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eternum cantabo1: « Je chanterai, dit-il, éternellement les « miséricordes du Seigneur. » Il expire en disant ces mots, et il continue avec les anges le sacré cantique 2.

Reconnaissez maintenant que sa perpétuelle modération venait d'un cœur détaché de l'amour du monde; et réjouissezvous en notre Seigneur de ce que, riche, il a mérité les grâces et la récompense de la pauvreté. Quand je considère attentivement dans l'Évangile la parabole ou plutôt l'histoire du mauvais riche, et que je vois de quelle sorte Jésus-Christ y parle des fortunés de la terre, il me semble d'abord qu'il ne leur laisse aucune espérance au siècle futur. Lazare, pauvre et couvert d'ulcères, « est porté par les anges au sein d'A« braham 3, » pendant que le riche, toujours heureux dans cette vie, « est enseveli dans les enfers. » Voilà un traitement bien différent que Dieu fait à l'un et à l'autre. Mais comment est-ce que le Fils de Dieu nous en explique la cause? « Le riche, dit-il 4, a reçu ses biens, et le pauvre ses maux, dans cette vie. » Et de là quelle conséquence? Écoutez, riches, et tremblez : : « Et maintenant, poursuit-il, l'un reçoit sa consolation, et l'autre son juste supplice. » Terrible distinction! funeste partage pour les grands du monde! Et toutefois ouvrez les yeux c'est le riche Abraham qui reçoit le pauvre Lazare dans son sein; et il vous montre, ô riches du siècle, à quelle gloire vous pouvez aspirer, si, « pauvres en esprit 5, » et détachés de vos biens, vous vous tenez aussi prêts à les quitter qu'un voyageur empressé à déloger de la tente où il passe une courte nuit. Cette grâce, je le confesse, est rare dans

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1 Ps. LXXXVIII, I.

2 Image douce et touchante, qui montre le ciel et tout ce qui l'habite attentif à recueillir les dernières paroles et les derniers soupirs du juste. (B.)

3 Factum est autem ut moreretur mendicus, et portaretur ab angelis in sinum Abrahæ. Mortuus est autem et dives, et sepultus est in inferno. LUC., XVI, 22.

Et dixit illi Abraham: Fili, recordare quia recepisti bona in vita tua; et Lazarus similiter mala. Nunc autem hic consolatur; tu vero cruciaris. LUC., XVI, 25.

Beati pauperes spiritu. MATTH., V, 3.

le Nouveau Testament, où les afflictions et la pauvreté des enfants de Dieu doivent sans cesse représenter à toute l'Église un Jésus-Christ sur la croix. Et cependant, chrétiens, Dieu nous donne quelquefois de pareils exemples, afin que nous entendions qu'on peut mépriser les charmes de la grandeur, même présente; et que les pauvres apprennent à ne désirer pas avec tant d'ardeur ce qu'on peut quitter avec joie. Ce ministre si fortuné et si détaché tout ensemble leur doit inspirer ce sentiment. La mort a découvert le secret de ses affaires; et le public, rigide censeur des hommes de cette fortune et de ce rang, n'y a rien vu que de modéré. On a vu ses biens accrus naturellement par un si long ministère et par une prévoyante économie; et on ne fait qu'ajouter à la louange de grand magistrat et de sage ministre celle de sage et vigilant père de famille, qui n'a pas été jugée indigne des saints patriarches. Il a donc, à leur exemple, quitté sans peine ce qu'il avait acquis sans empressement ses vrais biens ne lui sont pas ôtés, et sa justice demeure aux siècles des siècles. C'est d'elle que sont découlées tant de grâces et tant de vertus que sa dernière maladie a fait éclater. Ses aumônes, si bien cachées dans le sein du pauvre, ont prié pour lui: sa main droite les cachait à sa main gauche ; et, à la réserve de quelque ami qui en a été le ministre ou le témoin nécessaire, ses plus intimes confidents les ont ignorées : mais « le Père, qui les a vues « dans le secret, lui en a rendu la récompense 2. >> Peuples, ne le pleurez plus; et vous qui, éblouis de l'éclat du monde, admirez le tranquille cours d'une si longue et si belle vie, portez plus haut vos pensées. Quoi done! quatre-vingt-trois ans passés au milieu des prospérités, quand il n'en faudrait retrancher ni l'enfance où l'homme ne se connaît pas, ni les maladies où l'on ne vit point, ni tout le temps dont on a tou

› Conclude eleemosynam in corde pauperis : et hæc pro te exorabit. ECCLES., XXIX, 15.

2 Te faciente eleemosynam nesciat sinistra tua quid faciat dextera tua... Et Pater tuus, qui videt in abscondito, reddet tibi. MATTH., VI,

5.4.

jours tant de sujet de se repentir, paraîtront ils quelque chose à la vue de l'éternité où nous avançons à si grands pas? Après cent trente ans de vie, Jacob, amené au roi d'Égypte, lui raconte la courte durée de son laborieux pèlerinage, qui n'égale pas les jours de son père Isaac, ni de son aïeul Abraham '. Mais les ans d'Abraham et d'Isaac, qui ont fait par aître si courts ceux de Jacob, s'évanouissent auprès de la vie de Sem, que celle d'Adam et de Noé efface. Que si le temps comparé au temps, la mesure à la mesure, et le terme au terme, se réduit à rien, que sera-ce si l'on compare le temps à l'éternité, où il n'y a ni mesure ni terme? Comptons donc comme très-court, chrétiens, ou plutôt comptons comme un pur néant, tout ce qui finit, puisque enfin, quand on aurait multiplié les années au delà de tous les nombres connus, visiblement ce ne sera rien quand nous serons arrivés au terme fatal. Mais peut-être que, prêt à mourir, on comptera pour quelque chose cette vie de réputation, ou cette imagination de revivre dans sa famille, qu'on croira laisser solidement établie. Qui ne voit, mes frères, combien vaines, mais combien courtes et combien fragiles sont encore ces secondes vies, que notre faiblesse nous fait inventer pour couvrir en quelque sorte l'horreur de la mort ? Dormez votre sommeil, riches de la terre, et demeurez dans votre poussière. Ah! si quelques générations, que dis-je ? si quelques années après votre mort vous reveniez, hommes oubliés, au milieu du monde, vous vous hâteriez de rentrer dans vos tombeaux, pour ne voir pas votre nom terni, votre mémoire abolie, et votre prévoyance trompée dans vos amis, dans vos créatures, et plus encore dans vos héritiers et dans vos enfants. Est-ce là le fruit du travail dont vous vous êtes consumés sous le soleil, vous amassant un trésor de haine et de colère éternelle au juste jugement de Dieu ? Surtout, mortels, désabu

Respondit (Jacob): Dies peregrinationis meæ centum triginta annorum sunt, parvi et mali; et non pervenerunt usque ad dies patrum meorum, quibus peregrinati sunt. GENES., XLVII, 9.

2 Bossuet traduit ici le roi prophète : Dormierunt somnum suum; et nihil invenerunt omnes viri divitiarum in manibus suis. Ps. LXXV, 6.

sez-vous de la pensée dont vous vous flattez, qu'après une longue vie la mort vous sera plus douce et plus facile. Ce ne sont pas les années, c'est une longue préparation qui vous donnera de l'assurance. Autrement un philosophe vous dira en vain que vous devez être rassasiés d'années et de jours, et que vous avez assez vu les saisons se renouveler et le monde rouler autour de vous, ou plutôt que vous vous êtes assez vu rouler vous-même et passer avec le monde. La dernière heure n'en sera pas moins insupportable, et l'habitude de vivre ne fera qu'en accroître le désir. C'est de saintes méditations, c'est de bonnes œuvres, c'est ces véritables richesses, que vous enverrez devant vous au siècle futur, qui vous inspireront de la force; et c'est par ce moyen que vous affermirez votre courage. Le vertueux MICHEL LE TELLIER vous en a donné l'exemple la sagesse, la fidélité, la justice, la modestie, la prévoyance, la piété, toute la troupe sacrée des vertus, qui veillaient pour ainsi dire autour de lui, en ont banni les frayeurs, et ont fait du jour de sa mort le plus beau, le plus triomphant, le plus heureux jour de sa vie.

SUR

LOUIS DE BOURBON,

PRINCE DE CONDÉ.

Louis II de Bourbon, prince de Condé, à qui son siècle donna le surnom de Grand, que la postérité lui a confirmé, était le quatrième fils de Henri II de Bourbon, prince de Condé, et l'arrière-petit-fils du célèbre Louis ier, qui joua un si grand rôle dans les guerres civiles du seizième siècle, et qui périt en 1569, à la bataille de Jarnac, assassiné par Montesquiou, capitaine des gardes du duc d'Anjou, depuis Henri III, son plus grand ennemi. Sa mère était Charlotte-Marguerite de Montmorency, un des nombreux objets des volages amours de Henri IV, qui avait aussi aimé sa grand'mère, et qui maria Charlotte à Henri II de Bourbon en 1609. Il naquit à Paris le 8 de septembre 1621, la onzième année du règne de Louis XIII, dans un tel état de faiblesse, qu'on désespéra de le conserver, et qu'on craignit qu'il ne mourût au berceau, comme avaient péri ses aînés. Ses premières années exigèrent beaucoup de soins: il les passa dans le Berri, à Montrond, place forte qui appartenait en propre à son père. Celui-ci, vers 1629, et lorsque son fils fut en âge de sortir des mains des femmes, le fit venir à Bourges, sa résidence ordinaire, où il veilla très-attentivement sur l'éducation de cet enfant, dont la santé, quoique toujours fort délicate, s'était raffermie, et dont l'esprit vif, la conception prompte, les yeux pleins de feu, et la contenance fière, donnaient les plus brillantes espérances. Le jeune prince suivit avec un très-grand succès le cours des classes du collége que les jésuites avaient dans cette ville à douze ans il rédigea un petit traité de rhétorique, qu'il dédia à Armand de Bourbon, prince de Conti, chef de la branche de ce nom, son frère puîné, alors âgé de quatre ans. Il termina ses études à quatorze ans, en 1635, et garda toute sa vie le goût des belles-lettres et des sciences, que lui avaient inspiré ses premiers maîtres: goût heureux qui adoucit en lui l'âpreté du génie militaire, tempéra jusqu'à un certain point les saillies d'un naturel irascible, plein d'emportement et de fierté, et fit trouver à cette âme guerrière et haute, dans les sociétés ingénieuses de son

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