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quement; et comme depuis Caton d'Utique, qui lut le Phédon avant de se donner la mort, il faut que tout héros qui se tue ait fait une petite lecture avant d'en venir là, ou trouva auprès de M. Werther l'Emilie Galotti de Lessing, un des chefs-d'œuvre les plus gothiques de la littérature allemande.

Tel est donc le personnage pour lequel M. Goëthe a voulu nous intéresser! et je conviens qu'on ne pouvoît guère mieux filer un suicide. Dès les premières pages on s'aperçoit que le héros n'a pas le sens commun; ses folies, ses extravagances, et puisqu'il faut se servir du mot propre, ses bêtises, vont toujours en croissant ; on n'est pas du tout surpris qu'il finisse par se brûler la cervelle. Mais s'il est impossible de n'être pas touché du sort d'un homme qui en vient à cette horrible extrémité; si la description de ses derniers momens nâvre l'ame et la déchire, comment peut-on prendre quelqu'intérêt à ce tissu d'absurdités qui conduisent le héros, de degrés en degrés, jusqu'à la dernière?

Par où ce Werther peut-il m'attacher? Quel est le fond de son caractère? Une mélancolie niaise et orgueilleuse. Quelles sont les qualités de son cœur? Une sensibilité fougueuse et déréglée, nourrie par le désœuvrement; une disposition à larmoyer, qui vient d'une grande irritation nerveuse. Est-on dédommagé de tant de ridicules par les qualités de son esprit? Non; c'est une tête mal faite, un esprit absolument faux, plein d'idées bizarres et de maximes absurdes, qui s'élance avec effort vers des chimères, qui ne connoît rien, ni les hommes ni les choses, qui ne veut pas concevoir la nature humaine telle qu'elle est, qui manque de la véritable instruction, et qui paroît même incapable de s'instruire. Mais, dit-on, il est amoureux, Ah! je me tais, si l'amour doit servir d'excuse à tous les travers,,

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et même au crime; mais j'observe que l'amour n'a fait que développer l'extravagance naturelle et l'immoralité absolue de ce héros des Petites-Maisons : le flambeau de l'amour a mis le feu à une matière sulphureuse et volcanique.

Il n'y a que de très-jeunes gens qui puissent aimer beaucoup ce mauvais roman, et je dis mauvais sous tous les rapports; et ceux-là doivent l'aimer davantage, qui ont plus de ressemblance avec Werther, c'est-à-dire, qui ont le cerveau plus mal organisé, l'esprit plus faux, plus vide; qui ont le moins de sens et de jugement, et le plus de roideur et d'arrogance. Le nouveau traducteur a le mérite d'écrire avec plus de correction que le précédent; son style est pur et clair : il faut l'en louer beaucoup, car il est très-rare que ceux qui sont assez épris des productions germaniques pour les traduire, sachent le français et l'écrivent

bien.

Y.

XIII.

Sur un drame intitulé: VINCENT DE PAUL.

Je n'aime point les saints sur le théâtre; ce n'est point là leur place, ils ne peuvent que jouer un rôle indigne d'eux, au milieu des intrigues galantes qui sont de l'essence de la comédie. De pareils personnages étoient bons pour cette troupe grossière de pélerins dont parle Boileau,

Qui sottement zélée en sa simplicité,

Joua les Saints, la Vierge, et Dieu par piété :

mais nous qui sommes trop éloignés de la simpli

cité et de la piété de nos aïeux, ne mêlons point aux jeux profanes de la scène les hommes respectables que la religion a consacrés.

Il est vrai que Vincent de Paul est un de ces saints dont la philosophie n'oseroit se moquer les monumens de sa charité répandus autour de nous imposent silence aux railleurs. Vincent a fait ce que les philosophes disoient; il a réalisé leurs vaines sentences de philantropie ses actions, comparées à leurs livres ont montré la différence qui sépare les discoureurs d'humanité d'avec ses vrais apôtres, et l'homme charitable d'avec les charlatans de bienfaisance.

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Il n'y a que la religion qui puisse inspirer ce zèle héroïque qui s'immole aux intérêts d'autrui : par-tout où elle est reconnue et pratiquée, l'humanité ne souffre point. Dans ces régions foudroyées par les anathêmes de la philosophie comme ignorantes et superstitieuses, on est très-instruit du plus doux et du plus sacré des devoirs de l'homme, celui de consoler et de soulager ses frères: l'indigence y trouve les ressources les plus abondantes. C'est encourager l'oisiveté, c'est paralyser l'industrie, crient nos sages, les bras croisés dans leur cabinet. On ne raisonne pas si bien sans doute dans le séjour de la superstition; on ne sait pas disserter si doctement sur les causes de la pauvreté, mais on sait mieux la secourir. Le riche donne au pauvre qu'il voit dans le besoin, sans rechercher si curieusement pourquoi il est pauvre.

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Si l'on en croit quelques penseurs, dans les pays où la cupidité est si fort exaltée, l'industrie si vivement excitée, le commerce si florissant, il doit y avoir plus de luxe, par conséquent plus de misère et moins d'humanité que chez les peuples qui croupissent, au dire de nos docteurs, dans l'indolence et dans la barbarie. Si

le bonheur est le but de la société, il faut convenir que la nation-où il y a le moins de malheureux est aussi la plus éclairée dans l'art de vivre, et la plus avancée dans la civilisation.

Ce Vincent, l'honneur de la philosophie religieuse et chrétienne; ce Vincent qui a couvert Paris et la France d'établissemens utiles à l'humanité souffrante; ce pieux fondateur des Enfans- Trouvés, que fait-il sur notre Théâtre Louvois? une grande imprudence contraire à toutes les lois; car il reçoit comme sœur hospitalière une jeune fille qui s'est enfuie de chez son tuteur.

Cette fille a fait un enfant : ne pouvant le nourrir elle l'apporte aux Enfuns-Trouvés; et, pour mieux veiller sur ce fruit d'un amour clandestin, elle se consacre au service de la maison: voilà toute sa vocation. Un auteur zélé pour la gloire.de Vincent de Paul pouvoit-il se permettre de le présenter comme favorisant les désordres d'une fille, et déshonorant la religion par une étourderie très-condamnable? A-t-on jamais admis dans une communauté une fille sans savoir qui elle est, d'où elle vient, sans connoître ses parens et sa famille?

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La fondation des Enfans-Trouvés, comme toutes les institutions humaines, a ses avantages et ses inconvéniens; elle sauve la vie à plusieurs infortunés, victimes du déréglement ou de l'indigence de leurs parens; mais en même temps elle favorise les mauvaises mœurs en ouvrant un débouché aux productions du libertinage, en offrant aux parens avares et dénaturés un moyen de se dispenser de leurs plus saintes obligations. Les Grecs et les Romains, qui n'avoient pas cette ressource, exposoient quelquefois leurs enfans; chez eux, la religion et les lois donnoient au père ce droit barbare souvent des étrangers trouvoient ces enfans,

et en avoient pitié ; ce qui donnoit lieu, dans la suite, à ces aventures, à ces reconnoissances dont les comé dies grecques sont remplies. Les progrès du luxe et de la civilisation auront sans doute fait envisager comme nécessaire cet établissement des Enfans-Trouvés : on peut du moins le regarder comme le thermomètre de la corruption publique, mais on peut douter s'il est plus nuisible qu'utile à la population..

Les auteurs devroient bien profiter de l'heureuse réforme opérée dans nos institutions, et, pour parler l'ancien langage, se mettre au pas, en rentrant dans les bornes du bon sens et de la décence. Qu'ils cessent enfin de nous montrer des saints, directeurs d'intrigues amoureuses, entremetteurs de mariages; sur - tout, qu'ils nous cachent les filles qui font des enfans, avec autant de soin qu'elles se cachent elles-mêmes quand elles ont de la pudeur.

On sait que la démagogie, qui avoit intérêt à déchaîner les passions, à désorganiser la société, mettoit les filles-mères au premier rang des citoyennes, leur décernoit des honneurs et des récompenses le mariage passoit alors pour un joug tyrannique, et la débauche pour le triomphe de la nature et de l'humanité; mais on n'a plus aujourd'hui aucun besoin d'encourager cette branche de population et d'industrie : l'ordre et les mœurs reprennent leurs droits, et les filles trop adonnées aux sciences naturelles ne sont plus des héroïnes intéressantes sur la scène.

G.

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