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l'art proscrit également ces sentences isolées, cet étalage philosophique si contraire à la vérité de la scène, et cependant toujours applaudi par la multitude. Un homme vivement ému ne parle point par áxiome; il est sur-tout ridicule de donner à des femmes, dont toutes les pensées doivent être des sentimens, le ton et la gravité magistrale d'un docteur : les Grecs ne sont pas exempts de ce défaut, et particulièrement Euripide; on peut aussi le reprocher à Corneille : ce qui est une tache dans ces grands hommes, est une qualité brillante dans M. de Voltaire, créateur de la Tragédie philosophique, nouveau genre que ses flatteurs ont forgé exprès pour lui, parce qu'il n'en avoit point qui lui fût propre.

Le poète comique doit imaginer des incidens et des situations propres à mettre en jeu ses caractères et à les développer, il doit peindre par les actions plutôt que par les discours: il faut que ses acteurs s'expriment d'une manière simple, naturelle, convenable à leur état, à leur âge, à leur humeur : les jolis portraits, les tirades à prétention, les lieux communs de morale rebattue qu'on prodigue et qu'on admire dans les comédies modernes, sont des ornemens que l'art réprouve comme étrangers et parasites.

Ovide eût peut-être égalé Tibulle dans l'Elégie, si plus sage et moins amoureux de son génie, il n'eût pas défiguré par de froides subtilités un poëme uniquement consacré au sentiment: Fontenelle n'eût pas travesti ses bergers en courtisans, s'il eût réfléchi sur la nature de l'églogue; La Motte n'eût pas corrompu par une finesse affectée la douce naïveté de l'apologue, s'il n'eût été égaré par l'indiscrette ambition de briller et de paroître ingénieux; c'est à tort qu'on accuse les écrivains qui s'écartent de la nature d'avoir trop

d'art; au contraire, ils n'en ont pas assez pour le cacher.

Un orateur qui réunit au génie le jugement et le goût, proportionne aussi les ornemens aux objets qu'il traite; dans les causes peu considérables il n'étale point une véhémence et un pathétique ridicules; il sait que la précision, l'élégance et la délicatesse sont la seule parure convenable aux sujets simples: lorsqu'il opine dans les conseils sur les affaires les plus importantes de l'état, il donne à son style de la gravité et de la noblesse. Ses pensées solides et profondes ne sont point aiguisées par l'épigramme, il s'interdit le ton badin, la plaisanterie et les grâces légères. Lorsqu'il s'agit de défendre au barreau l'honneur ou la vie d'un citoyen, c'est alors qu'il se livre à toute l'ardeur de son génie, il déploye les figures les plus vives, les mouvemens les plus pathétiques dans ce grand combat il fait usage de toutes les armes que fournit l'éloquence; mais ces armes n'ont que l'éclat de l'acier, on n'y voit point briller l'or et les pierreries; il ne sacrifie point à de vains agrémens la solidité des preuves, il n'évite point les discussions utiles pour s'égayer dans les lieux-communs, il songe plus à toucher et à convaincre qu'à plaire. Cicéron s'est reproché, dans un âge plus mûr, les traits ingénieux échappés à sa jeunesse dans son fameux plaidoyer pour Roscius. Cette description riante et fleurie du supplice des parricides, malgré les applaudissemens qu'elle excita, lui paroissoit bien ridicule et bien déplacée lorsqu'il eut acquis une connoissance plus profonde de son art.

C'est dans les éloges, dans les discours d'appareil dont l'unique but est d'amuser les auditeurs, qu'on peut étaler le luxe oratoire; mais dans ce genre même, destiné à la pompe, il est des ornemens que l'on ne peut

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admettre: telles sont les comparaisons tirées des sciences les plus abstraites, ces termes, ces expressions techniques, qui sont comme autant de ronces et d'épines que les modernes, par un goût bizarre, se sont avisés de substituer aux fleurs de l'éloquence.

Dans les ornemens, même permis et convenables, il faut une certaine sobriété. Les beautés de l'élocution trop prodiguées se changent en défauts, le dégoût est voisin des plaisirs les plus vifs : un Poëme, un Discours également ornés par-tout, fatiguent bientôt. L'art ménage adroitement des ombres qui rendent plus saillans les effets de la lumière; quand le génie s'égaye dans des métamorphoses trop fréquentes ou trop tirées, l'art le fait rentrer dans les bornes de la nature; quand il s'égare et s'oublie dans des comparaisons et des descriptions trop longues, l'art le ramène à son sujet; quand une pensée s'offre au génie, l'art ne permet pas qu'il s'y arrête trop long-temps, qu'il la reproduise jusqu'à la satiété sous toutes les faces, qu il la tourmente et l'affoiblisse en la répétant; dans le tumulte des passions les plus violentes, quand les larmes coulent, quand la douleur et l'indignation éclatent, l'art arrache la plume des mains du génie avant que les larmes se sèchent et que ces mouvemens impétueux se refroidissent; on dira peut-être que cette prudence timide de l'art ne sert qu'à éteindre le feu du génie ; mais la discipline militaire étouffe-t-elle le courage du soldat? la digue qui s'oppose aux débordemens d'un fleuve diminue-t-elle l'abondance et la rapidité de ses eaux?

Virgile a moins de génie qu'Homère pourquoi marche-t-il son égal? C'est qu'il est plus sobre et plus réservé dans l'emploi des ornemens. Homère prodigue quelquefois ses immenses trésors, Virgile, moins riche, supplée à l'abondance par l'économie; le premier,dans

sa course impétueuse, s'élance au-delà du terme prescrit; le second, plus foible, ménage ses forces avec tant d'art, qu'elles lui suffisent pour atteindre le but; mais cette sagesse ne se trouve point dans un Ecrivain idolâtre de ses idées, que la tendresse paternelle aveugle sur tous les enfans de son imagination, que le travail de la lime rebute, travail si utile et si nécessaire surtout pour perfectionner le style.

Nos plus illustres génies, tels que Corneille, Molière et Bossuet, sont incorrects et négligés; cette pureté, cette élégance continue, qui donne tant de grâce aux moindres idées, suppose un grand fond de littérature, un goût exquis soutenu d'un travail opiniâtre et de la plus sévère attention: l'Auteur qui se conforme aux règles de l'art efface souvent et ne croit pas moins faire que lorsqu'il écrit : il retranche, il ajoute, il change, il réprime l'enflure, annoblit les détails trop bas, resserre les endroits lâches et diffus, il condamne ce qu'il avoit approuvé d'abord, il se défie de sa facilité, il perd quelque temps de vue ses écrits, et les examine ensuite froidement, comme s'ils lui étoient étrangers et inconnus.

Un Poète importuné par le génie qui le presse, entre dans le sanctuaire des muses pendant le silence de la nuit, temps favorable aux secrets mystères : les idées, au premier signal, viennent en foule se présenter à son imagination échauffée, l'Ecrivain triomphe et s'applaudit en secret de sa fécondité; écartant le triste soin d'une correction pénible, il s'abandonne tout entier à l'enthousiasme qui l'entraîne, jusqu'à ce que, fatigué plutôt que rassasié du doux plaisir de créer et de produire, il quitte enfin la plume, et plein des plus flatteuses espérances, il se laisse aller au sommeil; mais le lendemain, quand la fermentation de ses esprits est

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appaisée, et qu'il considère de sang-froid cette production chérie, que de taches la défigurent! L'oeil d'un père peut à peine la reconnoître, il faut alors qu'il appelle l'art à son secours pour corriger le défaut de ces ouvrages précipités.

Vous donc à qui fut accordé ce don si rare et si précieux du génie, nourrissez avec soin cette flamme divine qui doit éclairer l'univers; plus la nature vous a favorisé, plus vous seriez coupable de négliger ses bienfaits! Fait pour être l'honneur de votre patrie et l'ornement de votre siècle, remplissez cette, illustre destinée, et ne sacrifiez pas à un repos honteux la gloire qui vous attend dans la postérité.

G.

LVI.

La Manie de Briller (Comédie de Picard). ON On peut avoir la manie de briller dans bien des genres: cette manie, si familière aux auteurs modernes, est particulièrement funeste aux arts, à la littérature et au sens commun. Ce n'est point de celle-là dont il s'agit ici, c'est de la manie de briller dans le monde par le luxe et par la dépense; manie qui a plus d'affinité qu'on ne pense avec l'autre, et qui naît de la même source, l'ambition et le mauvais goût.

Il semble que ce beau passage de Lucrèce auroit pu fournir à l'auteur l'idée de sa manie de briller, s'il ne l'avoit pas puisée dans un bien meilleur livre, qui est le monde et la société.

Sed nil dulcius est benè quàm munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena:
Despicere unde queas alios passimque videre
Errare atque viam palantes quærere vita
Certare ingenio, contendere nobilitate ·
Noctes atque dies niti præstante labore
Ad summas emergere opes, etc.

(LUCRECE, liv. 2, vers 7 et suiv.) Mais rien n'est plus doux que de se tenir bien fortifié dans le temple de la sagesse, élevé sur les fondemens

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