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Grèce et du Latium: il est vrai qu'il oublie Cicéron, lequel dit formellement que la tragédie est une école de lâcheté, et la comédie une école de débauche; mais le plus grand mal est de ne pas voir qu'il est plus aisé de trouver contre moi des poètes que des argumens.

Règle générale l'ignorant se connoît au fatras scientifique, comme le frater du village à l'abus des termes de l'art. Pour avoir dédaigné d'être écolier au collège, M. Chénier est resté écolier dans le monde, et n'y sera jamais qu'un écolier. C'est son étoile; et pour l'entier accomplissement d'un si brillant horoscope, j'attends qu'il produise les trois cents contre-sens qu'il se vante d'avoir découvert dans ma traduction de Théocrite. Je ne lui en produirai qu'un, moi; mais il en vaudra mille. Que le style de cette traduction lui paroisse dépourvu d'élégance, d'harmonie et de goût, du moins a-t-il le droit de juger dans cette partie, puisqu'enfin il parle la langue française, et qu'il est supposé entendre ce qu'il juge; mais prononcer sur la fidélité d'une traduction de grec en français, cela est trop fort: cordonnier, n'étends pas la critique audelà de la chaussure; grand littérateur grec, allez prier M. Gail de vous apprendre à décliner et à conjuguer, et puis nous parlerons d'affaires.

· C'est un grand malheur pour M. Chénier d'avoir été trop modeste, de s'être trop défié de ses talens, d'avoir trop, compté sur les circonstances. A l'aspect du désastre de sa patrie, il a dit, comme le matelot hollandais à la vue du désastre de Lisbonne : « Il y aura quelque chose à gagner ici pour ma gloire. » Il n'y a plus de bon sens en France; bon! voilà pour moi le moment de réussir : toutes les passions sont déchaînées; tant mieux, je n'aurai pas de peine à les exciter dans mes pièces: on pille les églises, on brise les autels; à

merveille, c'est le moment de crier contre le fanatisme religieux: on assassine de tous côtés les prêtres; allons, il faut les dénoncer au peuple comme des assassins et des égorgeurs : l'anarchie bouleverse toute la France; cela est parfait! me voilà sûr de faire applaudir mes hémistiches en les hérissant des mots de liberté et d'égalité. Ce monologue est une figure oratoire: je crois bien que M. Chénier n'a pas réellement tenu ce langage; mais le choix de ses sujets, la manière dont il les a traités, prouvent évidemment qu'il a pensé ce que je lui fais dire le calcul n'étoit pas mauvais. M. Chénier a régné quelque temps au théâtre; mais son trône n'étant fondé que sur le désordre et la folie, le retour de l'ordre et de la raison l'a détrôné.

Son Charles IX, avec son cardinal, ses poignards et sa cloche, n'est plus qu'une lugubre parade, encore moins horrible qu'ennuyeuse. On regarde comme un fou barbare, et comme un très-méchant frère, ce Timoléon qui assassine son frère, par la raison que son frère est tout puissant dans Corinthe. Le procès criminel des Calas est insipide, depuis que les déclamations en faveur des protestans contre les catholiques n'intéressent plus personne. On n'aime point sur la scène les Gracques romains, depuis qu'on a vu opérer les Gracques français. Le cachot où l'on renferme une religieuse pour avoir fait un enfant, et la mascarade de Fénélon travesti en philosophe galant, sont relégués parmi les contes de la Bibliothèque bleue. Enfin ce grós roi d'Angleterre qui s'amusoit à faire couper la tête à ses femmes, et qui n'en étoit pas moins ce qu'il craignoit tant d'être, ne paroît plus qu'un personnage non moins atroce que burlesque, et tout-à-fait indigne de la scène. Ainsi se sont écroulés, pièce à pièce, les tréteaux sur lesquels M. Chénier s'étoit guindé. Le ré

tablissement des vrais principes politiques, un gouvernement sage, ferme et régulier, ont renversé tout l'échafaudage littéraire du poète philosophe; et s'il n'étoit pas, comme je me plais à le croire, beaucoup plus attaché aux intérêts de sa patrie'qu'à la gloriole théâtrale, on pourroit lui appliquer ce que Boileau disoit de lui-même en plaisantant:

Je m'afflige en secret du bonheur de la France.

Il est naturel que M. Chénier cherche des consolations dans la Satire :

Vous me sifflez, je vous le rends, mes frères.

Les poëmes descriptifs n'étoient peut-être pas dignes de sa colère; il n'avoit pas besoin de s'armer du ridicule contre une doctrine que personne ne soutient. Mais il faut toujours lui savoir gré de défendre les bons principes, lors même qu'ils ne sont pas attaqués. C'est avec grande raison qu'il se moque d'un poète qui se fait botaniste, quand les botanistes sont si communs et les poètes si rares. Quant à l'armateur Giguet, il fait son métier quand il débite sa cargaison poétique le plus avantageusement qu'il peut, lorsqu'il spécule sur le nom et le génie des poètes; mais il n'est point responsable de la bonne qualité de sa marchandise. Les plaisanteries sur le poëme de la Navigation et sur son auteur peuvent être excellentes, sans qu'on en puisse rien préjuger contre l'ouvrage : les bons mots d'un satirique ne sont pas mots d'Evangile, le sel de la satire lui tient lieu de raison; mais aussi la critique ne doit point faire de grâce à des plaisanteries froides et triviales telles que celles-ci :

Béni
par
les croyans, quand ses vers sont maudits,
S'il ne monte au Parnasse, il monte en Paradis.

Ce sont là des vers dignes de ce Linière dont Boileau fait une si honorable mention. L'auteur auroit dû tonner avec plus de force contre la manie descriptive des Anglais et des Allemands; car c'est là la source du mal; c'est l'indiscrète imitation de la littérature anglaise et allemande qui nous a infectés de tout ce fatras descriptif, si pesant et si insipide: Tompson est beaucoup trop ménagé, et caractérisé d'une manière très-vague; et Saint-Lambert, qui n'égaya ses descriptions que par des pensées plus tristes et plus ennuyeuses encore, est loué très-injustement d'avoir moins peint et pensé davantage : on sait à quoi s'en tenir sur les poètes penseurs.

Mais l'indulgence du satirique a ses motifs : l'Angleterre doit à ses systêmes les égards qu'il a pour sa poésie; et depuis que le discours de M. Villers a été couronné, la littérature allemande est sous la sauve-garde de la philosophie. Les vers de Saint-Lambert doivent être épargnés en considération de ses principes; mais pour les autres, M. Chénier n'a connu ni ménagemens ni justice.

Nisas peut les guinder au-dessus des archanges.

Le trait est malheureux et le style pitoyable quant aux romans de Fiévée, ils paroîtroient au satirique aussi jolis qu'ils le sont en effet, si ce même Fiévée ne composoit pas de temps en temps des histoires si piquantes des sottises des philosophes.

Pour moi, qui ne juge point les auteurs d'après leurs opinions morales et politiques, je dirai qu'il y a dans cette satire des vers heureux et bien tournés, des vers où l'on aperçoit plus de talent que dans ces hémistiches tragiques de M. Chénier, lesquels n'offrent qu'une

facilité lâche et verbeuse. Je citerai de préférence cet

éloge de Boileau :

Ce n'étoit ainsi que
pas

l'Horace français,

Du Pinde à ses rivaux facilitant l'accès,

Respectant à-la-fois le sens et l'harmonie,
Frappoit ces vers heureux, proverbes du génie,

Et qui, de bouche en bouche, en naissant répétés,
Lus, relus mille fois, sont encor médités.

Quel dommage qu'un écrivain qui sait si bien louer Boileau, ne l'ait pas mieux imité!

G.

LV.

Discours sur l'influence de l'Art sur les productions du Génie.

Naturá fieret laudabile carmen, an arte

Quæsitum est , ego nec studium sine divite vena
Nec rude quid prosit video ingenium.

(Horace, Art Poét.)

La nature a besoin d'être secondée par le travail et l'industrie, le sol le plus fécond doit beaucoup aux soins du cultivateur, le diamant le plus précieux reçoit des mains de l'artiste ce vif éclat dont l'œil est ébloui; il faut de même que le plus heureux génie soit cultivé par l'étude, la réflexion et les préceptes : mais lequel de l'art ou du génie contribue le plus à la perfection des ouvrages de poésie et d'éloquence? Ce problême littéraire a déjà été résolu par Quintilien en supposant que l'art et le génie concourent également, et qu'ils

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