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NOTICE

SUR FLÉCHIER.

FLÉCHIER (ESPRIT) naquit à Permes le 10 juin 1632, de parents obscurs et pauvres, mais dont les aïeux avaient été nobles; et il fut élevé par son oncle, le père Hercule Audifret, supérieur général de la Doctrine chrétienne, homme d'esprit et de mérite. Fléchier, tant que son oncle vécut, fut membre de la congrégation; mais, après la mort d'Audifret, un autre général voulut imposer à ses confrères de nouveaux réglements, auxquels Fléchier ne jugea pas à propos de se soumettre.

Devenu libre, mais sans fortune, et sans autre ressource que luimême, Fléchier vint à Paris. Il fut d'abord poëte, et commença par l'être en vers latins, dans une description qu'il fit du fameux carrousel donné par Louis XIV. Cette description fit d'autant plus d'honneur au poëte, qu'il était très-difficile d'exprimer dans la langue de l'ancienne Rome un genre de divertissement et de spectacle que l'ancienne Rome n'avait pas connu, et pour lequel Virgile et Ovide auraient été presque obligés de créer une langue nouvelle. Fléchier fit aussi quelques vers français, qu'on trouva plus médio. cres, peut-être parce qu'on était plus en état de les juger: cependant ils furent reçus avec une indulgence qui pouvait même passer pour justice, parceque alors on n'en lisait guère de meilleurs : Corneille vieillissait, Despréaux se montrait à peine, et Racine n'existait pas

encore.

Comme le jeune poëte, malgré les talents qu'il annonçait, était sans protecteurs, parce qu'il était sans manége et sans intrigue, il fut réduit à se confiner dans une paroisse, où cet homme, destiné à briller un jour par son éloquence, fut chargé du modeste emploi de faire le catéchisme aux enfants. Il se dégoûta bientôt de cette fonction, pour en prendre une autre plus fastidieuse encore, celle de précepteur. Enfin, après avoir essayé tant d'états différents et tant de genres de travaux auxquels il n'était pas propre, l'impulsion opiniâtre et irrésistible de la nature le fit entrer dans la véritable carrière qui convenait à son génie. Il se livra au ministère de la chaire, et s'y fit une réputation à laquelle il mit le comble par ses

oraisons funèbres. Dans les deux premières qu'il prononça, la matière était sèche et stérile; néanmoins, sans avoir recours aux lieux communs de morale, le refrain éternel et l'écueil ordinaire de ces sortes de discours, il sut intéresser un auditoire par des vérités utiles et touchantes, élégamment et noblement exprimées. Mais un sujet plus grand, plus digne de l'exercer, était réservé à son éloquence. Il fut chargé de l'oraison funèbre de Turenne, et remplit de la manière la plus distinguée tout ce que son héros et ses talents faisaient attendre de lui. Il était difficile de louer dignement aux yeux de la nation cet homme déjà loué d'une manière si touchante par les gémissements de la France entière, par le trouble et l'effroi des peuples qui fuyaient les campagnes dont il n'était plus le défenseur, par le désespoir des soldats qui criaient à leurs chefs de les mener venger sa mort, par le respect des ennemis qui honoraient en lui le vainqueur humain et généreux, enfin par les regrets même des courtisans que sa modestie forçait à lui pardonner sa gloire. Organe de la douleur publique, qui, rassasiée de pleurs, ne s'exprimait plus que par son si'ence, Fléchier sut encore en tirer quelques accents, et faire couler de nouveau des larmes qu'elle croyait taries. Ce succès fut d'autant plus flatteur, qu'il effaça celui qu'avait obtenu Mascaron, évêque de Tulle, en traitant le même sujet. Ceux qui avaient entendu et applaudi ce dernier orateur ne croyaient pas qu'on pût l'égaler, et lui annonçaient déjà la victoire sur son rival. Bien préparés contre l'admiration, ils allèrent entendre Fléchier, et se virent forcés d'avouer qu'il était vainqueur. Madame de Sévigné, qui était du nombre de ses convertis, et qui dans ses lettres parle avec transport de l'ouvrage de Fléchier, ne se doutait pas que dans ces mêmes lettres elle faisait du héros de la France une oraison funèbre plus éloquente encore, en peignant le deuil général de la nation par ces détails si vrais de la consternation publique, par ces traits naïfs, mais pénétrants, qui tirent de leur simplicité même le plus touchant intérêt, et qui expriment sans art et sans recherche la profondeur et l'abandon de la désolation universelle.

Dans les oraisons funèbres qui suivirent celle de ce grand homme, Fléchier n'avait plus de Turenne à célébrer; mais l'estime ou la sévérité publique exigeait presque autant de lui que s'il avait eu encore à louer des Turennes. Malgré cette redoutable disposition dans ses auditeurs, il eut le bonheur de soutenir une renommée qu'il était si difficile de ne pas voir s'affaiblir. C'est que, dans tous ses discours, l'orateur, même en s'élevant au-dessus de son sujet, ne paraît jamais

en sortir; c'est qu'il sait se garantir de l'exagération, qui, en voulant agrandir les petites choses, les fait paraître plus petites encore; c'est surtout qu'il respecte toujours la vérité, si fréquemment et si scandaleusement outragée dans ce genre d'ouvrages, et qu'on ne voit point chez lui le mensonge, qui assiége les grands pendant leur vie, venir ramper encore autour de leur tombe pour infecter leur cendre d'un vil encens, et pour célébrer leurs vertus devant un auditoire qui n'a connu que leurs vices. Fléchier s'indignait en homme de bien d'un tel avilissement de l'art oratoire; il a exprimé ce sentiment d'une manière sublime dans l'oraison funèbre du duc de Montausier; c'est là qu'on trouve ce trait admirable, qu'auraient envié Démosthène et Bossuet : « Oserais-je employer le mensonge dans l'éloge <«< d'un homme qui fut la vérité même ? Ce tombeau s'ouvrirait, ces << ossements se ranimeraient pour me dire : Pourquoi viens-tu mentir «< pour moi, qui ne mentis jamais pour personne? » Osons avouer cependant, avec l'auteur de l'éloquent Essai sur les Éloges, que Fléchier, ayant à louer l'institution d'un Dauphin, semble n'avoir pas assez vu toute la dignité et tout l'intérêt de son sujet; qu'il a peint d'une touche trop faible la noble et dangereuse fonction d'élever l'héritier d'un grand royaume, la difficulté presque insurmontable de lui montrer le néant de sa grandeur dans une cour fastueuse et rampante, de lui inspirer 1 horreur du vice dans le séjour de la séduction, de le rendre en même temps sensible à la gloire et sourd à la flatterie, de le préserver également et de la faiblesse qui encourage le mensonge, et de l'excessive défiance qui repousse la vérité; de lui développer enfin toutes les ruses de la perversité humaine pour le tromper ou pour le corrompre, et de lui apprendre cependant à aimer ses semblables. Il est surprenant que Bossuet, qui avait concouru avec Montausier à cette éducation, et qui, par la nature de son génie, était si propre à tracer cette grande peinture, l'ait abandonnée à un autre pinceau que le sien. Entrait-il de la politique dans son silence? l'éloquent Bossuet craignait-il ou de faire un portrait trop ressemblant de la cour qu'il avait à peindre, ou de rester, par un excès de prudence, trop au-dessous de son sujet ?

La réputation des oraisons funèbres de Fléchier s'est conservée jusqu'à nos jours; on peut ajouter qu'elles en sont dignes, si l'on se souvient qu'elles ont été prononcées dans un temps où les véritables lois de l'éloquence étaient encore bien peu connues. Le style est non seulement pur et correct, mais plein de douceur et d'élégance : à la pureté de la diction l'orateur joint une harmonie douce et facile,

quoique pleine et nombreuse; harmonie que nos plus illustres écrivains n'avaient mise jusqu'alors que dans leurs vers, et que personne n'avait encore su introduire dans la prose française, à l'exception de Balzac, chez qui même elle est trop souvent exagérée, emphatique, et presque aussi enflée que son style. La poésie, à laquelle Fléchier s'était adonné avant de se montrer dans la chaire, et par laquelle il avait comme préludé à l'éloquence, l'avait rendu trèssensible au charme qui résulte de l'heureux arrangement des paroles; on sent, en le lisant, qu'il avait commencé par être poëte: rien n'est en effet plus utile à un orateur, pour se former l'oreille, que de faire des vers bons ou mauvais, comme il est utile aux jeunes gens de prendre quelques leçons de danse pour acquérir une démarche noble et distinguée. L'avantage qu'on ne saurait refuser à Fléchier, d'avoir été pour nous le modèle de l'harmonie oratoire, doit lui faire pardonner les défauts qu'on peut reprocher d'ailleurs à sa manière d'écrire. Il n'est presque point d'orateur qui n'ait une figure favorite qu'il emploie par préférence, et dont souvent il abuse : l'antithèse est la figure de Fléchier, et souvent son écueil; elle se montre chez lui à chaque instant, et presque toujours dans les mots plus encore que dans les idées: cette uniformité continuelle d'oppositions, quelquefois frivoles et puériles, est bien éloignée du langage de la douleur, qui s'abandonne dans ses mouvements, et ne songe point à compasser ses expressions. Il résulte de ces contrastes symétrisés et accumulés une monotonie qui, dans les discours dont nous parlons, fatigue enfin le lecteur, et qui finirait par le glacer, si elle n'était de temps en temps rompue et réchauffée par quelques traits d'une sensibilité touchante, dont la douce chaleur donne à toute la masse un léger souffle de vie. Cette teinte de pathétique se faisait sentir encore davantage quand Fléchier prononçait ses oraisons funèbres : son action un peu triste, et sa voix un peu faible et traînante, mettaient l'auditeur dans la disposition convenable pour s'affliger avec lui; l'âme se sentait lentement pénétrée par l'expression simple du sentiment, et l'oreille par la molle cadence des périodes. Aussi était-il quelquefois obligé de s'interrompre lui-même dans la chaire, pour laisser un libre cours aux applaudissements; non à ces éclats tumultueux dont retentissent nos spectacles profanes, mais à ce murmure universel et modeste que l'éloquence sait arracher jusque dans nos temples à des auditeurs vivement émus: espèce d'explosion involontaire de l'enthousiasme public, que la sainteté même du lieu ne peut retenir et comprimer. Cet enthousiasme, il est vrai, a

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