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de droiture et de probité, y ést peint d'une manière plus vraie et plus plaisante que dans l'ouvrage de Shéridan et dans celui de son imitateur.

G.

XVIII.

D'une nouvelle espèce de mélancolie.

LOIGNÉS du théâtre toujours changeant de la mode et des frivolités, nous avons cru cependant reconnoître jusque dans la manière dont on traite de la religion à Paris, cet empire absolu de la mode à qui rien ne résiste, moins encore dans la capitale que par-tout ailleurs; l'on diroit qu'on veut façonner, selon le goût du jour, une institution essentiellement invariable et toujours d'accord avec elle-même, qui n'est et ne peut être sacrée pour les hommes de toutes les classes, qu'autant qu'on lui conserve ces couleurs antiques et augustes, ce front austère et majestueux qui prescrit le remords au crime, les larmes au repentir, et le courage à la

vertu.

Vous voyez, messieurs, que je veux parler de cette mode nouvelle qui consiste à habiller en quelque sorte la religion selon les fantaisies du dix-neuvième siècle, et à en faire comme un personnage de roman à qui nous pouvons prêter nos idées, nos travers et jusqu'à nos ridicules. Depuis quelques années les productions les plus remarquables ont été frappées au coin de la mélancolie; et comme on a voulu mettre du sentiment jusque dans des affiches, la religion elle-même a été, pour plusieurs écrivains, l'objet des affections mélarcoliques et tendres, le domaine des désirs vagues et

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indéterminés, des rêveries solitaires et philosophiques, qui sont d'autant plus dangereuses en morale, qu'elles substituent l'oisiveté du sentiment à l'activité de la vertu, et qui sont aussi d'autant plus absurdes en matière de religion, que l'auteur de la religion ne permet aucune incertitude, aucun vague dans les affections de ceux qui la professent, et qu'il dit bien clairement à chacun d'eux : « Tu adoreras ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul. »

Les cimetières, les tombeaux, les chants funéraires, quelques monumens consacrés par la piété d'amans malheureux, les infortunes d'Héloïse et d'Abeilard, et plusieurs autres particularités de ce genre qui se trouvent dans la religion, mais qui ne sont pas la religion, voilà ce qui paroît avoir sur-tout séduit des écri vains d'ailleurs éclairés, qui n'ont pas réfléchi qu'en cherchant à embellir et à célébrer ces souvenirs et ces objets mélancoliques, c'étoit favoriser les passions les plus dangereuses et les plus chères au coeur humain ; c'étoit leur donner un appât nouveau, pris dans la religion même qui les condamne; c'étoit leur ouvrir un nouveau domaine, où, à l'aide de ce qu'il y a de plus sacré, le cœur se croit vertueux lorsqu'il n'est que tendre, et religieux lorsqu'il n'est que sentimental et rêveur. On a été, pendant ces dernières années, jusqu'à regretter que la douleur ne se trouvât pas aussi dans le paradis des chrétiens. C'est avoir pour la douleur une prédilection bien marquée ; c'est se former de ce mal une idée bien étrange ou plutôt bien absurde. Mais chacun devine aisément ce que peut être cette douleur; sans doute elle ressemble, dans l'imagination de nos romanciers, à la rêverie de quelqu'amant malheureux, qui conserve un souvenir une image, ou peut-être même les cendres de l'objet qu'il pleure. Il

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faut convenir que s'il se trouvoit de ces hommes-là dans le paradis des chrétiens, ce paradis n'auroit guère de rapport avec la morale qu'on leur prêche.

Il y a quelque temps que, voyant ces idées tristes et rêveuses consacrées par les ouvrages du jour les plus accrédités et les plus généralement répandus dans la capitale, j'imaginois que tout Paris étoit plongé dans la douleur et le chagrin. Je fus bien étrangement surpris, lorsque je vis qu'il m'étoit impossible de faire un pas dans cette ville, sans rencontrer un élysée, une salle de bals, un spectacle, un jardin champêtre, et par-tout un peuple riant, dansant à outrance dans tous les quartiers et tous les jours. Il est vrai que le peuple pouvoit bien n'en être pas encore aux tendres concep◄ tions de la mélancolie. En passant devant un des plus beaux temples de la capitale, je vis un grand nombre de voitures qui obstruoient le passage; on étoit venu à la messe.» Du moins ces gens-là, me dis-je à moimême, ont leur mélancolie, leur vague des passions; ils doivent avoir reçu toute l'éducation qu'il faut pour cela. En entrant dans le temple, je ne tardai pas à m'apercevoir que ce jour-là la mode étoit d'aller à la messe; et en observant la démarche, les manières, la mise peu décente des personnes qui s'y trouvoient, il étoit aisé de s'apercevoir que leurs passions n'avoient rien de vague et d'indéterminé, et que le luxe, la volupté, la mollesse, les airs de dédain envers les modestes témoins qui les regardoient, étoient, pour le moment, ce qui les occupoit le plus, et que leur mélancolie ne subsistoit que dans les livres.

Pardonnez, messieurs, à un homme qui, par état, ne voit chaque jour que des souffrances, hélas! trop réelles, ce petit courroux contre ces douleurs fantastiques qui ne produisent aucune vertu, contre cette VIIe. Année.

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pitié égoïste et sentimentale, qui n'engendre aucun acte de charité! Si les riches de la capitale veulent s'attrister avec raison, qu'ils viennent dans nos chaumières envisager la faim, la misère et la maladie accablant l'homme vertueux qui travaille pour les nourrir Qu'ils voyent des victimes innocentes qui ne pleurent point pour des maux chimériques, et qui, au milieu de tous les chagrins de la vie, apprennent, en nous écoutant, à bénir encore la Providence, et à gémir bien plus du peu de mal qu'elles peuvent avoir fait, que de celui qu'elles endurent.

C.....desservant du village de S.....

XIX.

Epitre à madame ADÈLE ***, pour l'inviter à se jeter

Vors

dans la mélancolie.

ous avez tous les dons pour plaire,

Esprit, raison, grâce, beauté;

On vante votre caractère,

Et l'on aime votre bonté.

Mais, hélas! pour être accomplie

Il vous manque une qualité;
La divine mélancolie,

Dont le charme fut si vanté (1),
Sur votre cœur n'a point d'empire;
Vous vous laissez un peu séduire

(1) On ne parle point ici de la Mélancolie chantée par MM. Delille et La Harpe : celle-là est trop simple pour attirer nos regards; la mélancolie célébrée dans cette Epître est au sentiment connu jusqu'ici ce que le mélodrame est aux tragédies de Racine. Cela suffit, je crois, pour lui obtenir de nombreux partisans dans le siècle où nous sommes.

Par les charmes de la gaîté;
Puisqu'enfin il faut vous le dire,
Parfois on vous surprend à rire,
Et c'est très-mal, en vérité.
Chez notre nation légère,
Je sais qu'on a ri quelquefois ;
Je me souviens que le parterre
Rioit aux pièces de Molière ;
On rioit chez l'humble bourgeois,
On rioit même chez les rois ;
Mais on a changé de méthode,
Et nos romanciers favoris
Viennent de mettre dans Paris
La mélancolie à la mode.
J'ai vu planer sur nos salons
L'ombre du plaintif Jérémie ;
La vive joie en est bannie,
On y pleure même en chansons;
C'est par-là que notre âge brille;
Le spleen fait par-tout des progrès;
On ne rit plus qu'à la Courtille
Et chez les bourgeois du Marais.

Un cœur vraiment mélancolique
Est un trésor bien précieux.
D'être tendre et bon on se pique ;
*A verser des pleurs on s'applique,
C'est un état délicieux.

Si parfois l'amitié murmure,

Si l'on aime peu ses amis,

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(1) On s'intéresse bien moins à l'homme qu'aux animaux. Un écrivain moderne les appelle ses frères ; ila découvert qu'une fourmi bien élevée avoit plus d'esprit qu'une fille de douze ans. Les

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