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recueillir les fruits de sa politique versatile qu'elle décorait du nom de système de neutralité. Irritée et effrayée par les menaces de la France, dont elle affectait de rechercher l'amitié; secrètement liée avec l'Angleterre, dont elle accepta les subsides alors qu'elle méditait de s'emparer du Hanovre; plus sincèrement dévouée, mais non moins inutile à la Russie, cette puissance avait conservé sa belle armée et perdu sa considération. Isolée au terme de cette carrière d'intrigues, elle avait rencontré l'écueil qu'elle voulait le plus éviter, elle était tombée dans la dépendance de la France; car Napoléon pouvait seul satisfaire son ambition et lui assurer la possession du Hanovre.

La Russie restait seule debout au milieu des débris de la coalition : l'empereur Alexandre avait été fidèle à ses engagemens; et, après avoir sacrifié à Austerlitz presque la moitié de son armée, avant de rentrer sur son territoire il avait fait tous ses efforts pour déterminer le roi de Prusse à se déclarer, à rouvrir la campagne en Allemagne et à

pren

dre le rôle que l'Autriche avait si malheureusement rempli. Napoléon put le craindre, et la générosité dont il usa envers Alexandre, en cessant de le faire poursuivre, ne fut pas aussi gratuite qu'on pourrait le penser; puisqu'en s'assurant de sa retraite immédiate jusques aux confins de son empire, il prenait tous ses avantages avec le ministre prussien d'Haugwitz, et prévenait toute intervention dans la conclusion du traité de paix séparée qu'il allait dicter à l'Autriche. Il était alors probable qu'après une si rude épreuve, n'ayant pas trouvé chez ses alliés l'entier dévouement à la cause commune, et la constance dont il avait loyalement donné l'exemple, l'empereur Alexandre, indépendant par sa position, romprait des liens onéreux et ne tarderait pas à assortir sa politique aux grands changemens que son puissant concours n'avait pu empêcher. Il en fut autrement; le cabinet de Saint-Pétersbourg n'abandonna pas si facilement son plan favori, l'objet qu'il poursuit constamment depuis un siècle, l'intervention pré

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pondérante dans toutes les affaires de l'Europe. Dans ce genre de conquête qui flatte l'orgueil de la partie éclairée de la nation, et qui n'est guère moins redoutable aux nations européennes de la zone tempérée, que les anciennes émigrations des essaims de barbares, la Russie devait être aidée par l'Angleterre, jusqu'au point où cette influence croissante rivaliserait avec la sienne, compromettrait ses intérêts commerciaux, et réveillerait sa jalousie : cette époque était encore éloignée; les agens du cabinet de Saint-James eurent peu de peine à manier ce puissant ressort jamais les relations de la cour de Russie ne furent plus actives. pour susciter des ennemis à la France, et pour pousser la guerre avec vigueur partout où ses armes pouvaient atteindre.

Le seul point sur lequel, dans leur situa→ tion respective, les Russes et les Français pussent combattre, était à l'extrémité de la Dalmatie Vénitienne, que l'Autriche avait cédée à la France par le traité de Presbourg: nous avons dit que les Russes s'en étaient

emparés et que l'empereur Napoléon avait suspendu l'évacuation et la restitution de la place de Braunau, jusqu'à ce que les bouches et la place de Cattaro fussent remises à ses commissaires, et que cet article du traité eût été fidèlement exécuté. Nous ajouterons ici quelques détails à cause de l'importance que les circonstances donnèrent à cet événement, et parce que c'est un exemple de mauvaise foi et de mépris du droit des gens; flétrir de tels actes est toujours une action utile, et du devoir de l'historien impartial.

Le Cattaro est un district dépendant' de la Dalmatie, situé au sud du territoire de Raguse. Ce petit pays est stérile et n'offre d'autre avantage qu'un bon port, le plus vaste à la vérité et le plus commode de l'Adriatique, si sa sortie n'en était difficile à cause du seul vent d'est, qui permet de débouquer du canal et de prendre la mer; la population, toute adonnée à la pêche et à la navigation, fournit d'excellens matelots : les Russes, que la conformité de religion et de rite faisait considérer par les malheureux

Grecs voisins de cette contrée, comme de futurs libérateurs, avaient depuis longtemps pratiqué des intelligences avec les Monténégrins, peuplade à demi sauvage, gouvernée par un évêque grec, véritable chef de flibustiers et tout dévoué aux Russes. Ceux-ci, depuis qu'ils avaient quitté Naples, occupaient en force les îles Ioniennes ; ils préparèrent secrètement, à Corfou, l'expédition destinée à s'emparer du Cattaro; elle était sous les ordres du capitaine de vaisseau Henry Bailli, et composée du vaisseau l'Asie, trois frégates, quelques chaloupes canonnières, et d'autres bâtimens, portant à peu près trois mille hommes de débarquement les forts de Castelnuovo à l'entrée du détroit, les postes sur les bords du golfe et la ville de Cattaro, étaient gardés par le régiment autrichien de Thurn, fort de quinze cents hommes. Quelques jours avant l'arrivée de l'escadre russe qui avait jeté l'ancre à Porterose le 27 février, les Monténégrins, levés en masse par leur évêque, avaient inondé la province, effrayé les habitans pai

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