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» comme du plus difficile de tous les arts?) les jeunes » étudians pourront, avec le secours du maître, expli» quer les douze livres entiers de Quintilien; si l'’am»bition impatiente des parens, qui se hâtent de pousser » leurs enfans vers les fonctions publiques, sans atten» dre que ces jeunes esprits soient assez formés, donne » à la rhétorique des bornes plus étroites, et la ren» ferme dans l'espace d'une année, on pourra passer » un certain nombre d'endroits très-brillans, à la vé» rité, mais qui n'appartiennent pas proprement à la » rhétorique, et les réserver pour des lectures particu »lières: la sagesse des maîtres saura bien les choisir et les » indiquer. » Ces utiles conseils n'ont point été suivis ; et comment espérer aujourd'hui une réforme et une amélioration qu'il n'étoit point raisonnable d'attendre, même du temps de M. Rollin? On ne s'est point conténté d'écarter de l'enseignement les études relatives à cette ancienne dialectique, qui, sans doute, n'étoit pas exempte de quelques formes un peu sauvages et barbares, mais qui aiguisoit les esprits, qui les fortifioit, qui leur donnoit en même temps de l'aplomb, de la finesse et de la fécondité; on ne veut plus entendre parler de rhétorique, de cet art inventé et cultivé par les peuples les plus ingénieux et les plus polis, qui jamais aient fait honneur à l'humanité: on a substitué 9 dans nos écoles, à la classe de rhétorique une classe de belles-lettres; puissent les belles-lettres n'avoir rien à souffrir un jour de ce changement!

Il existe du moins, dans le nouveau systême d'instruction publique, un établissement où le Quintilien de M. Rollin pourra trouver sa place on ne le bannira sûrement point de cette école, dont l'objet est de perfectionner, en tout genre de littérature, les talens naissans, et de former des maîtres capables d'élever la

gloire de la nouvelle université au niveau de celle de l'ancienne : c'est là qu'on enseignera véritablement la rhétorique, qui seule peut être enseignée; car l'éloquence est un don de la nature que l'art étend et perfectionne, mais qu'il ne sauroit remplacer; c'est là que l'on sentira combien le mot de belles lettres est un terme vague dont il est nécessaire d'analyser avec justesse et de déterminer avec précision les différens sens; c'est là que l'on distinguera avec netteté ce qui appartient à la grammaire, à la poétique, à la rhétorique, ces trois parties constitutives des belles-lettres, confondues sous la dénomination générale de littérature; c'est là qu'on se piquera de former, non pas précisément des littérateurs et des académiciens, mais d'excellens humanistes; c'est là que de savans professeurs, également versés dans la langue grecque et dans la langue latine, expliqueront, commenteront les rhéteurs anciens, et qu'ils feront l'application, et, pour ainsi dire, la démonstration des préceptes sur les modèles fameux de l'antiquité, sur les chefs-d'œuvre des tribunes grecque et romaine; c'est là, enfin, que de nouveaux Rollin, d'autres Le Beau feront retentir les noms d'Aristote, de Cicéron, de Quintilien, ces trois maîtres de la rhétorique, ces trois grands législateurs du goût et de l'art de bien dire : j'énonce un vœu peutêtre plutôt qu'une réalité; mais il seroit honteux cette espérance fût trompée.

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que

M. Rollin n'hésite pas à préférer Quintilien à Cicéron et au rhéteur grec : il donne, dans son excellente préface latine, les raisons de cette préférence; elles sont relatives au but qu'il se proposoit : il envisage ces trois auteurs sous le point de vue de l'enseignement de la jeunesse; il trouve Aristote trop sec, trop abstrait, trop sévère; Cicéron trop vague, trop peu méthodique,

trop peu didactique; Quintilien lui paroît unir les grâces du style, les charmes de l'élocution à la précision des idées. Ce jugement est d'une justesse parfaite: Quintilien cache les épines de l'art sous les fleurs de l'imagination; nul auteur ne peut être ni plus utile ni plus agréable aux jeunes gens; et la nouvelle et jolie édition qu'on vient de publier, de l'abrégé fait par M. Rollin, est un service réel qu'on leur rend, s'ils savent en profiter. Y.

XXXIII.

Lettres de PLINE le jeune, traduites par M. de Sacy, de l'Académie française.

CETTE nouvelle édition étoit nécessaire. Depuis longtemps la traduction des Lettres de Pline par M. de Sacy manquoit au commerce de la librairie et aux besoins de la littérature. Cette traduction est une de celles qui ont le privilège très-rare de pouvoir être séparées de l'original nous en comptons peu de ce genre; et le` vers de Boileau sur les honnêtes femmes, ce vers trèsexagéré sans doute, dans l'intention du poète moral et satirique, devient parfaitement exact quand on l'applique aux bonnes traductions:

Il en est jusqu'à trois que l'on pourroit nommer.

Nous en avons du moins trois assez bien faites, assez fidèles, assez bien écrites, assez élégantes, assez semblables à l'original, ou qui en compensent assez précisément les beautés, pour que le nom de l'auteur traduit ne puisse être prononcé sans rappeler aussitôt le nom du traducteur : il est impossible de parler de Virgile et

de ses Géorgiques, sans que la pensée se porte sur l'heureux versificateur qui a su associer la fortune de son talent à l'immortalité du génie. On ne sauroit s'entretenir de Pline le jeune, sans que la traduction de M. de Sacy s'offre tout-à-coup à l'esprit, se mêle à la gloire de l'auteur latin, la partage, la dispute en quelque sorte, et se substitue insensiblement à l'original, qu'elle ne fait pas oublier assurément, mais dont elle semble vouloir prendre la place, et dont on sent vaguement qu'elle pourroit réparer la perte, s'il pouvoit venir à se perdre. Quelle est cette troisième traduction fortunée qui complète le nombre mystérieux auquel les destinées paroissent avoir borné les traducteurs français ? Puis-je le dire sans irriter l'envie, sans allumer la colère des traducteurs, nation plus irritable encore que celle des auteurs et des poètes? C'est la traduction de Pline l'ancien, ou de quelques morceaux de cet écrivain, faite par un homme aussi plein de goût que de modestie, et qui par conséquent sait aussi bien écrire qu'il sait peu faire valoir ses ouvrages: il ne suffit pas d'avoir de l'esprit, du talent, du goût, des connaissances, il faut encore savoir se vanter soi-même, ou se faire vanter, si l'on veut réussir. La traduction de Pline l'ancien par M. Gueroult est à peine connue, et je soutiens qu'elle est, en ce genre, un des titres les plus solides et les plus brillans de notre littérature: Habent sua fata libelli.

Celle de Pline le jeune, par M. de Sacy, est d'autant plus admirable, que sans dénaturer le caractère de l'original, le traducteur est parvenu à corriger ses défauts, à rendre sa finesse plus naturelle, son esprit plus simple et moins ambitieux, ses traits plus précis et non moins piquans, sa physionomie plus naïve et non moins agréable, son style plus facile et non moins ingénieux. Cette traduction n'a point l'air d'une traduction; tout VII. Année.

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y coule de source; et l'on peut dire que la manière dat du traducteur est beaucoup plus conforme à la nature, aux qualités principales, à l'aisance, à la rapidité, à l'abandon, à la négligence gracieuse du style épistolaire, que celle de l'auteur latin. C'est un grand avantage que de traduire un écrivain spirituel, plein de finesse, de saillies, de traits, de pensées, et dont le goût n'est pas parfaitement pur : l'interprète joint alors à la servitude du traducteur la liberté du critique ; et s'il a du talent et du goût, il corrige, il modifie heureusement l'une par l'autre ; l'exactitude, qui semble être le premier de ses 'devoirs, resserre ses limites, se renferme dans un cercle plus étroit, et devient moins impérieuse, moins tyrannique; on n'exige pas de lui qu'il représente, qu'il copie, qu'il rende les défauts d'un original incorrect, comme on exigeroit qu'il reproduisît les beautés, les grâces et les perfections d'un modèle accompli. Tacite est cent fois plus facile à traduire que Tite-Live; une traduction de Sénèque n'est qu'un jeu auprès d'une traduction de Cicéron; le simple, le naturel, le naïf auteur de l'Enéide présente au travail et aux efforts de son interprète plus d'obstacles à surmonter que le chantre ampoulé et entortillé de la Thébaïde, que l'auteur précieux et enflé du Rapt de Proserpine, que le génie ardent et bizarre qui célébra les démêlés de César et de Pompée. Ce ne sont jamais les pensées qui sont difficiles à rendre ; c'est le style, ce sont les grâces de la diction; ce sont les tours heureux, les mouvemens naturels, l'expression pure et précise, le charme ou l'éclat des figures, la douce, l'énergique, la pittoresque, l'entraînante et magique harmonie.

Pline étoit un grand admirateur de Cicéron : il s'étudioit à imiter ce premier des écrivains et des orateurs romains; mais, sans s'en apercevoir, il étoit dominé,

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