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fails bien peu intéressans, et d'autres tout-à-fait déplacés. On seroit même tenté de croire, en comparant cet écrit avec la Vie de Frédéric que nous avons citée, que l'un des deux auteurs a emprunté à l'autre. Un grand nombre des anecdotes rapportées dans la Vie se retrouvent dans les Mémoires secrets, et à-peu-près dans les mêmes termes; de sorte que l'on est tenté de juger que le dernier de ces ouvrages a quelques obligations au premier.

Il est évident, d'ailleurs, que c'est la production d'un jeune homme peu réfléchi, qui même commet des fautes d'ignorance impardonnables. Ainsi il appelle Benoît XIV Lamberti au lieu de Lambertini: il se peut que ce soit une faute d'impression ; mais ce qui n'en est pas une, c'est ce qu'il ajoute, que le pontificat de Benoît XIV dura à-peu-près un demi-siècle. Cé demi-siècle là fut un peu court, puisque Benoît XIV fut élu en 1740 et mourut en 1758. Ailleurs, l'auteur appelle de Talonge le jeune homme impliqué avec La Barre dans l'affaire d'Abbeville, en 1766. Ce jeune homme ne s'appeloit point de Talonge, mais d'Eta londe, comme on le voit par les mémoires du temps, et spécialement par la Correspondance de Voltaire, où il est souvent mention de cet officier, qui, au sortir de France, entra au service de Prusse. L. M. D. L. n'a pas été mieux instruit sur un jésuite Lo....., qu'il accuse d'avoir, en 1698, prêché en France le régicide avec fureur. Il n'y avoit point, en France, en 1698, de jésuites qui prêchassent le régicide, et la maxime impudente qu'il prête au P. Lo..... est toute de son invention. Ce n'est point le fanatisme de ce religieux qu'il faut déplorer ici, c'est la calomnie de l'écrivain qui a imaginé une fable aussi dépourvue de vraisemblance. Il est aujourd'hui moins permis que jamais de citer

les jésuites, lorsqu'il est question de régicide : ce mos ne rappelle à la mémoire que des gens qui n'ont rien de commun avec les jésuites. Cette note-là auroit eu besoin d'être lue et même d'être retouchée.

Nous ne citerons point le jugement que L. M. D. L. porte sur Kant et sur Raynal: il regarde l'un comme un modèle d'obscurité, et l'autre comme un modèle de bavardage, et tous deux comme pétris d'orgueil èt de vanité. Pour cette fois il a bien vu, et nous sommes de son avis et de celui de Frédéric, qui, après avoir lu l'Histoire philosophique et politique des établissemens des Européens dans les deux Indes, dit que ce livre lui avoit donné la colique, mais qu'il craignoit qu'il ne donnât la rage à nos neveux. Ses alarmes ne se sont que trop réalisées; ce sont ces livres tracés par des mains furieuses qui ont en effet excité parmi les peuples ces mouvemens de rage et de frénésie, et ces fougues révolutionnaires dont nous avons éprouvé si long-temps les sinistres effets, et que la voix de la sagesse et de l'autorité ont eu tant de peine à calmer.

Au total, cet ouvrage est plus que médiocre, et si l'on y apprend quelques détails curieux sur un homme trop vanté, ces détails sont bien achetés par la stérilité du fond et par le peu d'agrément de la forme. Ce qu'il y a d'intéressant dans le volume se réduit à quelques pages, et nous espérons qu'on ne nous soupçonnera pas de vanité, quand nous dirons que nous avons rapporté tout ce qui méritoit de l'être, et que notre article renferme tout ce qu'on pourroit chercher de bon dans les deux cents pages in-8°. de M'. L. P... T.

M. D. L.

II.

ŒUVRES DE D'ALEMBERT. Détails historiques sur ce philosophe.

....

.DANs cet article, nous ne parlerons que du premier volume des Euvres de M. d'Alembert. Ce volume contient un avis de l'éditeur, une notice historique des mémoires, et un portrait de l'auteur fait par luimême, le portrait de mademoiselle l'Espinasse, les élégies qu'il composa sur la mort de cette demoiselle pour prouver qu'il étoit sensible, son éloge par Marmontel et Condorcet; enfin, le discours préliminaire de l'Encyclopédie, avec une autre préface placée au troisième volume du même ouvrage.

Dans la notice historique sur monsieur d'Alembert et dans ses Mémoires, on peut apprendre que Frédéric régnoit en Prusse, et Catherine en Russie; mais on chercheroit en vain le nom du monarque sous lequel l'auteur a vécu rien n'est plus conséquent pour un philosophe. D'Alembert, fils naturel de mademoiselle de Tencin, méconnu en naissant par sa mère, fut exposé sur les marches d'une église, tant les criminels même sont persuadés que la religion seule inspire une pitié active. Si pareil accident étoit arrivé à notre jeune héros en Prusse, il auroit été soldat pour la vie ; si, en Russie, il seroit devenu mousse ou esclave; mais dans cette France ingrate et barbare, où la civilisation du nord n'avoit pas encore fait des progrès, il tomba entre les mains d'un honnête homme qui pou

voit l'envoyer aux Enfans-Trouvés, et qui le voyant si chétif le confia à une vitrière qui le nourrit et lui sauva la vie par ses soins. La charité fournit aux premiers frais de son éducation; comme on lui reconnut des dispositions à apprendre, on l'envoya au collège de Mazarin où ses maîtres se firent un plaisir de seconder les dispositions qu'il tenoit de la nature. Ses études achevées, il travailla pour être avocat, puis médecin; mais entraîné par son goût pour les mathématiques, il préféra à toute profession libérale une vie indépendante, et parvint sans effort à se la procurer. Ainsi, dans cette France qu'il étoit philosophique de mépriser, un enfant abandonné put se créer une existence à son choix, s'ouvrir le sanctuaire des sciences, entrer dans la familiarité des grands, arracher des pensions de la cour, sans autre appui qu'un peu de talent qu'il devoit aux institutions créées au profit de tous. Et de si grands avantages ne purent fléchir l'orgueil d'un philosophe! et jamais un mouvement de reconnoissance n'arrêta les projets cruels que cet écrivain avoit formés contre une religion et un gouvernement auxquels il devoit tant! Toutes ses adorations publiques étoient pour Catherine II, dont Voltaire expliquoit la conduite envers nos beaux-esprits, en écrivant aux sectaires: «Ma Catau aime les philosophes, son mari « aura tort dans la postérité. » Toutes ses flatteries publiques étoient pour Frédéric, qui payoit douze cents livres par an le mal que d'Alembert lui disoit de la France; et ce n'étoit pas trop. Mais, dans le fond de l'ame, cet écrivain n'aimoit ni Catherine, ni Frédéric : il n'aima jamais personne; en revanche, il détesta beaucoup. Sa haîne a cela de remarquable, qu'elle ne fut point excitée par des passions; on sait qu'il étoit ́incapable de ressentir celles qui tiennent à la violence

des sens. Le fond de son caractère étoit l'envie; et comme cette envie étoit froide, il acquit de l'ascendant sur des écrivains qui lui étoient supérieurs, sans en accorder à personne sur lui. C'est à cette disposition de son ame qu'il doit sa réputation dans les lettres, les philosophes n'ayant rien osé refuser au directeur du parti; entr'eux, ils l'appeloient le Mazarin de la littérature, par l'habitude où sont tous les conjurés d'employer de grandes comparaisons pour énnoblir les petites choses qui les regardent.

La vie de M. d'Alembert n'offre point d'événemens: il vouloit faire le mal sans hazarder sa tranquillité, ce qui l'obligeoit à mettre de la réserve dans sa conduite, et plus d'astuce que de vigueur dans les écrits qu'il livroit au public. Sans sa correspondance qu'il prit le soin de rassembler pour être imprimée à sa mort, on le croiroit plus sot que méchant; mais cette correspondance révèle le secret de ses écrits; et ce qu'on y remarque de contradictions, de niaiseries, n'est plus qu'une adroite conciliation entre ce qu'il disoit pour faire des prosélytes au parti, et ce qu'il croyoit devoir au besoin d'endormir l'autorité. Toutes ces petites finesses paroissent bien viles aujourd'hui que la révolution a parlé si haut contre la philosophie; et l'on seroit presque tenté de plaindre un homme qui s'est déshonoré pour mettre à bout cette Encyclopédie, qu'il finit lui-même par appeler un habit d'Arlequin, dans lequel on trouve quelques bons morceaux et beaucoup de haillons. Mais il se plaisoit dans les petits détours presqu'autant que dans ses petites plaisanteries. Prié par le roi de Prusse de venir diriger l'académie de Berlin, il se fit un honneur patriotique d'un refus calculé sur des motifs plus réels; supplié par l'impératrice de Russie de venir présider à l'édu

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