Imágenes de página
PDF
ePub

volume de cette collection. Il n'est guère question dans ces lettres de madame de Staal que de quelques petites tracasseries qu'elle éprouvoit dans le château d'Anet, ou dans celui de Sceaux, de la part de madame la duchesse du Maine, qui, pour l'égoïsme, avoit droit de le disputer à madame Dudeffant et au président Hénault; mais ces petites tracasseries sont finement indiquées, et quelques-uns des traits du caractère de la duchesse sont esquissés d'une main légère, et semés avec une réserve piquante dans le cours de la correspondance.

Les lettres de madame Dudeffant, en très-petit nombre, comme je l'ai dit, roulant toutes sur les plus minces bagatelles, n'ajoutent ni à la connoissance qu'on a de son caractère, ni à sa réputation de femme d'esprit elles sont écrites avec naturel, mais d'une manière qui n'a rien de très-distingué ; quelques-uns de ses bons mots valent mieux que toute sa correspondance. C'est elle qui dit, en parlant de l'Esprit des Lois : « C'est de l'esprit sur les lois. » Critique ingénieuse et terrible, plus juste qu'on ne pense généralement. C'est encore à madame Dudeffant qu'appartient ce mot sur Saint Denis portant sa tête : Il n'y a, dans de telles affaires, que le premier pas qui coûte. Quand le livre de l'Esprit parut, on blâmoit Helvétius d'avoir fait de l'égoïsme le grand mobile de la société : Bon, ditelle, il n'a fait que révéler le secret de tout le monde. Son égoïsme n'étoit pas un secret; elle ne cherchoit point à le dissimuler; il éclate dans ses lettres, comme il éclatoit dans ses discours et dans sa conduite, aussi bien que sa disposition à l'ennui, et sa gourmandise, non moins fameuse que sa personnalité. Ce n'est pas là, je crois, ce qui devoit l'immortaliser; les monumens de son esprit ne méritoient pas non plus l'attention de

la postérité; mais quoi! elle protégeoit, elle rassembloit, elle fêtoit, elle choyoit, elle traitoit les gens de lettres, que le temple de Mémoire s'ouvre ! Y.

VI.

OEuvres posthumes de Marmontel, ou Mémoires d'un père pour servir à l'instruction de ses enfans, etc.

AUTANT

UTANT les philosophes montrent de répugnance pour la confession auriculaire, qui exige de l'humilité et du repentir, autant ils ont de penchant à se confesser au public: parler de soi est une chose si douce, qu'on aime quelquefois jusqu'aux malheurs qui en fournissent l'occasion. Ecoutez avec intérêt une femme qui se plaint de sa santé, et elle oubliera ses maux pour jouir de l'attendrissement qu'elle fait naître : à cet égard, nos beaux-esprits sont un peu femmes ; mais, parmi les beaux-esprits, ceux qui ont fait des romans sont incontestablement les plus coquets. J.-J. Rousseau, le premier qui se soit cru un personnage assez intéressant pour occuper l'Europe et la postérité des souillures de sa vie domestique, étoit un grand romancier; Kotzbuë, au même titre, a mis dans l'histoire d'une seule de ses années autant d'emphase que s'il eût raconté tous les nobles détails de sa superbe existence; M. Marmontel, qui n'a fait que des contes, ne pouvoit décemment déployer dans ses Mémoires tout l'orgueil de Rousseau, ni même toute la vanité de Kotzbue: il s'est contenté d'une bonne dose de fatuité. C'est ainsi que les règles s'établissent par de grands exemples; et si quelque profond littérateur s'amuse un

jour à faire la poétique des Confessions, il offrira pour modèles J.-J. Rousseau aux orgueilleux, Kotzbue aux sots, et M. Marmontel aux présomptueux.

pu

Rien ne prouve autant la petitesse de l'esprit du dixhuitième siècle, que ces ouvrages où les actions d'un simple particulier, les divisions de quelques coteries sont présentées comme des objets d'intérêt public: il n'y avoit donc alors rien de grand, rien de national, puisque les Mémoires du temps, les volumineuses Correspondances de cette époque ne nous entretiennent que des femmes de ménage des philosophes, de querelles littéraires, et de la rivalité des filles bliques. Qui n'est las d'entendre parler de madame la marquise du Chastelet, amante infortunée de l'auteur de Zaïre, que Saint-Lambert tua comme un brutal en lui faisant un enfant (1); souvenir qui jetoit M. de Voltaire dans la douleur la plus amère et dans la gaieté la plus folle? Combien nous donnera-t-on encore de volumes sur madame Geoffrin, qui avoit si peu d'esprit, encore moins de caractère, et dont le plus grand mérite consistoit à se mêler des affaires de tous les hommes de lettres de son temps, pour ne pas perdre l'occasion de les gronder quand ils devenoient malheureux ? Et madame Dudeffant, qui de femme galante devint philosophe pour être quelque chose; qui, lasse d'elle-même et des autres, se faisoit lire les pamphlets de Voltaire pour ne plus croire en Dieu, les feuilles de Fréron pour désoler Voltaire ; et qui, s'ennuyant toujours, ne pouvoit concevoir comment l'impiété n'étoit pas plus amusante! Et mademoiselle l'Espinasse, tourmentée du besoin de se marier, assez malheureuse pour jeter les yeux sur d'Alem

(1) Expressions de Voltaire.

bert qui ne pouvoit pas épouser, l'employant par depit à aller chercher à la poste les lettres qu'elle attendoit de ses prétendus, seul service qu'il pût lui rendre dans le désir qui la tourmentoit, et dont elle mourut victime infortunée ! Et madame d'H...., qui trompant son mari pour Saint-Lambert, fut au moment de tromper Saint-Lambert pour J.-J. Rousseau, d'où s'ensuivit une guerre terrible entre le fils d'un horloger de Genève et le fils d'un coutelier de Langres, guerre dont les manifestes partagent encore l'Europe attentive! Et Grimm, le grand M. Grimm dont le nom parviendra aux siècles les plus reculés, quoiqu'il fût inconnu à ses contemporains! Et mademoiselle Clairon, qui sans cesse en attitude héroïque dans la société, étoit si bonne fille dans le tête-à-tête, et dont la réputation rivalise celle d'Alexandre, parce qu'elle ramena la nature sur le théâtre, en quittant les paniers Et tant d'autres vieilles folies qu'on retrouve de nouveau dans les Mémoires de M. Marmontel, folies si ennuyeuses, pour moi du moins, qu'elles m'ont fait aimer la révolution pour la première fois de ma vie; car lorsque l'auteur arrive à l'année 1688, il oublie tout, jusqu'à lui-même, pour nous entretenir des événemens publics. Quoique ce qu'il dise à ce sujet ne soit pas très-profond, encore est-il question d'un grand intérêt; et j'aime mieux des détails sur la Bastille emportée d'assaut en ouvrant ses portes, vaincue par tant de héros qui n'y pensèrent pas, que du commérage sur les filles et les femmes de théâtre et de société du grand siècle des lumières.

M. Marmontel commence ses Mémoires par nous apprendre pourquoi il les a écrits; ce préambule ne paroîtra pas inutile, car personne ne se seroit douté qu'il racontât ses bonnes fortunes pour l'instruction de

ses enfans. En effet, ce n'a pas été sa première intention. Il n'a pensé qu'à la postérité, près de laquelle il vouloit se recommander; aussi a-t-il toujours employé ce ton emphatique qui séduit la multitude; et l'on peut assurer que de tous les Mémoires connus jusqu'à ce jour, ceux-ci sont les seuls où le naturel ne se fasse jamais sentir. Il fait parler sa mère comme un professeur de rhétorique le jour de la distribution des prix; il prête des plaisanteries de boudoir à une fille qui fuit le mariage par excès de dévotion; ses propres discours ressemblent toujours à des harangues; en un mot, il oublie tellement les convenances, qu'on pourroit craire qu'il n'a jamais été enfant, puisque ce qu'il dit à quarante ans est absolument du même ton que ce qu'il disoit étant au collége. Ces défauts paroissent si extraordinaires dans un écrivain qui jouit d'une grande réputation comme romancier, que j'ai voulu relire ses Contes Moraux, dont je n'avois conservé qu'un léger souvenir après cette lecture, mon étonnement a cessé; et j'ai très-bien compris pourquoi M. Marmontel avoit manqué de naturel en parlant de lui-même.

:

Né, en 1722, d'une famille pauvre et honnête, établie à Bort, petite ville de Limosin, son père vouloit le mettre dans le commerce; sa mère avoit l'ambition d'en faire un curé; ses régens desiroient qu'il fût jésuite; ses goûts l'entrainèrent dans la carrière littéraire, et les éloges de Voltaire dans la philosophie. Mais, quelque profession qu'il eût embrassée, il serait resté un parfait honnête homme; c'est une justice que le public lui rendait avec plaisir, même avant la publication de ses mémoires; cette réputation, la première de toutes, est le plus bel héritage qu'il ait laissé à des enfans dignes de le faire valoir. Elevé par des parens laborieux, économes, et qui avoient conservé la sainte

« AnteriorContinuar »