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» et loin de lui faire rompre son marché, elle l'engage » à le conclure sans remise. Il s'y loge; et sur le soir, »il ordonne qu'on lui dresse son lit dans l'appartement » sur le devant ; qu'on lui apporte ses tablettes, sa plume » et de la lumière, et que ses gens se retirent au fond » de la maison. Lui, de peur que son imagination libre » n'allât, au gré d'une crainte frivole, se figurer des >> fantômes, il applique son esprit, ses yeux et sa main » à écrire. Au commencement de la nuit, un profond >> silence règne dans la maison comme par-tout ailleurs. » Ensuite il entendit des fers s'entrechoquer, des chaînes ❝ qui se heurtoient ; il ne lève pas les yeux, il ne quitte » point sa plume, se rassure, et s'efforce d'imposer à ses » oreilles. Le bruit s'augmente, s'approche; il semble » qu'il se fasse près de la porte de la chambre, et enfin dans » la chambre même : il regarde; il aperçoit le spectre » tel qu'on le lui avoit dépeint. Ce spectre étoit debout, » et l'appeloit du doigt. Athénodore lui fait signe de la » main d'attendre un peu, et continue à écrire comme » si de rien n'étoit. Le revenant recommènce son » fracas avec ses chaînes, qu'il fait sonner aux oreilles » du philosophe : celui-ci regarde encore une fois, » et voit que l'on continue à l'appeler du doigt; » alors, sans tarder davantage, il se lève, prend la » lumière, et suit.: le fantôme marche d'un pas lent, » comme si le poids des chaînes l'eût accablé. Après » qu'il est arrivé dans la cour de la maison, il disparoît » tout - à - coup, et laisse - là notre philosophe, qui "ramasse des herbes et des feuilles, et les place à >> l'endroit où il avoit été quitté, pour le pouvoir re» connoître. Le lendemain il va trouver les magistrats, " et les supplie d'ordonner que l'on fouille en cet » endroit; on le fait, on y trouve des os encore enlacés » dans des chaînes, le temps avoit consumé les chairs.

» Après qu'on les eût soigneusement rassemblés, on » les ensevelit publiquement; et depuis que l'on eut > rendu au mort les derniers devoirs, il ne troubla » plus le repos de cette maison. »

Je laisse aux amateurs des histoires de fantômes le soin de faire des réflexions sur celle-ci ; je les préviens seulement que la lettre d'où elle est tirée en contient encore deux autres. Ce que je dois faire observer, c'est l'agrément de ce récit, l'art et la grâce avec lesquels cette narration est conduite et ménagée; elle est charmante dans l'original, elle est peut-être plus parfaite encore dans la copie. Le traducteur a saisi admirablement le tour qui, dans notre langue, répondoit à la tournure des lettres de Pline : son style, quoique plus mâle et plus sévère que celui de l'auteur latin, a naturellement un certain éclat, un jeu, un brillant qui seroit peut-être un défaut dans un écrivain original, et qui, dans un interprète de Pline, devient un mérite essentiel. Malheur aux traducteurs dont l'esprit n'a pas quelque rapport naturel avec l'esprit de l'auteur qu'ils entreprennent de traduire!

On a confondu dans un journal M. de Sacy, traducteur des Lettres de Pline le jeune, avec M. Sylvestre de Sacy, aujourd'hui membre de la troisième classe de l'Institut. Le traducteur est mort en 1727 : l'erreur est d'autant plus comique, que le journaliste, après avoir fait quelques critiques de sa traduction, en demande des excuses à M. Sylvestre de Sacy.

Y.

XXXV.

Morceaux extraits de l'Histoire Naturelle de Pline, par P. C. B. Gueroult.

C'EST une heureuse idée d'avoir détaché de l'immense et savant ouvrage de Pline un certain nombre de morceaux plus attrayans pour le commun des lecteurs, et plus propres à faire connoître le génie de cet écrivain. J'ose assurer qu'il n'y a pas de lecture plus curieuse ni plus instructive que celle de cet auteur: toutes les connoissances de l'antiquité se trouvent réunies dans son livre, avec l'exactitude que l'on peut attendre de l'écrivain le plus laborieux ; et cette précieuse exactitude est souvent accompagnée de pensées et de vues qui annoncent un esprit éminemment philosophique. Quel spectacle que celui de tous les phénomènes de physique, de tous les faits d'histoire naturelle, observés et recueillis par les anciens! Quelle comparaison féconde en réflexions profondes, ou du moins en jouissances flatteuses, ne pouvons établir entre leur nous pas science et la nôtre ! Mais il n'y a que les esprits trèsaccoutumés au travail pénible et délicieux à-la-fois de la méditation, qui sachent envisager ainsi les productions de l'étude et du génie. La plupart des lecteurs s'arrêtent à quelques pages saillantes, à quelques tableaux frappans, aux traits dont la vivacité les touche, les pénètre et les émeut; dédaignant ou méconnoissant les plaisirs, dont la curiosité, la réflexion et l'instruction sont des sources intarissables, ils réservent toute leur sensibilité pour les effets magiques, pour les enchantemens de l'imagination ; et c'est là ce qui donnera tou

jours aux arts de l'imagination et du goût, à ces arts dont le charme est général, aux lettres dont l'attrait est universel, une supériorité vainement contestée, sentie même par ceux qui la contestent, sur les sciences proprement dites. L'imagination, reine du monde, restera éternellement sur ce trône, d'où l'érudition, le calcul et les sciences exactes voudroient l'arracher: elle règnera toujours par le doux et puissant empire de l'illusion; et les savans eux-mêmes s'estimeront heureux quand ils pourront diriger vers leurs ouvrages quelques rayons de sa brillante couronne.

C'est donc comme littérateur, comme écrivain, que M. Gueroult considère et traduit Pline, et non pas précisément comme savant et naturaliste; sous ce rapport, ce grand auteur est digne encore de l'attention de tous les siècles plein de feu, de vigueur et de verve, rapide, énergique, toujours précis, souvent sublime, animé de ce génie qui aperçoit avec étendue les objets dans tout leur ensemble, et qui les peint avec force jusque dans leurs derniers détails, il a mérité de servir de modèle à cet illustre écrivain, dont la gloire est un des titres de la France, et qui, recueillant parmi nous le double héritage et les traditions combinées du précepteur d'Alexandre et du naturaliste romain, joignit à l'avantage d'être venu tant de siècles après eux, celui de les surpasser par la beauté du style et l'éclat de l'éloquence. Pline apprit à Buffon ce que veulent contester quelques savans sans imagination, quelques anatomistes étrangers aux lettres, qu'il ne suffit pas d'analyser et de disséquer la nature, mais qu'il faut encore la peindre, parce que la nature n'est pas un cadavre, mais un ouvrage vivant : du reste, presque tous ceux qui ont expliqué avec génie l'étonnant mécanisme des œuvres de la création, ont été des hommes éloquens. L'éloquence

est le sceau du talent dans tous les arts de l'esprit : quiconque ne sait pas exprimer ses pensées, ne pensa jamais d'une manière sublime. Ce géomètre célèbre qui, de l'aveu de l'Europe entière, n'a point de rival, ou qui du moins n'en a qu'un, n'a-t-il pas prouvé par la magnificence de son style, dans l'Exposition du Systéme du Monde, que l'éloquence peut trouver sa place dans le sein même des calculs les plus abstraits, et parmi les plus sévères et les plus profondes spéculations des mathématiques? Doué du plus heureux génie, Pline écrivit malheureusement dans un siècle où la pureté du bon goût commençoit à se corrompre; sa diction, quelquefois dure et forcée, tourmentée et pesante, entortillée, pénible et obscure, porte l'empreinte d'un temps de décadence; ses morceaux les plus éloquens ne sont pas exempts d'exagération, d'enflure, de subtilité, d'emphase, de tout ce qui constitue les vices de la déclamation; mais il n'est aucune des tirades d'ornement et d'apparat dont il a semé son ouvrage, où l'on ne voie briller les éclairs d'un talent sublime.

Ce sont ces tirades que le traducteur a sur-tout recueillies, sans toutefois négliger absolument les objets qui ne sont que curieux et instructifs: il résulte donc de son plan, singulièrement aggrandi dans cette nouvelle édition, que l'on peut regarder ce Recueil de morceaux et d'extraits comme un véritable Abrégé de toute l'Histoire naturelle de Pline; quiconque même le liroit avec toute l'attention dont il est digne, y puiseroit beaucoup d'instruction et se formeroit une idée assez juste et assez complette des connoissances de l'antiquité dans cette partie aujourd'hui si cultivée et si perfectionnée. Mais ce n'est pas là le principal but de l'auteur du Recueil : il a voulu faire passer dans notre langue tout ce que l'ouvrage de Pline offre de plus éclatant sous le rapport des VII. Année.

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