Imágenes de página
PDF
ePub

mais aussi rien de profane ne s'allie avec ces productiens saintes. Elles ne furent point faites pour le théâtre ; Esther fut destinée à édifier une maison religieuse; et malgré sa destination, les dévots rigides furent encore scandalisés de cette manière d'édifier le prochain. Leurs scrupules eurent assez de pouvoir pour empêcher qu'Athalie fût représentée à Saint-Cyr : elle ne parut que dans le palais d'un roi pieux, devant une cour dévote; et il fut expressément défendu aux comédiens de la ville de toucher à ces deux ouvrages, de peur de les

souiller.

La religion des Grecs n'étoit qu'un arnas d'agréables fictions; toute leur poésie épique et dramatique n'avoit point d'autre base que leur riante théologie. Mais le christianisme est essentiellement sérieux rien n'est plus terrible que ses dogmes; ses mystères effarouchent les ris et les grâces; rien n'y flatte l'imagination, rien n'y parle aux passions. Je ne suis pas surpris que les poètes anglais et allemands aient cherché dans le systême religieux un aliment à leur mélancolie naturelle séduits par les images sombres et lugubres qu'il leur fournissoit, ils n'avoient pas le goût assez fin et assez délicat pour sentir que la monotonie, la pesanteur et l'emphase sont les écueils inévitables de ce pathétique religieux qui repousse nécessairement toute espèce de fiction.

L'Allemagne a un gros poëme épique sur le Messie; l'auteur a cru faire merveille et intéresser beaucoup ses lecteurs, en mettant en vers l'Evangile : c'est encore un plus triste sujet d'épopée que le Paradis perdu. Personne en France ne connoît ni ne lit la Messiade. L'Ancien Testament prête encore plus à la poésie que le Nouveau. On reprocha autrefois au jésuite Isaac Berruyer d'avoir mis la Bible en histoires galantes: Voltaire la

mit en comédie, les Allemands l'ont mise en tragédie, et voilà que nous la mettons en opéra. La Mort d'Adam a derrière elle la Mort d'Abel, le Sacrifice d'Abraham, le Déluge, Joseph, lequel ayant déjà paru au Théâtre Français et à l'Opéra-Comique, veut sans doute se montrer aussi à l'Opéra : c'est une épidémie qui s'est emparée des poètes de l'Académie impériale de musique, Voilà les anciens patriarches qui vont succéder à l'Opéra, aux Achille, aux Renaud, aux Oreste, aux Polynice, etc; ce sera une véritable mascarade, qui par malheur ne sera qu'ennuyeuse et nullement plaisante de tels opéra, de même que les oratorio d'Italie, ne sont bons, tout au plus, qu'en carême, Nos faiseurs d'opéra voudroient-ils nous condamner à un carême perpétuel ?

:

Ne mêlons jamais à nos jeux scéniques, à nos drames lyriques, ni même à nos romans, des idées aussi graves que celles qui sont le fondement de la foi d'un chrétien laissons les choses saintes aux orateurs sacrés, aux ministres des autels. Par quelle étrange manie, nous dont la dévotion est si légère et si mince, voudrions-nous faire entrer la religion dans nos parties de plaisir, et la faire servir à notre amusement? Entr'elle et les passions il ne peut y avoir ni traité ni alliance; elle est incompatible avec les illusions des sens. Les bons littérateurs ont toujours jugé que la vérité de l'histoire étoit dégradée par son union avec la liberté du roman, et que le roman historique étoit un mauvais genre. Pourquoi la majesté de la religion s'accorderoit-elle mieux que la dignité de l'histoire avec les fictions romanesques? Mêler aux grands objets du christianisme l'intérêt critique fondé sur l'imagination et sur les passions, c'est mêler à l'auguste cérémonie des ténèbres la promenade voluptueuse de Longchamps;

c'est allier au plus triste de nos mystères toute la pompe et tout l'éclat de notre luxe.

[ocr errors]

Boileau f'a prédit; croyons-en ce grand homme. Dans un temps où la piété étoit encore une vertu à la mode, Boileau regardoit les objets religieux comme peu susceptibles des ornemens poétiques: il interdisoit à l'imagination les vérités chrétiennes, comme étant essentiellement du domaine de la raison et de la foi ; il sembloit craindre qu'en y joignant les écarts d'une imagination ardente, cette exaltation ne produisît la superstition et le fanatisme, sources malheureuses de tous les excès qu'une fausse philosophie a voulu rejeter sur la religion. Quelle profondeur dans ces deux vers!

Et de vos, fictions, le mélange coupable,
Même à ces vérités donne l'air de la fable.

Boileau parloit alors, non pas en janséniste rigide, mais en vrai sage, et même en vrai chrétien. Suivons l'avis d'un poète religieux, qui vouloit maintenir let respect dû à la religion sans faire aucun tort aux intérêts de la poésie ; et pour être bóns chrétiens à l'église, soyons payens à l'Opéra.

G.

XLIX.

L'Enfer du Dante.

« J'ENTRAI dans une forêt sauvage, profonde et té nébreuse, dont le souvenir me trouble encore et m'épouvante; il me seroit impossible de la décrire, tant je marchois avec effroi dans des gorges obscures, lorsque j'atteignis le pied d'une colline qui les termi

noit; et levant mes yeux vers elle, je vis qu'elle recevoit les premiers rayons de l'astre qui guide l'homme dans

sa route. »

Tel est le début du poëme intitulé l'Enfer, et telle est aussi l'idée que l'on peut s'en former. C'est une forêt sauvage, profonde et ténébreuse, où l'on ne rencontre que des monstres; mais on y découvre les premiers rayons du génie qui devoit bientôt ranimer les arts. Le Dante, placé à l'extrémité des siècles barbares, a préparé les succès réservés au siècle de Léon X; il est le précurseur de l'Arioste et du Tasse.

:

Comme le Dante, j'ai eu besoin d'un guide pour entrer dans l'enfer le sien étoit Virgile; le mien a été Rivarol, qui, le premier, a rendu le Dante accessible à des Français. Sans le secours de ce traducteur, je n'aurois pas entrepris la lecture du poëme italien. Avec lui, je ne l'entreprendrois pas une seconde fois, et pour l'achever une première il a fallu peut-être que je fusse prisonnier et malade.

Le Dante a placé dans le vestibule de l'enfer quelques personnages célèbres qui, sans avoir été chrétiens, ont été distingués par leurs vertus. Le poète y donne une place à Saladin, le vainqueur des croisés, et l'on étoit néanmoins encore dans le siècle des croisades (1). Là, dit-il,

Là, j'aperçus Brutus, le fondateur de Rome;
Julie et Cornélie entouroient ce grand-homme :
Lucrèce avec orgueil leur montroit son poignard';
Et le fier Saladin marchoit seul à l'écart.

De ce vestibule on aperçoit la porte de l'enfer, sur laquelle on lit ce vers sublime:

Lasciate ogni speranza, voi che intrate.

(1) Le Dante Alighieri naquit à Florence en 1265, et mourut à Ravenne en 1321.

Ce portique imposant annonce le genre de l'édifice que le poète va décrire ; cette description est nécessairement monotone; les vingt-sept cercles de l'enfer, représentés en détail dans trente-trois chants, lassent et rebutent le plus ardent amateur de la poésie. Le Dante a senti ce vice inhérent à ce sujet ; il a cherché à le corriger en excitant la curiosité et lui préparant des scènes nouvelles. Il déploie toutes les ressources d'une imagination extraordinaire : ses tableaux n'ont pas eu de modèles; il en est peu qui puissent en servir; luis même n'espère de succès que par leur nouveauté, et il s'écrie, au milieu de ses plus grands efforts :

A se parer de fleurs mon sujet se refuse (1);
Du moins la nouveauté lui servira d'excuse.

Une autre difficulté lui restoit à vaincre, c'étoit la foiblesse de la langue italienne, alors dans son enfance et si imparfaite, que Brunet latin, le premier maître du Dante, avoit préféré d'écrire ses ouvrages en patois provençal. L'idiome florentin n'avoit pas encore assez de force pour rendre les vigoureuses conceptions du Dante; je crois voir cette lyre dont Hercule essaya de tirer quelques sons, et dont les cordes se brisoient sous les doigts du héros. Entendez le poète se plaindre de sa langue dans le moment où il lui imprime toute l'énergie qu'elle ait jamais reçue :

Je frémis; mon sujet épouvante més sens.

Je n'ai pour le reuiplir que des sons impuissans,
Tels qu'un enfant les forme en appelant sa mère (2).
J'ai besoin d'une langue imposante, sévère,

(1) Qui mi sensi

La novita, se fior la lingua abhorre.

(2) Chi non è impresa

De lingua che etriami mamma è babo, ẹte.

་་、་

« AnteriorContinuar »