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en 1775; et en 1789 le roi de France ne vit plus que des ennemis dans ceux qu'il avoit comblés de biens, er l'ange de la mort lui apparut dans le lointain.

Ce seroit ne pas connoître Fréron, que de ne voir en lui qu'un critique épluchant des vers et de la prose; exercice assez frivole, et qui n'a d'importance que par le rapport nécessaire qui existe entre le goût, la raison et les mœurs. C'est bien moins le littérateur qu'il faut considérer dans Fréron, que le sage, le citoyen, le bon politique, l'homme honnête et intrépide qui se dévoue pour le salut de sa nation et de son gouverne

ment,

Fréron n'a fait que des critiques aussi ingénieuses que justes des ouvrages de Voltaire; Voltaire n'a opposé que des injures atroces et dégoûtantes, des calomnies, des satires virulentes, d'affreux libelles. Fréron a combattu en homme d'esprit et de goût : Voltaire, quoique plein de goût et d'esprit, s'est défendu ( osons le dire ) en cuistre de college; car pourquoi ne pas lui applîquer à lui-même l'épithète galante dont il s'est montré si prodigue à l'égard des gens les plus polis? C'est la peine du talion.

N'y a-t-il donc dans le monde que le talent qui ait droit à l'estime ? Et parce qu'un homme a þien tourné des phrases, a fait quelques bons vers, aura-t-il donc le privilége de se livrer impunément aux passions les plus grossières, de blasphêmer contre les institutions les plus sacrées, d'outrager les mœurs, d'égarer les esprits, de brouiller et de bouleverser toutes les idées, de tromper et de corrompre son siècle? N'a vons-nous pas le citoyen de Genève, qui nous dit que les talens dont on abuse ne méritent que mépris et que haine ? Ce sont ses termes.

Voltaire avoit sans doute infiniment plus de talent

que Fréron; mais il n'en a fait usage que pour la destruction de l'ordre social. Fréron, qui consacra sa plume à la défense de son pays, vaut donc mieux que Voltaire qui n'employa la sienne qu'au malheur du genre humain. J'estime bien mieux le caractère et l'intrépidité de Fréron, qui repousse loin de la France une philosophie meurtrière, que l'ambition et l'adresse d'un sophiste qui nous donne pour de la philosophie les rêves brillans de son imagination.

Les ordures de Voltaire n'ont point imprimé de tache au nom de Fréron, une cruelle expérience a réhabilité sa mémoire et prouvé son mérite : les horreurs dont il fut abreuvé retombent sur la tête de ses ennemis, et Fréron peut se montrer à front découvert dans le monde et sur la scène, plus qu'aucun philosophe.

G.

XVII.

Diverses espèces de

Tartufes.

LE TARTUFE DES MŒURS.

DEUX

3

EUX Comédies morales viennent de se succéder au Théâtre Français, le Tyran domestique et le Tartufe des mœurs: elles manquent de profondeur et de force comique, mais elles offrent un fond honnête; et si l'on n'y sent pas toujours l'art et le génie, on en estime du moins les pensées et les sentimens: elles sont plus instructives qu'amusantes, et intéressent le coeur plus qu'elles ne satisfont l'esprit. La première nous montre un homme bon et sensible sous l'apparence d'un bourru et d'un grondeur insupportable; l'autre, un vil scélérat sous le masque de la vertu.

:

La grande société humaine a le même vice que les petites sociétés particulières; les associés cherchent à se tromper pour attirer à eux tous les profits de l'association le choc des divers intérêts produit une guerre intestine dans la communauté. Un grand problême à résoudre seroit le plan d'une société où tous les intérêts particuliers seroient d'accord avec l'intérêt général. Nos savans géomètres ne résoudront point ce problême; et si jamais on en donnoit la solution, ce ne seroit pas dans la société la plus avancée dans les mathématiques.

Dans les réunions nouvelles et peu civilisées, chacun met ses passions plus à découvert, et fait valoir ses prétentions avec plus de hauteur: c'est ce qu'on appelle grossièreté et barbarie. Chez les nations anciennes et perfectionnées, le jeu des intérêts est plus caché; chacun déguise mieux sa marche; c'est ce qu'on nomme politesse : c'est alors qu'il s'établit un commerce de fausseté dont personne n'est dupe, et qui cependant trompe tout le monde. Chacun ayant intérêt de paroître autre qu'il n'est, l'un passe à l'autre la casse pour qu'il lui passe à son tour le séné; trompeurs et trompés tour-àtour, tous s'arrangent: la fourberie devient une convention tacite, plus agréable même qu'une franchise brutale; et si quelqu'un se laisse duper par de vaines apparences, c'est un peu sa faute, il étoit averti; on peut lui reprocher son ignorance des mœurs publiques, et il est à-peu-près aussi sot que celui qui prendroit au pied de la lettre les protestations et les assurances convenues dans le commerce épistolaire.

Mais dans cette foule de petits hypocrites dont la société est nécessairement composée, il s'en trouve quelques-uns qui travaillent plus en grand, dont les spéculations sout plus étendues et plus profondes, et

qui bâtissent un systême de fourberie plus compliqué. Ce ne sont plus des intérêts, des projets, des vues d'avancement ou de plaisir, qu'ils cachent sous des dehors spécieux; ce sont des méchancetés, des noirceurs, des crimes qu'ils s'efforcent de couvrir de ce qu'il y a de plus respectable et de plus sacré parmi les hommes. Ce ne sont plus des intrigans et des gens d'esprit qui font des espiégleries, ce sont des scélérats et des monstres qui se jouent du ciel et de la terre : cette espèce d'hypocrisie est le dernier degré de la corruption. Les forfaits où la violence des passions entraîne une ame ardente, ont du moins quelqu'excuse; ils n'interdisent pas tout retour à la vertu; c'est une inflammation qui peut se guérir l'hypocrisie est incurable comme la gangrène; elle suppose une ame sans

mouvement et sans ressort.

On a dit que le Tartafe de Molière étoit un hypocrite de mœurs comme de religion; qu'en se bornant à l'hypocrisie de mœurs on ne pouvoit produire qu'un caractère foible et peu saillant. Molière avoit sans doute une mine féconde d'excellent comique dans l'abus des formes extérieures de la dévotion, dont le Tartufe se sert pour tromper des ames simples et pieuses; il avoit dans son génie une autre mine encore plus riche de situations fortes et vives, propres à faire ressortir toute la scélératesse de son personnage. Je conviens qu'il étoit difficile, après le Tartufe de dévotion, de donner au Tartufe de mœurs un intérêt et un coloris particuliers, capables de produire une grande impression; mais chaque siècle ayant ses tartufes qui empruntent le masque des vertus à la mode, je suis persuadé que s'il y avoit eu de nos jours un Molière, il eût pu faire de l'hypocrisie de sentimens et de mœurs un portrait non moins admirable que celui que l'au

teur du Tartufe nous a tracé de l'hypocrisie de religion.

Il étoit absolument nécessaire de séparer l'hypocrisie de mœurs de l'affectation des formes religieuses, puisque cette affectation ne peut plus tromper personne; et il me semble qu'il y avoit dans le nouveau jargon philosophique d'humanité, de sensibilité, de délicatesse, de bienfaisance, d'enthousiasme de la nature et de la vertu, de quoi fournir à un caractère de charlatan tout-à-fait comique. La matière est assez abondante, mais il falloit du génie pour la mettre en œuvre. Au reste, cette idée de présenter sur la scène un coquin qui fait l'honnête homme, étoit déjà fort ancienne quand Sheridan s'en est avisé. Nous avons, sur ce sujet, deux comédies de Dufresny, l'une jouée sans succès, sous le titre de Faux Honnéte Homme; l'autre, un peu plus heureuse, et qui obtint quelques représentations, sous le titre du Faux Sincère. Dufresny, bon observateur et assez mauvais poète, habile à dessiner des caractères et tout-à-fait ignorant dans l'art de combiner une intrigue; Dufresny sentit qu'un fourbe qui joue la probité pouvoit être piquant au théâtre, surtout si on mettoit en opposition son caractère doucereux et patelin avec l'humeur brusque, franche et loyale d'un véritable honnête homme, lequel parvient à la fin à démasquer le fourbe. Il y a des scènes admirables dans cette pièce du Faux honnéte homme; mais enchassées dans un mauvais plan, elles n'empêchèrent pas la pièce de tomber. Des débris de són Faux honnête homme, Dufresny composa son Faux sincère, se flattant de pouvoir placer ses excellentes intentions comiques dans un meilleur cadre; et cependant cette dernière pièce n'a pas encore le degré de chaleur et d'intérêt-suffisant pour se soutenir au théâtre : mais le principal caractère, le Tartufe de sentimens,

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