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principes que l'on suit : en vantant le mauvais goût, il
donne une très-juste idée du goût à la mode; en con-
seillant aux auteurs d'abandonner l'étude pour se jeter
dans l'intrigue et dans les coteries, il a l'air d'être no-
vateur, et il n'est qu'historien; tout ce qu'il conseille est
déjà fait. Son poëme offre une autre singularité : en
vous enseignant à faire de mauvais ouvrages,
il vous
fournit très-réellement les moyens de réussir; et si le
poëme de Boileau peut se nommer l'Art de bien Ecrire,
celui de M. Le Duc peut être appelé l'Art des Succès.
On pourroit cependant faire un reproche à ce nouveau
législateur du Parnasse : Despréaux a fait d'excellens
vers pour nous apprendre à les faire bons; mais M. Le
Duc, en nous conseillant de suivre le mauvais goût,
n'a pas jugé à propos de joindre l'exemple au précepte;
il écrit trop bien pour réussir. Voici des vers qu'il
adresse aux poètes dramatiques, et où le style offre
une contradiction choquante avec les principes de
l'auteur :

Melpomene, jadis, scrupuleuse, craintive,
Dirigeoit avec art sa voix mâle ou plaintive;
Fière, majestueuse, elle ne faisoit choix

Que d'un héros couvert de la pourpre des rois :
Il falloit que,
tombé sous le sort implacable,
Le malheureux ne fût innocent ni coupable;
Qu'au récit de ses maux habilement tracé,

Sans le secours des yeux on eût le cœur glacé,
Racine, après Corneille, imitant d'anciens guides,
Suivit avec respect ces préceptes timides.
Voltaire vint ensuite, et sut s'en affranchir;
D'un bien qu'on dédaignoit il voulut s'enrichir.
On le vit le premier sur la scène tragique,
Aux Français étonnés parler métaphysique;
Il régenta les rois; jusque sur leurs autels
Il dévoila les dieux aux regards des mortels;
Et s'écartant enfin de la route tracée,
Il prêtoit aux héros son goût et sa pensée, etc.

Voilà l'historique, voici le conseil :

Du théâtre français agrandissez l'arène,
Aidés de Shakespeare, ensanglantez la scène;
Et pour mieux transporter un public effrayé,
Faites naître l'horreur au lieu de la pitié.

On dit que sur le Pinde, un beau jour, Apollon
Fixant de chaque Muse et les droits et le

nom,

Cacha les traits malins de la vive Thalie
Sous un masque qu'il prit des mains de la Folie;
Il voulut, l'astreignant à de bizarres lois,
Que son abord fût noble et comique à-la-fois ;
Que sa plume hardie, avec sel et malice,
Peignît le ridicule et dévoilât le vice.
Molière, parmi nous, fut le seul qui suivit
Le sentier trop glissant qu'Apollon prescrivit :
Observant les défauts, l'esprit, le caractère,
Il fit des mœurs du siècle une étude sévère ;
Vingt ans sur le théâtre, et la férule en main,
Il donna des leçons à tout le genre humain.、
Aujourd'hui de ses vers les gothiques merveilles,
De nos chastes beautés offensent les oreilles :
Evitez son cynisme et sa basse gaieté;

Que le bon ton par vous soit toujours respecté;
Qu'en dépit d'Aristote, ennoblissant i halie,
Vos vers peignent toujours la nature embellie;
Et pour mieux amener un dénouement heureux,
Montrez jusqu'aux valets nobles et généreux.
Ces rares sentimens dont le théâtre abonde,
Remplacent les vertus qui manquent dans le monde.

Ces derniers vers sont bien impertinens, car ils sont fort jolis et fort justes. Cependant on ne peut disconvenir que M. Le Duc n'ait parfaitement tracé la route des succès; mais tous ces préceptes sont encore insuffisans, si l'on n'y joint les grands moyens dont j'ai déjà parlé Fissiez-vous une comédie plus tumultueuse qu'un mélodrame, y. eussiez-vous entassé une VIIe. Année.

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foule d'incidens heureux et d'agréables épisodes, votre style fût-il plus sucré que les devises de la rue des Lombards; eussiez-vous rassemblé toutes les bouquetières de Paris pour faire tomber sur le public une pluie de roses et de boutons ; l'aurore, le zéphir, le silence, le murmure, le ruisseau, le feuillage, se trouvassent-ils ensemble dans chacun de vos madrigaux; la mélancolie, la nature, la sensibilité, la bienfaisance, prissent-elles le soin d'attendrir chacun de vos hémistiches; fussiez - vous enfin l'antipode de Molière, vous n'avez rien à espérer si vous n'appelez à votre secours ces hommes aux épaules puissantes, à la voix de Stentor, aux mains retentissantes, et si le grand-maître de la cabale n'a pas assuré votre succès.

L'auteur du Nouvel Art Poétique ne s'est pas borné à signaler les vices du théâtre, il parcourt en se jouant tous les genres de littérature, et ses conseils ironiques renferment toujours une critique fine et quelque bonne observation. Tantôt il parle des poètes à sentimens et il s'écrie:

Je hais ces auteurs gaís, dont la vive folie
Fait honte au siècle heureux de la mélancolie;
Dont jadis les chansons et les refrains joyeux
Dans leurs bruyans soupers égayoient nos aïeux.
Evitez ces excès; dans vos chants érotiques

Soupirez la romance en vers mélancoliques, etc.

Puis passant au poëme descriptif, qui est la dernière mode du Parnasse, il dit:

Qu'un poëme en vos mains détaillant la nature,

En fasse à notre esprit une riche peinture;

Faites choix d'un sujet; montrez-nous dans vos vers -
Ou la terre, ou les cieux, ou les profondes mers :
Décrivez, décrivez, peignez, peignez sans cesse ;
Qu'à la fin d'une image une image se presse :

Un insecte, une fleur, un caillou, chaque objet

Peut d'un poëme entier vous fournir le sujet, etc.

Plus loin, il conseille d'abandonner les Grecs et les Latins pour imiter le fils de Fingal :

D'Ossian imitons les funèbres accords,

Célébrons le torrent, et sur ses tristes bords
Du héros expiré montrons l'humide pierre :
Que les vents, en tous temps, soufflent sur la bruyère;
De la reine des nuits que le disque argenté
Dérobe à nos regards sa tremblante clarté.
Peignons les fils du Nord, fatigués de carnage,
Près d'un chêne embrasé, dans leur palais sauvage,
Et savourant la bière, au sein de leur repas,
Dans des crânes humains qu'abattirent leurs bras.

L'hémistiche que j'ai souligné m'a fait croire que M. Le Duc vouloit aussi conseiller aux poètes de placer des chevilles dans leurs vers; mais si telle étoit son intention, je lui, reprocherai d'être avare d'exemples en ce genre, car les chevilles sont fort rares dans son poëme. Enfin, après avoir donné une foule de préceptes auxquels une foule d'auteurs ne manqueront pas de se conformer, il recommande sur-tout d'apprendre à bien lire :

De bien lire vos vers apprenez l'artifice,
Des poètes du jour innocent exercice.
Sur le vers foible ou dur glissez adroitement;
Sachez, quand il est beau, le dire lentement,
Pour jouir des élans de la foule étonnée.
Voyez comme un lecteur au sein de l'Athénée,
Ecoutant des bravos les aimables concerts,

Savoure un verre d'eau moins sucré que ses vers.

A ce joli petit poëme, qui est plus malin qu'on ne pense, l'auteur a ajouté un grand nombre de notes où il cite du grec, du latin, de l'italien, de l'espagnol, et même des vers indous; puis il ajoute plaisamment :

« Qu'on ne croie pas d'ailleurs qu'il soit nécessaire de comprendre ce que l'on cite; moi, par exemple, je sais fort peu de latin, encore moins de grec : je ne le sais même pas du tout, non plus que l'espagnol, ni l'italien; à peine si je sais le français, et cependant j'ai fait un poëme, j'ai cité de toutes ces langues : maints faiseurs de vers n'en savent pas davantage, et ils passent par-tout pour des savans!

M. Le Duc frappe toujours si juste, que je suis tenté de le prendre pour le déserteur d'une coterie, pour un faux-frère qui a trahi le secret et qui révèle les tères; il faut tout au moins que, comme Poinsinet, il ait écouté aux portes.

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LES

XLVII.

La Mort d'Adam.

s premières influences de la belle saison font éclore à-la-fois une foule de pièces nouvelles, dont la plupart ne vivent pas plus long-temps que les fleurs printannières. Leur nombre m'accable, et j'ai déjà un arriéré considérable : à Feydeau, la Rose rouge et la Rose blanche; à l'Odéon, l'Entrepreneur en Poésie; au Vaudeville, Hyacinthe Rigaud; à la Gaieté, Homme de la Forêt Noire; aux Variétés, Jocrisse aux Enfers. Adam en Paradis mérite assurément la préférence : les autres attendront.

Le grand procès intenté à notre premier père, ses diables et ses anges qu'on menaçoit de confisquer comme effets dérobés, le mérite connu de l'auteur du poëme, la juste célébrité du compositeur de la musique avoient

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