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états de l'Europe, ne pouvait manquer de survivre à son auteur. Ce système, décrédité à l'époque de la mort de M. Pitt, se raffermit depuis sous des ministères imbus de ses principes, mais beaucoup moins habiles à modifier leurs effets pour se rendre aussi populaires que lui. On concevait que l'Angleterre avait dû employer toutes ses ressources, et prodiguer son or pour empêcher qu'une puissance quelconque, soit par ses propres forces, soit par ses alliances, acquît, sur le continent européen, une prépondérance égale à celle qu'elle-même avait conquise sur les mers; y allait de son existence, et Napoléon l'avait prouvé mais si le but était une fois atteint ou par la guerre ou par la paix, convenait-il au gouvernement anglais de faire de ce mo tif patriotique le prétexte d'une adhésion secrète à la confédération des souverains, pour soutenir le parti de l'ancienne aristoeratie contre l'établissement graduel du régime constitutionnel dans les divers états de l'Europe? Si l'appréhension des souverains pouvait être justifiée par leurs préjugés, par

il

les ressentimens de l'orgueil humilié, et de tant d'intérêts froissés; si telle était leur er

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reur, qu'ils ne vissent que révolte et usurpation dans la seule garantie légitime de la légitimité de leurs droits, le gouvernement anglais ne devait pas, même sans l'avouer, soutenir un système aussi contraire à sa constitution qu'à sa politique naturelle. Quelle que pût être la dénomination d'un pouvoir unique sur le continent, république ou monarchie universelle, confédération aristocratique des monarchies, la Grande-Bretagne devait craindre cette tendance vers la centralisation d'intérêts qui lui étaient étrangers, et lui deviendraient bientôt ennemis.

On reprochait au pilote que la mort venait d'enlever, d'avoir engagé témérairement le vaisseau de l'état dans ces écueils, lorsque ses amis proposèrent dans la chambre des communes que ses obsèques fussent faits aux frais de l'état, et qu'on lui érigeât un monument dans l'église de Saint-Pierre de Westminster. Le parti de l'opposition s'éleva contre ce témoignage de reconnaissance natio

nale. M. Windham fit une critique sévère de son administration. M. Fox, en rendant justice à ses brillans talens, à son éloquence entraînante, l'accusa de n'avoir pas employé ces heureux dons de la nature au bien de son pays; il lui refusa le titre d'excellent. homme d'état, ainsi exprimé dans la proposition; il repoussa toute idée de parité entre le lord Chatam et son fils. Le premier, disaitil, avait abaissé la puissance de la France; celui-ci, au contraire, n'avait fait que l'accroître, et laissait la patrie dans la situation la plus alarmante. Lord Castlereagh répliqua vivement. M. Wilberforce, s'indignant de ce qu'on avait l'injustice de n'apprécier le mérite d'un grand homme que d'après le succès de ses plans, rendit hommage aux vertus publiques, aux talens éminens de M. Pitt, et déclara que sa vigueur et sa sagacité avaient préservé l'Angleterre des convulsions de l'esprit révolutionnaire qui avait bouleversé la France. La proposition fut adoptée à la majorité de cent soixante-neuf voix. Une somme de 40,000 livres sterling, pour le paiement

des dettes du ministre, fut votée à l'unanimité.

La mort de M. Pitt ne pouvait manquer d'entraîner la dissolution d'un ministère désuni, et trop faible pour inspirer la confiance nécessaire au maniement des affaires publiques dans des circonstances aussi critiques. Ce ministre, tout-puissant par lui-même, n'était pas soutenu par un véritable parti; la majorité, qu'il avait pour ainsi dire soumise et disciplinée, se composait d'élémens si divers, qu'aussitôt qu'il eut disparu, les anciennes animosités se réveillèrent, et qu'il ne se trouva plus dans l'administration de chef capable de les rallier; aucune association ne put se former entre les fractions de cette majorité, tandis qu'au contraire l'opposition, dirigée par des hommes pleins d'énergie et de talent, voyait grossir ses

rangs de jour en jour. Quoique les ministres fussent disposés à céder au vou de la nation, en appelant au partage du pouvoir des hommes dont le caractère, l'habileté et l'expérience fussent généralement reconnus, la

cour considérait de telles concessions à l'esprit de parti comme des atteintes portées à la prérogative de la couronne dans le libre choix de ses agens; elle avait, dans tout le cours du règne présent, résisté avec fermeté aux efforts que faisait constamment l'opposition pour faire intervenir indirectement l'opinion et l'influence parlementaires dans la nomination des ministres. Cette fermeté, et l'adresse avec laquelle on s'attachait à rompre l'accord des partis en excitant la jalousie et semant les défiances entre les hommes publics, avaient eu jusqu'alors un plein succès. L'opinion sur ce point s'était enfin établie dans la nation, que dans l'exercice de cette prérogative, la plus précieuse de toutes celles de la couronne, elle devait agir d'une manière absolue et sans contrôle. Il était évident que dans la circonstance présente, cet avantage, si soigneusement conservé, serait perdu sans retour, si, pour satisfaire l'opinion, on faisait des ouvertures aux chefs de l'opposition, et qu'on les consultât pour la composition d'une nouvelle administration.

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