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bre de lignes, que dans les vaines phrases de tant de beaux-esprits qui se croyoient des sages. Je m'applaudis de m'être souvent rencontré avec Crébillon, et d'avoir énoncé les mêmes principes que lui sur l'influence du théâtre et les mauvais effets de l'anglomanie.'

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La cour, les gentilshommes de la chambre, les magistrats en crurent comme de raison la belle Gaussin, qui cependant n'étoit plus alors ni jeune ni belle; ce vieux rêveur de Crébillon ne fut point écouté. On joua Caliste contre son avis : cet exemple donna droit de bourgeoisie sur notre théâtre à toutes les horreurs et les atrocités de la scène anglaise. Le peuple français se familiarisa avec ce genre noir et sombre; il perdit son caractère et ses mœurs : tout le monde en a vu le résultat, et nous n'en sommes guère plus sages. G.

XV.

Sur LA MÈRE COUPABLE et sur BEAUMARCHAIS.

LES

ES comédiens, en remettant cette pièce, paroissent avoir pris pour modèle le plaisant projet de ce poète ignorant dont parle Boileau :

Qui de tant de héros va choisir Childebrand.

Ils viennent de même de choisir parmi tant de chefsd'œuvre dont ils sont environnés, une triste et honteuse production indigne de leur théâtre, indigne des regards du public.

L'auteur de la Mère coupable étoit né avec beau coup d'esprit, une imagination vive et ardente, une

grande force de caractère ; ces qualités ne furent point cultivées par de bonnes études et par une sage édu cation. Beaumarchais étudia les hommes; mais ce ne fut pas pour les instruire. Il lut dans le grand livre du monde, non pour apprendre à peindre au naturel les vices et les caractères, mais pour en tirer parti. De pareilles études font en littérature un heureux aven→ turier, mais non pas un homme de l'art, un véritable poète comique. Beaumarchais fut toujours dans la société un homme du monde, un amateur cherchant à faire son chemin avec son esprit occupé à flatter les passions, s'étayant des préjugés et des opinions à la mode, engagé au service du parti le plus fort, combinant des succès avec adresse, écrivant pour les agréables et pour le peuple du jour ; du reste, sans goût, sans lettres et sans souci de la postérité.

Son caractère et son talent le portoient à la gaieté. Le Barbier de Séville est son chef-d'œuvre : malgré ses défauts, c'est le seul de ses ouvrages qui restera. Le Mariage de Figaro n'est qu'un imbroglio monstrueux, dont les représentations furent un malheur, le succès un scandale;-qui fit les délices d'un peuple enivré, mais qui ennuie des spectateurs à jeûn. Il y a du moins dans ces deux productions une sorte d'originalité et de verve. Ses drames, au contraire, ne sont que des combinaisons hypocrites, où il fait le prédicateur et le capucin, et qui ne peuvent duper que les sots. Singe de Diderot, il abuse encore plus que lui du fatras sentencieux et sentimental, et de toutes les turlupinades d'un faux pathétique : point de grimaces qu'il n'essaie pour toucher et faire pleurer son auditoire. Vains efforts! Ce n'est qu'un froid déclamateur qui sort de son naturel. Or, la plus mauvaise de toutes ces prédications et forfanteries dramatiques est précisément VII. Année.

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cette Mère Coupable qu'on vient de reproduire sur la scène française.

Rien n'étoit plus plaisant que les prétentions de Beaumarchais à la morale : il avoit déjà très-sérieusement assuré au public que son Figaro étoit un ouvrage très-utile aux mœurs; mais quand il en vint à la Mére Coupable, il l'annonça avec toute l'emphase philosophique, comme ce qu'il y avoit jamais eu au théâtre de plus important et de plus profond en morale. Les sages rioient comme des fous de ces parades: mais les sages étoient en très-petit nombre, et ce n'étoit pas à eux que Beaumarchais avoit affaire. Toute la bonne compagnie admiroit; on étoit édifié dans toutes les bonnes maisons; tous les fanatiques adoroient le nouvel apôtre de la vertu et de l'humanité : c'étoit une véritable farce pour ceux qui savoient la voir et qui n'en étoient pas les acteurs.

Mais sa mission ne se déclaroit encore que dans des préfaces pleines de galimathias, d'orgueil et de charlatanisme quand il fallut produire au grand jour du théâtre ce sermon si prôné de la Mère Coupable, il fut accueilli, comme il le méritoit, avec des huées; on rit beaucoup; mais ce fut de l'auteur, de son jargon barbare, de son étalage de rhétorique, sur-tout des oraisons picuses et de l'onction des prières que le dévot Beaumarchais fait débiter à la femme adultère. Quand elle est interrogée par son mari sur faits et articles, elle répond par des oremus, à-peu-près comme Agnelet, accusé d'avoir tué des moutons, répond à son juge par des bêlemens. Ce fut en 1792 qu'on se moqua ainsi de la Mère coupable, du sot mari, de ce coquin de Begearss, de la brûlure des lettres, de l'interrogatoire, de l'évanouissement, de la chute, et de toute cette misérable pantomime, faite pour attendrir les simples,

mais qui fait pitié aux gens raisonnables et aux gens de lettres.

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J'ignore quels progrès l'esprit et le goût peuvent avoir faits depuis 1792, et par quel hasard ce qu'on avoit trouvé si ridicule alors est devenu depuis si pathétique. On m'assure que beaucoup de femmes ont pleuré à la dernière représentation de la Mère Coupable, et ont pris un vif intérêt à la situation de la comtesse ; on ajoute que beaucoup d'hommes se sont retirés dans la crainte de paroître femmes je les félicite de la bonté de leur cœur et de leur extrême sensibilité; mais, en bonne foi, qu'ont-ils donc trouvé de si attendrissant dans toute cette aventure? Une femme qui s'est laissée séduire par un petit page, et qui en a eu un enfant à l'insu de son mari, n'a rien en elle-même de fort intéressant. Il est vrai que cette femme adultère gémit, fait fait pénitence; à la bonne heure, c'est ce qu'elle a de mieux à faire cela est édifiant; mais comment accorder avec cette pénitence les sentimens de tendresse que la pécheressé nourrit dans son cœur pour le défunt page son amant; ses lettres, qu'elle garde comme un dépôt cher et précieux? N'est-elle pas toujours adultère de cœur? Je conviens que son mari n'est pas aimable: c'est un tyran de bieh mauvaise humeur; mais aussi n'a-t-il pas beaucoup de quoi rire, en voyant dans sa maison un grand garçon de vingt ans qui n'est pas le sien? Mais le mari, de son côté, a une fille naturelle; et la femme observe, avec une naïveté peu décente, qu'elle n'est pas fâchée de cet incident, puisqu'il peut être regardé comme une com pensation pour sa faute. Il est tout-à-fait absurde de supposer que ce même grand seigneur, qu'on nous a présenté dans le Mariage de Figaro comme le plus frivole et le plus libertin des courtisans, est devenu

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le plus bourru et le plus bourgeois des maris; qu'il n'a pu digérer pendant vingt ans un malheur à la mode, que les époux du bel air supportent tous les jours de la meilleure grâce du monde; qu'après avoir tenu sa femme en prison depuis, vingt ans, il s'avise, à la vingtième, de l'interroger et de lui faire son procès en forme, sur ce crime dont on rit dans le monde, et que le temps efface. Ce n'étoit pas au galant défenseur de la dame Cornemann à bâtir une pareille fable, qui est du plus mauvais ton.

Il n'y a point de morale dans la pièce, puisque son objet est de nous intéresser pour l'adultère : elle n'a d'autre pathétique que la pitié qu'inspire une malheureuse femme, victime de sa galanterie; elle est sans caractères, puisque le mari et la femme n'en ont point; et que Begearss, ce tartufe de sensibilité, n'est qu'un méchant à la glace, et même un sot, un bavard, qui finit par être la dupe de son indiscrétion : tout est triste dans ce drame, jusqu'à Figaro et Suzanne. Une femme à qui son mari produit des preuves de son infidélité, peut être étonnée, confondue; mais s'évanouir, mais tomber comme morte, sur-tout quand il y a vingt ans qu'elle doit s'attendre à cette explication, ce n'est là qu'une caricature, une pantomime, un tour de charlatanisme; et ceux qui s'y laissent prendre, ont peu de raison et d'expérience. Avec de la délicatesse et du goût, , un poète ne montre point au public une femme adultère entre son bâtard et son mari : l'art judicieux éloigne de pareils objets si contraires à toutes les bienséances théâtrales si le poète a l'impudence de les montrer, la pudeur des spectateurs en fait justice.

G.

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