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pensées, des traits de génie, du style, de l'éloquence; et l'on peut dire qu'il a parfaitement réussi dans cette entreprise. Son suceès, à la vérité, est plus réel qu'il n'a été brillant: tel traducteur a plus de réputation que lui, a été prôné dans le monde, fêté dans les cercles, décoré des honneurs académiques, cité comme un des modèles du genre, qui est bien loin de le valoir. Ce n'est pas que les suffrages des vrais connoisseurs aient manqué à M. Gueroult ; mais la voix des véritables appréciateurs du talent, des juges compétens du mérite, entre pour peu de chose dans le fracas retentissant des réputations bruyantes. Il est un art de faire proclamer son nom et ses louanges par les trompettes de la Renommée, d'en distribuer, d'en multiplier les echos : le traducteur de Pline n'a pas connu ce grand art, et je ne crois pas qu'il faille beaucoup l'en plaindre. Lorsque la première edition de ce Recueil parut en un seul volume, il y a plus de vingt ans, M. de La Harpe écrivit au grandduc de Russie: « Quelques ouvrages d'un genre diffé» rent ont été plus heureux et ont obtenu de l'estime ; » par exemple, une traduction des plus beaux morceaux » de Pline le naturaliste, par un professeur du collége » d'Harcourt, M. Gueroult. Il y a long-temps qu'il » n'étoit sorti de l'Université un ouvrage de ce mérite; » ét cette traduction est du petit nombre de celles qui ne > nuisent point à l'original et ne déplaisent pas aux connoisseurs. . . . . Le style est très-heureusement adapté » aux objets qui sont traités, et suppose une égale con>noissance des deux langues; le tout forme un volume » de cinq cents pages, très-propre à donner une juste » idée de Pline, auteur difficile à lire de suite, et qui » n'est guère étudié que par les gens de lettres. » Ce sévère et judicieux critique ne s'exprime pas d'une manière moins positive ni moins flatteuse, dans son Cours

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de Littérature: «. On nous a donné, dit-il, un » volume composé des morceaux les plus curieux de » Pline le naturaliste, choisis avec goût, classés avec » méthode, et traduits avec une pureté, une élégance et » une noblesse qui prouvent une connoissance réfléchie » des deux langues. Cet ouvrage, qui est un véritable » service rendu aux amateurs, est de M. Gueroult, »professeur de rhétorique au collége d'Harcourt, et » fait honneur à l'Université, qui compte l'auteur » parmi ses membres les plus distingués. » Voilà sans doute un témoignage éclatant, dont tout autre que M. Gueroult n'auroit pas manqué de se faire honneur en le citant dans la préface de sa nouvelle édition ; mais il n'en dit pas un mot, et en général le traducteur de Pline dit peu de chose dans ses préfaces: il y est un peu trop laconique; s'il n'y parle pas de lui, il n'y parle guère de son auteur. On voudroit un peu plus d'idées, un peu plus de fécondité, de chaleur, de développemens cela n'est pas absolument nécessaire, il est vrai; mais une bonne préface de M. Gueroult seroit un beau morceau de plus dans son Recueil. D'ailleurs, on est si disposé à croire qu'un traducteur ne peut que traduire! Une préface un peu sèche fortifie ce préjugé malin; et qui est-ce qui seroit plus capable de le démentir que M. Gueroult ?

Mon avis est de bien peu d'importance, après le suffrage du célèbre littérateur que je viens de citer; copendant je dois dire, pour m'acquitter de mes fonctions, , que nous n'avons aucune traduction d'aucun auteur ancien qui soit supérieure à celle qui nous occupe en ce moment: il en est même très-peu qui l'égalent. Le traducteur a parfaitement saisi le ton et la manière de l'original: son style est d'une correction rare, net, ferme, élégant avec noblesse, d'une énergie pleine de

goût, travaillé par-tout avec un soin scrupuleux, qui ne se fait presque point sentir d'abord, et que l'attention seule découvre : c'est ce que je pourrois prouver par un grand nombre de citations, si l'espace me le permettoit, et si d'ailleurs je n'aimois mieux renvoyer quiconque a du goût à lecture de l'ouvrage même, qui depuis long-temps est apprécié, et dont les augmentations ne sont pas au-dessous de ce qu'on en connoît. Je serois fâché toutefois que ces élogès très-sincères fissent croire que je regarde cette traduction comme entièrement exempte de défauts : elle en a sans doute ; et où ne s'en trouve-t-il pas ? mais ils sont légers. M. de La Harpe, qui ne les a point indiqués, les avoit bien aperçus; il l'a prouvé en faisant plusieurs changemens dans quelques morceaux qu'il en a extraits; dans celui, par exemple, qui renferme l'éloge de la terre, et qui est tiré du second livre de Pline : « La terre, dit » M. Gueroult, est la seule partie de la nature à la» quelle nous ayons donné, pour prix de ses bienfaits, » un surnom qui offre l'idée vénérable de la maternité ;` » elle est le domaine de l'homme, comme le ciel est le » domaine de Dieu; elle le reçoit à sa naissance; elle le » nourrit quand il est né ; du moment où il a vu le jour, » elle ne cesse plus de lui servir de soutien et d'appui; » enfin, quand déjà le reste de la nature nous a renoncés, » elle nous ouvre son sein; et c'est alors sur-tout qu'elle » se montre mère, couvrant notre froide dépouille, et » nous rendant sacrés comme elle : bienfait qui plus » que tout autre la rend elle-même pour nous un objet » saint et sacré : elle porte encore nos titres et nos mo» numens; elle prolonge la durée de notre nom; elle » étend notre mémoire au-delà des bornes étroites de la » vie. C'est la dernière divinité qu'invoque notre colère :

nous prions qu'elle s'appesantise sur ceux qui déjà

ne sont plus, comme si nous ne savions pas qu'elle seule ne s'irrite jamais contre l'homme, etc. »

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Voici le même morceau remanié par M. de La Harpe; je souligne les corrections qu'il a faites, et que peut-être M. Gueroult auroit dû adopter dans sa seconde édition : « La terre est le seul des élémens à » qui nous ayons donné, pour prix de ses bienfaits, un » nom qui offre l'idée respectable de la maternité; elle » est le domaine de l'homme, comme le ciel est le do»maine de Dieu; elle le reçoit à sa naissance, le » nourrit quand il est né ; et du moment où il a vu le »jour, elle ne cesse plus de lui servir de soutien et » d'appui ; enfin nous ouvrant son sein, quand déjà » le reste de la nature nous a rejetés, mère alors plus » que jamais, elle couvre nos dépouilles mortelles, » nous rend sacrés comme elle l'est elle-même ; et » c'est sur-tout à ce titre qu'elle est pour nous un objet » saint et vénérable. Elle fait plus encore: elle porte > nos titres et nos monumens étend la durée de notre » nom, et prolonge notre mémoire au-delà des bornes v étroites de la vie. C'est la dernière divinité qu'invoque » notre colère : nous la prions de s'appesantir sur » ceux qui ne sont plus, comme si nous ne savions » pas qu'elle seule ne s'irrite jamais contre l'homme

>> etc. >>

Le reste du morceau que je ne puis citer, est rempli de changemens du même genre. L'Eloge de Cicéron, extrait aussi par M. de La Harpe, est également modifié par ce critique : ses corrections tendent, comme on le voit, à donner au style de la rondeur et de la facilité. L'aisance, à la vérité, n'est pas le caractère de Pline; la diction de cet auteur est tendue, mais elle est périodique. M. Gueroult, frappé de la différence des deux langues, semble trop croire que la nôtre est

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ennemie de la période ; il hache et découpe ses phrases; ce qui roidit un peu son style: sans doute une diction molle et souple rendroit mal celle de Pline; mais un certain enchaînement des membres de la phrase eût concouru à mieux représenter la manière à-la-fois dure et pompeuse de cet écrivain. Ailleurs, je trouve cette expression « Je veux renfermer le luxe dans le » mépris, en lui opposant des objets plus utiles. » Cela ine paroît d'une énergie un peu forcée; la sagesse timide de notre langue ne réprouve-t-elle pas quelquefois comme outré ce qui n'est qu'énergique et vigoureux dans la langue latine? «Ici, nous ne pouvons assez admirer et comprendre la prévoyance de la nature. « Neût-il pas été mieux de dire: «Ici, nous ne poù»vons assez admirer et nous comprenons à peine la » prévoyance de la nature?»-« Dans la Campanie, » les vignes se marient au peuplier, s'attachent à cet » époux et le pressent de leurs bras amoureux ; elles » montent le long des branches auxquelles elles se » nouent, et parviennent jusqu'à la tige. » Cacumina æquant veut dire, je crois, parviennent jusqu'au sommet. Estival, pour signifier d'été, est-il français? L'académie n'en dit rien. Je pourrois relever beaucoup d'autres minuties de cette espèce; j'aime mieux terminer, en invitant tous les amis des lettres, et particulièrement les jeunes étudians, à lire avec soin cette excellente traduction, véritable modèle de l'art, ouvrage vraiment classique, plus propre qu'aucun autre à leur faire voir par quel artifice on peut transporter heureusement dans notre langue les beautés des langues anciennes.

Y.

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