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dépenses si considérables eussent été faites en pure perte : il fallait, disait-il, à la guerre, dans quelque situation qu'on se trouvât, faire le plus de mal possible à l'ennemi. Il résolut donc d'employer tout ce qui lui restait de forces navales à établir des croisières, poursuivre les flottes marchandes, troubler la sécurité de la navigation commerciale des Anglais, et porter des secours aux colonies françaises qui n'étaient pas encore tombées dans leurs mains. Le succès de la croisièré du contre-amiral Lallemand, et son heureux retour à Rochefort, après avoir, pendant près de six mois, tenu la mer à la hauteur qui lui avait été indiquée pour y attendre le ralliement des escadres combinées, déterminèrent l'empereur Napoléon à ce genre de guerré dont il espérait de grands résultats. Sur les vingt-. deux vaisseaux qui se trouvaient réunis à Brest, il ordonna que les onze le plus en état de tenir la mer, fussent munis de vivres pour six mois, prissent à bord autant de troupes de débarquement qu'ils en pourraient contenir, et fussent toujours prêts à

appareiller. Le 13 décembre 1805, des vents de nord, très-violens, ayant obligé la croisière anglaise à s'éloigner, la flotte française, composée de onze vaisseaux de ligne, quatre frégates et deux corvettes, sortit de Brest, et se divisa en deux escadres, peu de jours après, à la hauteur prescrite. Cinq vaisseaux, deux frégates et une corvette sous le commandement de l'amiral Leisseignes, furent destinés à porter de prompts secours à SantoDomingo. L'amiral Villaumez, avec six vaisseaux et deux frégates, eut ordre de se rendre au cap de Bonne-Espérance. La témérité de cette sortie intempestive fut cruellement punie aucune des deux escadres ne put échap-. per à la vigilance, à l'activité et à la supé-, riorité des forces de l'ennemi, dans les divers parages où elles devaient agir.

L'amiral Leisseignes, qui montait le vaisseau à trois ponts, l'Impérial, de 130 canons, se trouva, après dix jours de navigation, réduit à trois vaisseaux de ligne; des tempêtes successives avaient forcé deux vaisseaux à se séparer de lui, et avaient causé à toute

l'escadre des avaries qui ne pouvaient se réparer à la mer, et qui rendaient sa navigation très-difficile; il fut contraint, malgré ses instructions, de prendre sa route sous le vent des Açores. Il arriva le 22 janvier devant Santo-Domingo, où l'escadre fut ralliée. Après avoir fait débarquer et remis au général Ferrand les troupes et les munitions dont il était chargé, il se détermina à réparer ses vaisseaux sur la rade même. Ces travaux, dans lesquels les marins français n'égalent pas l'habileté et la prestesse de leurs rivaux, se prolongèrent jusqu'au 5 février. L'amiral Leisseignes avait déjà donné l'ordre d'appareiller, lorsque le lendemain, 6 février, la corvette placée en découverte signala l'approche d'une escadre ennemie de onze voiles de guerre, dont sept vaisseaux de ligne. C'était l'amiral Duckworth, qui, parti des eaux de Cadix, après avoir cherché vainement l'escadre française dans les parages du cap Verd, avait fait voile pour la Barbade, où il avait rallié l'amiral Cochrane avec deux vaisseaux. La funeste sécurité des Français lui

donna le temps d'être bien informé et de les surprendre sur une rade ouverte et sans au eun appui. Le combat s'engagea de part et d'autré avec une égale fureur; quatre vaisseaux de l'escadre anglaise s'attachèrent à combattre chacun un des quatre vaisseaux français de 74, et les trois autres se réunirent contre l'Impérial, le plus fort et le plus beau vaisseau qui eût jamais été construit dans les chantiers français. En peu de temps ce vaisseau eut une grande partie de son équipage hors de combat, et presque tous ses canons démontés. Deux vaisseaux de 74 (le, Brave et le Jupiter) amenèrent leur pavillon un troisième (l'Alexandre) tint ferme, et finit par tomber désemparé entre les mains de l'ennemi. L'amiral Leisseignes, après avoir perdų presque tout son équipage et ses agrès, hors d'état de manoeuvrer, donna l'ordre d'é chouer le vaisseau. Le Diomède, qui n'avait pas amené son pavillon, imita cette manoeu vre. Les Anglais mirent leurs canots à la mer, et incendièrent ces deux vaisseaux. Cette journée acheva d'anéantir la marine fran

çaise aux yeux de l'Europe, mais non les projets ultérieurs de Napoléon contre l'Angleterre..

En voyant de quelle manière furent conduites par les amiraux anglais ces actions décisives jusques à l'entière destruction de l'ennemi, on ne peut, sans doute, s'empê cher de reconnaître la supériorité de la marine anglaise, la perfection et la stabilité de ses institutions, son excellente discipline, qui rend facile le meilleur emploi des forces, et élève le courage par la confiance mutuelle et l'esprit de corps qu'elle fait naître et perpétue mais on doit admirer aussi la conduite des marins français dans une guerre constamment malheureuse, leur intrépidité dans ces combats désespérés, où ils n'avaient à attendre, pour prix de leurs efforts, qu'une mort glorieuse ou la plus dure captivité. Dignes d'une meilleure fortune, ils ont du moins prouvé que lorsque le gouvernement voudra fortement rétablir cette principale branche de la force publique, lorsque la nation, éclairée par ses malheurs, en recon

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