Imágenes de página
PDF
ePub

Je suis fâché que le défaut d'espace m'empêche de faire connoître avec plus de détail l'excellent discours de M. de Ségur. Si une critique sévère peut lui reprocher d'être écrit d'un style peu haché et sans élan, surfout au commencement de ne mettre pas toujours assez de liaison dans les idées, de ne pas passer des unes aux autres par des transitions toujours heureuses, et de substituer au style et à la période académique trop négligée aujourd'hui, le ton d'une conversation brillante et spirituelle, dans laquelle M. de Ségur paroît exceller, on doit avouer aussi qu'il est plein de grâce et de délicatesse dans l'éloge, de traits fins et ingénieux, d'esprit en un mot, et d'un très-bon esprit, lorsque la nature grave des idées le demande, comme on vient de le voir dans le morceau que j'ai cité : c'est souvent la grâce et la finesse de Fontenelle, avec un ton plus noble et plus élevé lorsque le sujet l'exige.

Après ces deux discours, M. de Fontanes a lu un fragment d'une traduction de l'Iliade, laissée imparfaite par M. Cabanis. C'est le morceau le plus touchant d'Homère, le vieux Priam redemandant le corps du malheureux Hector.

La traduction française m'a paru, en général, riche d'images et d'expressions poétiques; il y a quelques beaux vers de description et de sentiment. M. Andrieux a terminé la séance par la lecture d'un petit conte, dont Fénélon est le héros : c'est l'anecdote connue de la vache retrouvée par lui, et ramenée à des paysans qui la pleuroient. Tandis que M. de Beausset croit devoir retrancher cette historiette, comme apocryphe, de la seconde édition de son intéressant ouvrage, M. Andrieux lui donne les honneurs du conte. Tout est dans l'ordre une fiction est mieux placée sous la plume d'un poète que sous celle d'un historien. Fénélon étoit VIIe. Année,

19

bon, sans doute, et le meilleur des hommes; mais il ne l'étoit point à la manière dont se le sont figuré deux poètes de l'Institut: il étoit bon avec dignité, avec grandeur, avec noblesse, comme il convenoit à un grand archevêque, à un prince de l'empire, à un 'homme d'une illustre naissance, et non comme il convient peut-être à un ministre de l'Eglise de Zurich. Fénélon n'étoit point réveur, mélancolique; il ne s'égaroit pas pour contempler la nature etc.

Où est la convenance des temps et des personnes, à supposer que l'archevêque de Cambrai entrant dans une chaumière, il s'établisse aussitôt une conversation si familière entre lui et de pauvres paysans? Nous Je vous avons perdu notre Brunon, disent ceux-ci. en donnerai une autre répond Fénélon.

[ocr errors]

Oh !

quelle autre remplaceroit Brunon! Son poil étoit si beau! Elle n'avoit que trois marques : une sur le front, deux sur les pieds de devant. Elle jouoit si joliment avec notre petit Claude! Priez Dieu qu'il nous la rende, il nous la rendra. Cependant Fénélon s'en retourne toujours réveur; il voit la vache, il court après elle au lieu de fuir, elle vient au-devant du bon Fénélon; je ne sais si elle ne le lèche pas : il la ramène. Ouvrez, dit-il, c'est Brunon. On ouvre, on le prend

pour un ange ; on veut le retenir : la vache même, je crois, semble joindre ses sollicitations à celles des

[blocks in formation]

Sans doute il y a de fort jolis vers dans le conte de M. Andrieux; mais il m'a paru y avoir aussi une recherche de sensibilité sans noblesse, qui, appliquée à un grand-homme,dégénère en niaiserie. Je m'empresse de dire, au reste, comme une compensation plus que centuple à ma critique, que son conte a paru faire grand plaisir ; qu'il a été extrêmement applaudi; que

des hommes et des femmes de beaucoup d'esprit m'ont dit qu'il étoit charmant ; qu'en sortant, M. Andrieux a été très-complimenté, étouffé d'embrassemens, comparé sans façon à La Fontaine; et, quoique ce fût à lui que ce discours s'adressoit, celui qui le tenoit me paroissoit de bonne foi. Ces jugemens si favorables me font défier du mien; mais c'est cependant le mien que je dois dire: or, pour les raisons que j'ai développées, le conte de M. Andrieux ne m'a pas plu, ce qui est un petit malheur pour le conte et pour le poète.

A.

XLIV.

Euvres de Jean Racine, avec les variantes et les imitations des auteurs grecs et latins.

Je ne suis pas de ceux qui prétendent que les éditions

de Racine, les plus dégagées de notes et d'observations, sont les meilleures : Voltaire n'a dit qu'un bon mot, lorsqu'il a prétendu qu'un commentaire sur le premier de nos tragiques ne pouvoit être composé que d'une suite d'exclamations et d'une série de points admiratifs; c'est un trait d'enthousiasme et non un trait de jugement. Ce mot a été recueilli avec d'autant plus d'avidité, qu'il est plus dans le caractère du siècle où il a été prononcé ; siècle d'engouement et d'irréflexion, dans lequel l'admiration et le mépris, la critique et l'approbation avoient toujours d'autant plus de succès, qu'elles se présentoient avec un ton plus décidé, un air plus impérieux, et des formes plus tranchantes : il ne falloit à ce siècle, qui se disoit l'ennemi des préjugés et

des superstitions de tout genre, que des axiomes, des sentences et des oracles; quand un homme prenoit le langage et les manières d'un inspiré, il étoit sûr de subjuguer ces esprits si fiers et si hautains, qui paroissoient ne recevoir de loi que de leur propre sagesse, et ces intelligences indépendantes, qui sembloient vouloir peser tout à la balance de la raison et de la philosophie.

Oserai-je dire que cet enthousiasme pour Racine, dont le dix-huitième siècle a voulu se faire un titre de gloire, quoiqu'en lui-même très-juste et très-fondé, n'étoit, dans le fait, qu'un enthousiasme factice? Comment puis-je croire qu'on admiroit de bonne foi ce maître de la scène, qu'on avoit pour ses chefs-d'œuvre immortels ce goût véritable, eet amour sincère dont parle Boileau, dans un temps où l'on méprisoit tous les principes qu'avoit reconnus et pratiqués son génie, lorsque le grand critique auquel it soumettoit ses ouvrages, et dont il recevoit sans cesse des conseils, et quelquefois des inspirations, honni, bafoué jusque dans le sein de l'Académie,ne passoit plus que pour un écrivain froid, sans feu, sans verve et sans invention, dont le talent méritoit moins d'estime que ses satires ne devoient inspirer d'horreur; lorsqu'enfin on applaudissoit avec frénésie des-productions si contraires aux doctrines et aux maximes que ces deux grands hommes avoient mises en honneur par leurs leçons et par leurs exemples ?..

N'en doutons pas, il entroit dans cet enthousiasme, comme dans tout le reste, beaucoup de cette politique, et, pour m'exprimer plus franchement, de cette jonglerie dont les chefs de la secte possédoient seuls le secret; beaucoup de cette mystification qui a rassemblé autour de leurs tréteaux et sous leurs bannières tant de badauds littéraires et de dupes philosophiques. Eh

quoi! l'on vantoit Racine, et il en étoit de lui comme de la vertu; on le vantoit, et l'on pouvoit lui'appliquer cet axiome fameux, virtus laudatur et ulget; «on loue le mérite, et on le néglige. » On célébroit son génie, son goût; il falloit écrire au bas de toutes ses pages bonne, admirable, inimitable; oui, mais à condi tion que cette admiration si vive ne seroit qu'un sentiment inutile et sans effet. On auroit pu répondre à tous ces cris affectés d'une admiration de commande, à toutes ces exclamations. convulsives, par un vers de Racine même :

La foi qui n'agit pas, est-ce une foi sincère?

[ocr errors]

་་

On exaltoit, en effet, son génie, et ses ouvrages ne trouvoient pas de spectateurs; et Zaïre, Mahomet, Alzire, et les drames de la Chaussée, et ceux de Diderot écrasoient Britannicus, Iphigénie, Phedre, Athalie; et tandis que hors de nos théâtres tout retentissoit des louanges de Racine, ses pièces se jouoient dans le désert.

[ocr errors]

Qu'on n'essaie donc pas de nous vanter, comme on l'a fait dans une préface des Cuvres de Vauvenargues, les prétendus progrès du goût dans le dix-huitième siècle; car nous répondrons à des assertions par des faits, à des déclamations par des choses, et nous ne recevrons pas comme des preuves du perfectionnement du goût les élans commandés d'un engouement artificiel et les stériles extases d'une admiration factice, qui se bornoit au discours et ne passoit point jus-t qu'aux actions.

Voltaire, même avec tout son esprit et tout

lent, étoit le premier des enthousiastes comme le premier des charlatans. Les erreurs qu'il répandoit rejaillissoient sur lui, et on peut eroire qu'il étoit lui

« AnteriorContinuar »