Imágenes de página
PDF
ePub

de M. de Saint-Pierre, qu'une affectation, qu'un effort qu'il fait pour se copier lui-même.

Relisons les belles pages des Etudes de la Nature, versons des larmes sur les naïves et touchantes aventures de Paul et de Virginie, reportons nos regards sur tant de tableaux si frais, si brillans, si séduisans, et oublions ces images du talent qui se dégrade, et qui se méconnaît lui-même en cherchant hors de lui la source de ses inspirations. Y.

XXVI.

Des Académies.

ON croit communément que les sociétés littéraires sont utiles et même nécessaires pour maintenir la pureté de la langue et du goût : cependant les Grecs et les Romains n'ont jamais eu d'académies. Ils avoient des associations d'augures, de prêtres, de magistrats, d'administrateurs, ils n'avoient point d'associations de gens de lettres; ce qui prouve du moins qu'on peut s'en passer. Il faut cependant bien distinguer les sciences qui consistent en faits, en observations, en expériences, d'avec les arts qui dépendent uniquement du génie et du goût. Les sociétés savantes sont d'une utilité reconnue, lorsque la manie des systèmes ne les aveugle pas, quand elles se bornent à tenir registre de la marche et des découvertes de l'esprit humain, comme la société royale de Londres; quant aux académies littéraires, elles sont toujours plus nuisibles qu'utiles. Ce sont des points de ralliement pour les cabales, des foyers où se réunissent les passions des auteurs, des alimens pour l'ambition et l'intrigue.

Si la langue des Romains se polit assez tard et se corrompit de bonne heure, ce n'est pas parce qu'il n'y avoit point d'académies à Rome : le peuple roi, long-temps occupé à conquérir le monde, songeoit à faire de grandes actions plutôt que de beaux discours; lorsque, pour se reposer de ses victoires, il voulut s'amuser des arts frivoles, il étoit trop grand,' trop riche, trop corrompu, pour conserver long-temps le goût de la belle nature: la capitale de l'univers le centre des nations, toujours pleine d'étrangers, d'intrigans, d'aventuriers de tous les pays, qui venoient y chercher fortune, pouvoit-elle maintenir la pureté de son langage? Les Grecs et les Barbares, les Africains et les Asiatiques, par le mélange de leur idiôme avec le dialecte latin, en altéroient l'esprit et le tour: et dès le règne des Antonins, on s'aperçoit de la décadence et de la corruption du style.

Les Grecs n'avoient pas plus d'académies que les Romains, et leur langue, depuis Homère jusqu'au patriarche Photius, dans un espace de deux mille ans a triomphé du temps et des révolutions. Cet avantage unique, qui distingue la plus belle langue que les hommes aient jamais parlée, mérite qu'on en recherche les causes je les trouve dans le malheur même qui fit passer les Grecs sous une domination étrangère. Après la conquête de la Grèce par les Romains, il se forma deux espèces d'empires, l'un fondé sur la force et sur la violence, l'autre qui n'étoit qu'un hommage volontaire rendu à l'esprit et aux talens: Rome fut la capitale du monde profane, Athènes la capitale du monde littéraire : Rome exerçoit le pouvoir temporel, Athènes la juridiction spirituelle, sans que ces deux pouvoirs se soient jamais heurtés, du moins tant que le paganisme subsista. Athènes, dé

pouillée de sa grandeur et de sa puissance, resta le sanctuaire des arts, le rendez-vous des savans, l'école des nations, et, en quelque sorte, l'université du genre humain..... Ce séjour paisible n'étoit point troublé par le tumulte des armes, par la multitude des affaires, par la foule des habitans: le dépôt de la langue et du goût s'y conservoit dans toute sa pureté ; c'est sur Athènes que toutes les villes de la Grèce et de l'Asie régloient leur langage : les étrangers établis dans ces belles contrées étoient, ou des négocians attirés par le commerce, ou des philosophes amis du repos et de la retraite loin de corrompre la langue, ils en étudioient l'élégance et les grâces, ils se piquoient de parler aussi purement que les Grecs eux-mêmes : la révolution qui se fit dans la religion, introduisit seulement quelques termes nouveaux, devenus nécessaires pour exprimer des idées nouvelles; enfin, les Grecs, amoureux de paroles, conservoient avec un soin religieux cette langue consacrée par les Platon et par les Démosthènes, comme l'unique reste du glorieux héritage de leurs ancêtres'; et la ville d'Athènes, jusqu'à la destruction de l'empire grec, fut une véritable académie, qui en avoit tous les avantages sans en avoir les inconvéniens.

Aucune société n'a jamais joui d'une aussi grande célébrité que la ci-devant Académie française ; et si l'on veut être bien convaincu de l'inutilité et même du danger de ces corporations, il suffit de jeter un coup-d'œil sur les destinées de cette compagnie fameuse. Fille du despotisme, monument de l'orgueil d'un fier prélat, l'académie, dans sa naissance, fut condamnée à servir l'ambition du cardinal de Riche-. lieu peu content de dominer son maître, d'humilier l'Autriche, de faire trembler l'Europe, ce ministre

altier vouloit encore régner sur les esprits, enchaîner Jes opinions, joindre à la gloire des négociations et des conquêtes la gloire encore plus flatteuse du génie et des talens; il prétendoit soumettre les gens de lettres comme les protestans de la Rochelle : l'académie no fut d'abord qu'une commission établie pour juger ceux qui oseroient avoir plus d'esprit et de talent que lui; ce fut une ligue en faveur de la médiocrité contre le génie ce ne fut pas pour maintenir la pureté de la langue et du goût, qu'il érigea ce tribunal, mais pour travailler à ses tragi-comédies, pour sanctionner sa tyrannie jalouse, et pour admirer les chefs-d'œuvre de ridicule et de mauvais goût, qu'il faisoit représenter avec une magnificence digne de l'auteur. (1). ·

[ocr errors]

Richelieu arrangeoit dans sa tête un plan de comédie ; il mandoit ensuite ses académiciens, ou plutôt ses manœuvres, et les chargeoit de l'exécution; il ne falloit pas s'aviser de trouver quelque chose à redire aux idées admirables et aux conceptions sublimes du cardinal poète, il falloit se borner à les versifier : il laissoit à ses nègres le travail triste et rebutant des vers et de la rime, et se réservoit l'invention. Corneille ayant eu la témérité de changer quelque chose à la disposition de l'acte dont il étoit chargé, son audace fut taxée de rebellion; le cardinal, piqué, dit qu'il falloit avoir un esprit de suite. Il entendoit sans doute par esprit de suite, l'esprit qui suit aveuglément les ordres d'un supérieur peu s'en fallut : que Corneille, pour avoir osé croire que le cardinal s'étoit trompé, ne fût

(1) Ici la sévérité du critique nous paroît excessive. Il juge les amusemens d'un grand ministre avec une rigueur qu'il faudroit réserver, ce nous semble, pour des cas plus graves.

Le lecteur pourra appliquer cette remarque à d'autres passages de cet article, plein, d'ailleurs, de pensées solides.

destitué de la place qu'il occupoit parmi les cinq versi→ ficateurs ordinaires de la chambre de son éminence.

Lorsque le même Corneille, par un autre genre de révolte encore plus coupable, souleva la cour et la ville en faveur de la première tragédiè touchante qui eût encore paru sur le Théâtre Français, le cardinal fit attaquer ce chef-d'œuvre par son régiment d'académiciens; et si le public n'eût vigoureusement soutenu le Cid, cette pièce, l'honneur de notre scène, eût suc combé sous les traits de Scuderi....

Quels étoient les membres de ce corps illustre? Les Chapelain, les Cotin, les Scuderi, les Chassaigne, les Colletet, les Boisrobert, les Conrad, les Boyer, etc., etc. Quels hommes, grands dieux! pour maintenir la pureté de la langue et du goût ! des écrivains flétris, dont le nom seul est aujourd'hui une injure! Le berceau de l'académie n'est pas, comme on voit, couronné de palmes, et de trophées brillant de l'éclat de l'or et de la pourpre elle est née dans la fange et le mépris au bruit des sifflets et des huées, au sein du ridicule et du mauvais goût; ses langes ne sont que des haillons, son origine ne rappelle que des disgrâces et des ignominies; et lorsque, dans les jours de sa gloire, elle voyoit réunis dans son enceinte l'élite de ce qu'il y avoit de plus grand en France, elle ressembloit à ces riches financiers dont le père et l'aïeul avoient été laquais.

Qui est-ce qui ouvrit les yeux au public sur l'abus des pointes, des jeux de mots, des métaphores, sur la platitude et l'insipidité des écrits qui faisoient alors pâmer d'admiration les précieuses de l'hôtel Rambouillet, et bâiller d'ennui toute la France? Fût-ce l'académie française, destinée à maintenir la pureté de la langue et du goût? Vraiment elle n'avoit garde.

« AnteriorContinuar »