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L.

La Mort de Henri IV.

Sumite materiam vestris qui scribitis æquam
Viribus, et versate diu, quid ferre recusent

Quid valeant humeri : cui lecta potenter erit res,
Nec facundia deseret hunc, nec lucidus ordo.

« ÉCRIVAINS.

、 CRIVAINS, gardez-vous de rien entreprendre au» dessus de vos forces; essayez long-temps quel est le » fardeau que peuvent porter vos épaules, quel est ce» lui qu'elles rejettent le poète qui aura bien choisi » son sujet, et qui s'en sera rendu maître, saura expri» mer heureusement ses idées et les disposer dans un » ordre lumineux. » (HORACE, Art Poétique, vers 38 et suivans.)

M. Legouvé a-t-il bien suivi ce conseil d'Horace? Soutenu dans Abel, par Gessner; daus Épicharis, par Tacite, Suétone et l'abbé de Saint-Réal; dans Etéocle, par Sénèque le tragique, Racine, et surtout par Alfieri; comment a-t-il osé, sans guide, se laneer dans notre histoire, et mettre sur la scène un événement si voisin de nous, un événement odieux, atroce, que la France voudroit oublier avec les sanglantes discordes dont il fut la suite? Pourquoi s'exposer à marcher sur des feux couverts d'une cendre trompeuse?

Horace nous apprend en effet que Pollion, pendant le règue paisible d'Auguste, avoit exposé sur le théâtre les malheurs de la guerre civile; mais cet ouvrage lui paroît hasardé et très-périlleux:

Periculosa plenum opus aleæ.

Pollion étoit un des amis d'Auguste, un des généraux de son parti, un des plus grands hommes de l'État : il avoit mission et caractère pour traiter un pareil sujet il y avoit mis sans doute la noblesse et la force convenable: il faut croire qu'il n'avoit pas fait de sa pièce une querelle de ménage qui rabaisse un grand roi, et répand sur sa fin tragique une couleur bourgeoise et triviale.

On est presque sûr d'intéresser et de plaire en montrant Henri IV et Sully; mais on abuse de ces noms si chers, quand on ne les présente pas d'une manière digne d'eux. Henri parle bien dans la pièce nouvelle ; mais il n'y fait absolument rien : il n'est là que pour être tracassé par une femme acariâtre, une espèce de mégère, et son plus grand exploit est de se raccommoder avec elle : je connois peu de personnages tragiques qui soient d'une aussi complète nullité.

Comment l'auteur, avec l'expérience qu'il doit avoir du théâtre, s'est-il flatté de pouvoir fonder une tragédie sur les extravagances d'une vieille femme, jalouse d'un vieux mari? Je dis vieille femme, parce que Marie de Médicis avoit alors trente-six ans, étoit mariée depuis dix ans, et avoit plusieurs enfans. Henri IV, objet de sa jalousie, étoit un homme de cinquante-sept ans; et le galant monarque avoit eu tant de maîtresses, que Marie de Médicis pouvoit être fort tranquille en cousidérant l'âge de son époux.

Une pareille jalousie est petite, mesquine, ignoble, comique, plus digne d'une parade que d'une tragédie; ce sera une bonne fortune pour le parodiste, si on fait l'honneur à la pièce de la parodier. L'auteur s'est bien trompé s'il a cru rendre Marie de Médicis tragique, en faisant de cette princesse une folle, une idiote, crédule comme un Cassandre', et qui tourne à tout vent : on

sait qu'elle avoit peu de caractère, qu'elle étoit plus tracassière qu'ambitieuse, et absolument faite pour être gouvernée; mais ces femmes à physionomie insignifiante ne doivent pas être produites en première ligne sur la scène tragique.

On diroit que M. Legouvé a voulu nous donner une parodie d'Hermione. La fille de Ménélas est outragée de la manière la plus sanglante; c'est une jeune amante qui ne peut contenir les transports de son dépit et de sa rage mais Marie de Médicis est aimée et honorée de son mari, qui se prépare à la faire couronner. Sur le point de partir pour la guerre, il veut laisser entre ses mains son autorité; c'est assurément pousser beaucoup trop loin la complaisance conjugale; et Henri, confiant à une si mauvaise tête le sort d'un grand peuple, auroit été regardé avec raison comme un mari benin mené par sa femme, s'il n'eût en même temps pris la précaution de lui donner un conseil.

Quand une épouse aussi fêtée se livre si mal-à-propos aux transports de la jalousie, n'est-ce pas là le cas de demander à qui en a-t-elle? Quelle mouche la pique? Cette mouche est d'Epernon, le plus riche et le plus puissant seigneur de la cour, homme fastueux, hautain, violent, dont il a plu à M. Legouvé de faire un scélérat très-vil et très-plat, un conspirateur à la glace il s'attache à tourner la tête à une femme qui déjà l'a perdue; c'est lui qui attise la jalousie, qui la nourrit de tous les caquets, de tous les bruits populaires, de tous les mauvais propos des oisifs. Quel rôle pour le fier d'Epernon! Son objet est d'amener la reine à se rendre complice de l'assassinat de son mari: quelle entreprise s'il n'avoit pas affaire à une femme aussi foible que folle! Son motif est l'espoir de gouverner la reine pendant la minorité telle est sa noble

ambition. C'est pour réaliser ce projet sublime, qu'il veut faire assassiner le meilleur des rois. Quel monstre dégoûtant! Qu'il est éloigné du caractère d'un seigneur français! Cette intrigue eût mieux convenu à Concini, qui en effet en recueillit les fruits. Le plus grand mal, c'est que tout cela est horriblement froid: la maxime constante du théâtre, c'est que les scélérats qui combinent tranquillement leurs crimes, sans avoir ni grandes passions qui émeuvent, ni art profond qui étonne, sont ennuyeux et indignes de la tragedie.

Il y a une scène où Henri IV essuie de la part de sa femme , avec une patience vraiment maritale, une terrible bordée de reproches, d'injures et d'invectives d'autant plus ridicules, qu'elles n'ont pour fondement que de faux rapports et des conjectures impertinentes. C'est dans le moment où Henri IV lui fait part du dessein qu'il a pris de lui confier le gouvernement en son absence, , que cette furie s'emporte, contre toute espèce de bienséance et de raison. Cet excès de démence choque les usages et le ton de la cour: une reine jalouse s'observe jusque dans son dépit, et ne s'abandonne pas à sa passion comme une harengère.

Le grave Sully, qui dans la pièce n'est pas plus actif que Henri IV, se charge, pour passer le temps, du: soin de raccommoder les deux époux. Si Marie de Médicis eût été effectivement aussi folle que le poète la présente, si elle eût oublié jusqu'à ce point ce qu'elle devoit à son roi, ce qu'elle se devoit à elle-même Henri étoit sans doute trop prudent pour laisser à la tête des affaires une femme si peu maîtresse d'ellemême : au lieu de négocier un raccommodement quand il n'avoit qu'un pardon à accorder et des mesures de sûreté à prendre, il eût sans doute chargé quelque personne sage de veiller sur la reine; mais une tragédie

gouvernée par la tête d'un poète ne suit pas les règles de la vraisemblance. On ne nous présente au théâtre que les chimères d'une imagination égarée, que les illusions et les rêves d'un malade; personne n'est tenté de s'astreindre aux principes sévères de Racine, qui, dans Britannicus, a donné le plus parfait modèle d'une tragédie historique, et tracé le plus fidèle tableau de la cour de Néron.

La reine, qui s'était enflammée sur les vains rapports de d'Epernon, s'appaise tout aussi facilement d'après les remontrances de Sully : la bonne dame n'a pas assez de caractère pour avoir de la rancune. Le débonnaire Henri, de son côté, montre des dispositions pacifiques; il oublie les outrages de sa femme, comme étant sans conséquence: il se fait un rapprochement bien tendre entre les vieux époux, mais qui n'est pas du même intérêt qu'un raccommodement entre de jeunes amans. On s'embrasse maritalement; il semble que la paix du ménage soit faite et bien cimentée. Mais ce n'est pas le compte de l'ambitieux d'Epernon ; il use toute sa politique à brouiller de nouveau la femme avec le mari, et le moyen qu'il emploie n'est pas assurément bien noble et bien tragique.

Henri, avant son mariage, avoit écrit, dans un transport amoureux, une promesse de mariage à mademoiselle d'Antraigues : la lettre est sans date et sans nom; c'est une véritable lettre de comédie. Elle est tombée, on ne sait comment, dans les mains de d'Épernon, qui l'a mise sous enveloppe et veut la présenter à la reine comme l'ayant surprise à un messager du roi qui la portoit à Bruxelles à la princesse de Condé. Il faut étrangement présumer de l'imbécillité et de la sottise de Marie de Médicis, pour croire qu'elle puisse être dupe d'un artifice aussi grossier. Quand on la supposeroit

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