Imágenes de página
PDF
ePub

XLI.

Oraisons funèbres, Panegyriques et Sermons de M. l'abbé de Boismont.

Il faut que les oraisons funèbres soient un genre d'éloquence bien difficile, puisqu'après Bossuet et Fléchier nos plus grands orateurs y sont restés audessous de leurs talens, et que Massillon même y a échoué. Nous avons de très beaux éloges de nos illustres morts; mais nous avons très-peu de véritables oraisons funèbres, c'est-à-dire de ces discours où règne cette majesté sombre, cette tristesse religieuse, cette éloquence de la douleur, et ce mélange de pathétique et d'élévation qui sont leur caractère particulier, et les distinguent de tous les autres discours. M. l'abbé de Boismont est un de ceux qui de nos jours ont eu le plus de réputation dans ce genre, et on ne peut nier qu'il ne fût né avec de grands talens. Doué d'un esprit facile et d'une imagination brillante, sachant manier habilement sa langue et s'emparer d'un sujet, soit pour mettre à profit ses ressources ou suppléer à sa stérilité, joignant à une grande richesse d'idées une grande pureté d'expressions, il auroit pu s'élever jusqu'à la haute éloquence, et, sinon égaler, du moins suivre de près nos vrais modèles; mais il ne sut pas se précautionner contre le faux goût de son siècle et cette vanité du bel esprit, qui, à l'époque où il parut, étoit la vanité dominante et l'épidémie générale. Il voulut être l'orateur à la mode, et pour son malheur il y réussit. Avide de succès, impatient de parvenir à la répuíation, il lui sacrifia les heureuses dispositions qu'il avoit reçues de la nature,

et son talent avorta. Nommé orateur en titre de l'Académie française, il fallut se monter au ton de son auditoire, prendre l'esprit de ses juges qui donnoient la vogue, et devenir comme eux plein de morgue et de prétention, d'afféterie dans le style, et d'emphase dans les pensées. Tel est, en effet, le caractère distinctif des oraisons funèbres de l'abbé de Boismont. Le véritable orateur se cache sans cesse, et se fait oublier; celui-ci se montre toujours et veut sans cesse qu'on l'admire. Il est impossible, en le lisant, de perdre de vue l'écrivain. On assiste à sa composition; on le voit arrangeant les mots, mettant toutes les phrases en rapports symétriques, et les faisant jouer ensemble on sent enfin qu'il a dû lui en coûter autant pour écrire que pour penser. Jamais ce pathétique, cet abandon, cette effusion du sentiment, sans lesquels il n'y a point de véritable éloquence. C'est le Thomas de la chaire. Même enflure, même roideur, même sécheresse, même envie de briller et de mettre des résultats à la place des mouvemens. Ainsi les deux panégyristes de notre temps, qui, chacun dans son genre, ont eu peut-être le plus de talens, sont ceux qui ont précipité davantage parmi nous la chute de l'éloquence.

Il falloit que l'abbé de Boismont lui-même eût la conscience des défauts que nous lui reprochons, et qu'il sentît le besoin d'une apologie, si nous en jugeons par son discours de réception à l'Académie française. Il est impossible, en le lisant, de ne pas voir qu'il le composa tout exprès pour aller au-devant des reproches qu'on pouvoit lui faire, et que les esprits sages lui faisoient sans doute dès le début de sa carrière oratoire. Il est curieux de l'entendre s'expliquer à ce sujet, et se mettre l'esprit à la torture pour montrer le pouvoir qu'ont dans l'éloquence les grâces et les fleurs, qu'il appelle

un innocent artifice, une utile et bienfaisante séduction. Il est plaisant de voir comment il loue à outrance l'imagination aux dépens de cette raison qui traine tristement après elle les principes et les conséquences; comment il se traîne tristement lui-même dans un cercle de sophismes pour prouver à un orateur que son premier but doit être de plaire, et qu'il doit se soumettre aux différences que les temps amènent et que le génie

de son siècle conseille.

« On regrette tous les jours, dit-il, la majestueuse simplicité des premiers défenseurs de la religion, on veut que dans ces temps heureux tout pliât sous le poids de la vérité seule, et que pour la rendre victorieuse il ait suffi de la montrer sans parure et sans art. Mais que prétend-on par cette supposition chagrine? Se persuade-t-on que les premiers panégyristes de la foi dédaignèrent les ressources du génie, abandonnèrent la vérité à son austérité naturelle, repoussèrent d'une main superstitieuse tous les ornemens qu'elle avoue, et qu'en un mot un zèle brûlant et impétueux leur tînt lieu de tout? Illusion démentie par les précieux monumens qui nous restent de ces grands hommes. Qu'on écoute St.-Paul foudroyant la raison humaine au milieu de l'aréopage: quelle critique délicate, quelle philosophie sublime, quel tableau brillant de l'immensité du premier être ! Non, quels que fussent alors les succès de la foi, les moyens humains entrèrent, je ne dis pas dans la composition, mais dans la propagation successive de cette œuvre divine: alors, comme de nos jours, les controversse, les écrits, les discours publics prirent la teinture du caractère personnel, de l'esprit dominant du siècle, et, si j'ose m'exprimer ainsi, de l'impulsion générale des mœurs. Tertullien fut sévère et bouillant, St.-Augustin profond et lumineux, St.-Chrysostôme

pompeux et solide, St.-Bernard sensible et fleuri; leur zèle ne porte nulle part l'empreinte d'une raison sèche et décharnée : ils l'enrichissent, ils le parent de tons les trésors de l'imagination, moins déliée peut-être, moins minutieuse que celle de nos jours, parce que leur âge étant plus simple, les vices avoient, pour ainsi dire, plus de corps et de consistance; la corruption étoit moins adroite, moins mystérieuse; elle ne forçoit point par conséquent à ces détails et à ces nuances qui ressemblent quelquefois à un soin affecté de l'art, et qui n'appartiennent cependant qu'à l'esprit d'exactitude et d'observation. Lorsque le vice est devenu ingénieux, il a fallu le devenir avec lui pour le combattre. »

Qui ne sent ici au premier coup-d'œil que l'abbé de Boismont prend volontairement le change, et qu'il se crée à plaisir des fantômes pour les combattre? Qui jamais a prétendu que pour rendre victorieuse la vérité il faut la montrer sans parure et sans art; et qui jamais a fait cette supposition chagrine? qui jamais a prétendu que le zèle doit porter l'empreinte d'une raison sèche et décharnée ? comme si en condamnant la recherche et l'affectation, on excluoit les ornemens utiles et même nécessaires; comme si on ne savoit pas qu'une vierge doit se parer et non pas se farder, et que jamais on ne put confondre les ressources de l'art avec les puériles ruses et les petites mignardises de l'artifice? Sans doute que Saint-Paul foudroya la raison humaine au milieu de l'aréopage; donc M. de Boismont n'a jamais dû prendre la foudre en main, et n'a dû employer que les armes légères au milieu de l'Académie. Tertullien fut sévère et bouillant, Saint-Augustin profond et lumineux; ils ont mis dans leurs discours la teinture de leur caractère personnel, et l'esprit domi

nant de leur siècle ; donc M. de Boismont a dû être ; précieux et maniéré comme son caractère personnel, et se laisser dominer par son siècle, en devenant l'esclave de ses préjugés comme de ses suffrages. Je ne sais pas pourquoi notre académicien alloit prendre si loin ses moyens de défense, et pourquoi, au lieu de Tertullien et de Saint-Chrysostôme, il n'osoit pas se prévaloir des exemples plus récens de Bossuet, de Bourdaloue et de Massillon, qui ont aussi mis dans leurs discours la teinture de leur caractère personnel, et qu'il n'ait pas dit à ses confrères : « Bossuet a été sublime » Bourdaloue austère, Massillon tendre, donc je dois » être et rester ce que je suis? »

Que de choses n'aurions-nous pas à dire encore sur ce rapprochement des premiers siècles où les vices avoient plus de corps, la corruption moins d'adresse que dans le nôtre, et où les orateurs n'étoient point forcés, comme de nos jours, à ces nuances qui res semblent quelquefois à un soin affecté de l'art ; do l'abbé de Boismont conclut que, lorsque le vice es devenu ingénieux, il faut le devenir aussi pour le combattre. Pures subtilités dignes d'une Académie, tout au plus applicables aux écrivains, aux moralistes observateurs qui veulent peindre le vice, et non aux orateurs sacrés qui doivent le combattre, non par des nuances et des raffinemens, mais avec toute l'autorité de la parole divine. Combattez le vice, auroit-on pu lui dire, avec l'éloquence de l'ame; et alors, qu'il ait plus ou moins de corps, ou plus ou moins d'esprit, vous aurez toujours ce qu'il faut pour le combattre : sans quoi il s'amusera de vos nuances et de vos raffinemens; et loin de s'amender, il ne fera que rire de ce que vous voulez être aussi fin et aussi délié que lui.

Ce goût de recherche, cette empreinte du travail et

« AnteriorContinuar »