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Toutefois, ceux même des auteurs profanes qui ont le mieux analysé, scruté, développé, ou peint le cœur humain; ceux qui sont entrés le plus profondément dans les secrets de nos passions, ou qui en ont présenté les tableaux les plus vrais, les plus frappans et les plus énergiques, ne sont pas, à cet égard, au-dessus de nos premiers prédicateurs. Nicole et la Rochefoucault qui, dans des styles très-divers, et avec des vues si différentes, sont remontés à la source des vertus et des vices; Pascal et la Bruyère, qu'une sagacité si perçante a introduits jusque dans des mystères que notre cœur ignore, quoiqu'il en soit le theâtre; Molière, Racine et Corneille, qui, pour ainsi dire, ont présenté au grand jour de la scène le cœur humain sous toutes ses faces, n'en ont offert ni des analyses plus fines, plus délicates, plus ingénieuses, plus satisfaisantes, ni des peintures plus vives que les Bossuet, les Bourdaloue, les Massillon ; et à ne considérer ces orateurs qué comme moralistes, c'est à-dire comme observateurs et comme peintres du cœur humain, ils ne le cèdent à aucun des écrivains qui se sont spécialement occupés de cette partie essentielle de la véritable philosophie. C'est donc sous ce rapport que je crois devoir recommander plus particulièrement la lecture de leurs ouvrages, à ceux qui, dédaignant les sermons, uniquement parce qu'ils portent le titre de sermons ne croient pas qu'il soit possible de trouver rien d'utile, ni même d'intéressant, dans des écrits consacrés à la religion, et pensent qu'il faut indispensablement qu'un ouvrage soit profane, pour être instructif, philosophique et attachant.

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Je sais qu'il existe un préjugé contre la morale, qu'elle passe généralement pour être plus utile qu'agréable, et qu'en conséquence le génie s'est appliqué dans tous les

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temps à la déguiser sous les formes les plus attrayantes, et à la revêtir des couleurs les plus capables de flatter l'imagination et de séduire l'esprit : comédies, romans, apologues, allegories, portraits spirituellement dessinés, peints avec force et avec finesse, tout a été mis en usage pour parvenir à ce but, de faire goûter aux hommes les charmes austères de la vertu, en les détournant des voies attrayantes du vice; car, quelque générale que soit notre aversion pour tout ce qui a l'air de précepte et de leçon, les productions littéraires ne nous plaisent et n'obtiennent nos suffrages qu'autant qu'elles sont appuyées sur un fonds de morale couvert et paré des fleurs de l'éloquence ou de la poésie. Une morale nue a dit La Fontaine, apporte de l'ennui ; et cela est parfaitement vrai de cette morale qui ne consiste qu'en documens, en conseils, en préceptes, en exemples, et non de celle qui s'applique à nous révéler le secret de nos foiblesses, de nos affections, de nos passions, de nos penchans, de nos vices et de nos défauts, qui nous instruit à nous connoître, nous et les autres en développant sous nos yeux les mystérieuses énigmes de la nature humaine en déroulant tous les replis du cœur, en nous faisant en quelque sorte toucher des doigts les ressorts intimes qui nous meuvent à notre insu, et qui déterminent nos actions, les précipitent, ou les arrêtent, ou les modifient de mille manières : il n'est point de spectacle plus digne de fixer l'attention des esprits bien faits, il n'est point d'instruction qui réunisse mieux l'agrément et l'utilité.

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Telle est celle que présentent la plupart des chefsd'œuvre de la chaire: ceux qui n'ont point lu les discours de Bossuet, de Bourdaloue et de Massillon, ou ceux qui, d'après quelques lectures rapides, superficielles et tronquées, n'en ont conservé qu'un souvenir vague et VII. Année.

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confus, ne s'en forment ordinairement qu'une idée très-fausse; ils se figurent que ces discours ne sont composés que de phrases convenues, plus ou moins éloquemment tournées, d'exhortations pathétiques ou d'invectives véhémentes, de quelques argumens en faveur du dogme, et de quelques lieux communs de morale assaisonnés de la formule Mes très chers frères, souvent répétée. C'est à cela qu'ils bornent àpeu-près tout le mérite de nos plus grands orateurs chrétiens; mais il suffit de la plus légère attention pour découvrir dans leurs ouvrages des trésors inappréciables de philosophie morale: il n'est peut-être pas une passion, pas un vice, pas un défaut, pas une de ces pensées secrètes ou de ces sentimens cachés que l'on ne s'avoue pas à soi-même, pas une intention dans l'esprit, pas un mouvement dans le cœur que Massillon n'ait ou aperçu, ou saisi, ou deviné. Ses contemporains, frappés d'un si rare mérite, qui devroit rappeler à la lecture de ses ouvrages cette postérité dont le goût frivole et léger aime mieux le louer sur parole que d'apprécier ses titres avec connoissance; ses contemporains, dis-je lui demandoient comment il connoissoit si bien le monde et les hommes, lui qui avoit toujours vécu dans la retraite et dans l'ombre d'une communauté religieuse : C'est, répondit-il, que j'ai étudié mon propre cœur ; et cette réponse, qui renferme une pensée si profonde, pourroit seule prouver à quel point cet homme si éminemment doué du génie de l'éloquence, possédoit celui de l'observation.

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C'est une erreur de croire qu'on puisse s'élever à ce haut degré dans l'art de la parole sans être soutenu par la puissance de la pensée et sans s'appuyer sur un fonds aussi solide qu'abondant et riche d'idées et de conceptions originales, que l'orateur tire de son propre génie.

Quelqu'harmonieuse, quelque séduisante que soit la diction de Massillon, elle ne l'auroit pas placé au premier rang des hommes éloquens, si elle se réduisoit au mérite de l'élégance, de la grâce et du nombre, et si le style mélodieux et fleuri de l'orateur ne couvroit la raison supérieure et l'exquise sagacité du philosophe. Le secret pour bien écrire, a dit un rhéteur moderne, c'est d'avoir beaucoup d'idées ; et l'on s'imagineroit que Massillon, qui tient une place si honorable et si brillante parmi nos premiers écrivains, n'auroit su que tourner agréablement des phrases vides de sens et broder avec art des lieux communs plus ou moins usés! Quelques-unes des oraisons funèbres de Bossuet contiennent, sur l'administration des Etats, sur le gouvernement et la politique, autant et plus de verve peutêtre que n'en renferment les traités les plus fameux composés dans un siècle qui se piqua sur-tout d'approfondir toutes les sciences morales. Bourdaloue porta dans la chaire le style même de la philosophie la pluș sévère, comme il en déploya les ressources et la dialectique; et si Fléchier, Neuville, La Rue et Cheminais, qui sont restés au-dessous de ces grands hommes, et audessus des orateurs qui les ont suivis, n'ont pas égalé les trois maîtres de la chaire française, leurs compositions n'en présentent pas moins un fonds de pensées morales, d'observations délicates et de traits inestimables, qui doit les classer parmi les meilleurs écrivains moralistes dont notre littérature s'honore. Y.

XL.

Qraisons funèbres choisies de Mascaron, Bourdaloue, La Rue et Massillon. Caractères de l'Eloquence de la Chaire.

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LA chaire chrétienne a fait des pertes qui ne sont pas réparées, et qui peut-être sont irréparables. La tempête qui plus d'une fois renversa jusqu'aux tribunes sacrées de nos temples, n'épargna pas ceux qui n'y étoient montés que pour y faire entendre avec autant de succès que de dignité les oracles de la véritable sagesse. La plupart des modèles vivans ont disparu, et ceux-là sont encore plus nécessaires pour former et développer le talent, que les modèles qui n'existent plus que dans leurs écrits; ici, comme dans tout le reste, la chaîne a été rompue; en France, tout est à recommencer, hors les écoles de médecine qui, du moins dans la partie dont elles devroient s'occuper uniquement, celle de l'art de guérir, ont prospéré au milieu des orages.

Pour ne pas nous livrer à des regrets exagérés, convenons cependant que même avant la révolution l'éloquence chrétienne avoit bien dégénéré; la manie du bel esprit, le ton ampoulé, la phrase énigmatique, la fausse et fade sensibilité, en un mot, l'attirail du mauvais goût s'étoit glissé jusque dans le sanctuaire ; plus d'un prédicateur qui d'ailleurs ne manquoit pas d'esprit, faisoit des sermons qui étoient quelque chose de rare par le ridicule, pour me servir d'un mot de La Bruyère. Combien qui prêchoient devant le peuple comme ils auroient prêché devant une académie de

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