose du monde la plus difficile, qui << est de contenter une cour aussi délicate. » A l'époque où Louis XIV, esclave de ses passions, donnait de grands scandales, Mascaron, prêchant devant lui, sur la parole de Dieu, le premier dimanche du Ca. rême de 1569, ne craignit point de rappeler la mission du prophète Nathan, chargé de la part du Seigneur d'aller annoncer à David la punition de son adultère; et il accompagna ce trait de ces paroles que saint Bernard adressait aux princes : « Si le respect que j'ai pour << vous ne me permet de dire la vérité que sous enveloppes, il faut «< que vous ayez plus de pénétration que je n'ai de hardiesse ; que vous entendiez plus que je ne vous dis, et qu'en ne vous parlant pas plus << clairement, je ne laisse pas de vous dire ce que vous ne voudriez pas qu'on vous dit. Si avec toutes ces précautions et tous ces ménage«ments la vérité ne peut vous plaire, craignez qu'elle ne vous soit ôtée, et que Jésus-Christ ne venge sa parole outragée ! » Les courtisans ayant cherché à envenimer ce trait de hardiesse devant le roi, Louis XIV leur ferma la bouche, en leur disant : « Le prédicateur a << fait son devoir; c'est à nous à faire le nôtre. » Lorsque Mascaron se présenta devant lui, ce prince, loin de témoigner le moindre ressentiment, le remercia de l'intérêt qu'il prenait à son salut, lui recommanda d'avoir toujours le même zèle à prêcher la vérité, et de l'aider, par ses prières, à obtenir de Dieu la victoire sur ses passions. On ne sait, dit le père de la Rue en rapportant ce trait, ce qu'on doit admirer le plus ici, de la droiture du roi ou de celle de son prédicateur, à qui l'on appliqua ces paroles du prophète : Loquebar de testimoniis tuis in conspectu regum, et non confundebar. Mascaron obtint de Louis XIV l'évêché de Tulle; et ce prince lui dit, après le sermon d'adieu qui précéda son départ : « Dans vos autres sermons « vous nous avez touchés pour Dieu; hier vous nous touchâtes pour « Dieu et pour vous. » Ce qui prouve qu'on chérissait la personne du prédicateur autant qu'on goûtait son éloquence. En 1671 le roi lui commanda deux oraisons funèbres, qui devaient être prononcées à deux époques très rapprochées. On fit observer à Louis XIV que cette double commission pouvait devenir embarrassante pour l'orateur : « Songez, répondit-il, que c'est l'évêque de Tulle; à coup sûr il s'en

tirera bien. » Ces tours de force n'ont rien par eux-mêmes de merveilleux; et le monarque fit beaucoup plus d'honneur aux talents et aux vertus de Mascaron en le nommant à l'évêché d'Agen, dans l'es. poir que son zèle vraiment évangélique pourrait ramener à l'Église les calvinistes de ce diocèse : on en comptait trente mille. Le succès répondit à l'attente du roi : la douceur du prélat, sa conduite irréprochable, et ses bonnes œuvres, opérèrent un grand nombre de conversions. Il se montrait partout à la tête des missions, encourageant ses collaborateurs par son exemple, réprimant par sa prudence le zèle indiscret de quelques religieux, dont les discours auraient pu aliéner les esprits et donner une fausse idée de la religion catholique. Ce fut par de tels procédés qu'il parvint à faire rentrer dans le bercail le plus grand nombre de brebis égarées. Il fonda à Agen un hôpital, qui fait encore aujourd'hui bénir sa mémoire. Rappelé à la cour en 1694, Mascaron n'y fut pas moins applaudi que dans les jours les plus brillants de sa jeunesse. Louis XIV lui dit : « Il n'y a que votre éloquence qui ne vieillit point; » flatterie charmante dans la bouche d'un grand monarque, devant qui Mascaron avait proclamé souvent d'austères vérités. Le prélat passa les derniers jours de sa vie dans son diocèse, où il mourut en 1703, à l'âge de soixante-neuf ans. Ses Oraisons funèbres ont été recueillies par le père Borde, de l'Oratoire, en 1740, in-12. Son chef-d'œuvre est l'Oraison funèbre de Turenne; on distingue aussi celle du chancelier Séguier; les autres sont fort défectueuses, et soutiennent mal la réputation que l'orateur obtint de son vivant.

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« Si l'on avait à prononcer, dit M. Dussault, quelle est la plus éloquente et la plus belle des oraisons funèbres de Bossuet, on pourrait balancer entre quelques-uns de ses discours; et les décisions du goût justifieraient peut-être l'embarras de l'admiration : mais Fléchier et Mascaron se sont élevés beaucoup au-dessus d'eux-mêmes dans l'éloge du maréchal de Turenne, où la noblesse du sujet paraît avoir agrandi la mesure de leur talent. Les applaudissements qu'ils reçurent retentissent encore; ce fut Mascaron qui parla le premier. « M. de Tulle, dit << madame de Sévigné, a surpassé tout ce qu'on attendait de lui dans "l'oraison de M. de Turenne; c'est une action pour l'immortalité. » Elle ajoute dans la lettre suivante : « On ne parle que de cette admi<< rable oraison funèbre de M. de Tulle; il n'y a qu'un cri d'admiration « sur cette action. Son texte était : Domine, probasti me, et cog« novisti me; et cela fut traité divinement. J'ai bien envie de la voir « imprimée. » Madaine de Sévigné se trompe ici sur le texte. Ailleurs

elle demande à sa fille si elle a reçu cette oraison funèbre; puis elle s'écrie: « Il me semble n'avoir jamais rien vu de si beau que cette

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pièce d'éloquence. On dit que l'abbé Fléchier veut la surpasser; « mais je l'en défie. Il pourra parler d'un héros, mais ce ne sera pas « de M. de Turenne, et voilà ce que M. de Tulle a fait divinement, à mon gré : la peinture de son cœur est un chef-d'œuvre. Je vous « avoue que j'en suis charmée; et si les critiques ne l'estiment plus depuis qu'elle est imprimée, je rends grâces aux dieux de n'étre pas Romain. » Il paraît que madame de la Fayette n’applaudissait pas au discours de Mascaron autant que madame de Sévigné. C'est M. de Sévigné qui le fait entendre dans une de ses lettres. «< Je « me révolte, dit-il, contre ce qu'elle nous mande de l'oraison funèbre de M. de Tulle, parce que je la trouve belle, et très-belle. » Madame de Sévigné reprend dans un autre endroit : « Je n'ai point eu l'oraison funèbre de Fléchier: est-il possible qu'il puisse contester à «M. de Tulle? Je dirais là-dessus un vers du Tasse, si je m'en souvenais. » Enfin ce discours lui parvient, et elle exprime ainsi son sentiment en connaissance de cause : « En arrivant ici, madame de « Lavardin me parla de l'oraison funèbre de Fléchier. Nous nous la « fimes lire, et je demande mille et mille pardons à M. de Tulle; mais il me parut que celle-ci était au-dessus de la sienne je la «< trouve plus également belle partout; je l'écoute avec étonnement, « ne croyant pas qu'il fût possible de dire les mêmes choses d'une << manière toute nouvelle. En un mot, j'en fus charmée. » On voit que madame de Sévigné, si prévenue d'abord en faveur du discours de Mascaron, accorde, sans détour et sans réserve, la préférence à celui de Fléchier. Ce jugement a été confirmé par la postérité. L'oraison funèbre de Fléchier est supérieure à celle de Mascaron; elle est plus également belle partout. L'exorde seul suffirait pour lui assurer le premier rang : cet exorde est une inspiration d'un bonheur singulier, et un morceau d'une perfection rare; rien, dans Mascaron, n'en approche. C'est la fortune de Fléchier d'avoir rencontré cette idée si heureuse; mais il appartenait à son goût de la bien mettre en œuvre, de la faire valoir, de ne lui rien ôter de son prix, de ne la point gâter tel est le privilége du goût. Si la même pensée était échue à Mascaron, peut-être sous sa plume eût-elle perdu beaucoup de son éclat et de sa beauté. Sa manière n'est pas, à beaucoup près, aussi sûre que celle de Fléchier; mais, dans les pages où il est irréprochable, où nul regret ne corrompt et n'altère le plaisir qu'il cause, quoique toujours d'une pureté moins parfaite, d'une élégance moins,

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exquise que celle de son rival, il le domine par d'autres mérites : il a plus de feu, plus de verve, plus de rapidité, plus de véhémence; son style est plus mâle et plus plein, son expression plus profonde, son trait plus énergique. S'il a moins de grâce que Fléchier, il a aussi moins d'apprêt; s'il ne connaît pas aussi bien que lui toutes les ress'il est sources de l'art, il en étale moins les prétentions et le faste; plus négligé, il est plus naturel, moins compassé, moins symétrique : il paraît avoir plus de génie, et Fléchier plus d'esprit et de finesse. L'un suivit habilement le progrès des esprits et des lettres, et lui dut en partie ses perfections; l'autre resta comme immobile, comme enchaîné dans les liens des anciennes habitudes, auxquelles ses défauts appartiennent, et ne dut ses beautés qu'à lui-même. »

M. Villemain a fait aussi, dans son Essai sur l'Oraison funèbre, le parallèle des deux panégyristes de Turenne. « L'ouvrage de « Fléchier, dit-il, est le chef-d'œuvre d'un art qui s'élève quelquefois «<jusqu'au génie; celui de Mascaron semble l'ébauche brillante du génie, souvent égaré par un faux goût. Mascaron donne plus d prise à la censure. Il est moins soigné que Fléchier, et, comme lui il tombe dans l'affectation. Il a tous les défauts de son rival; et d'au<< tres plus choquants, parce qu'ils sont bizarres. Mais quelquefois «< il s'élève, il s'anime: alors il est grand, et montre une âme élo

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<< quente; sa diction même s'épure, et paraît avoir quelque chose de naturel, d'énergique et de précis, qui n'exclut pas l'élégance, et qui vaut mieux que l'harmonie. »

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