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VARIÉTÉS BIBLIOGRAPHIQUES

COURRIER RUSSE

Moscou, 24 mars v. st. 1864.

LES TRADUCTEURS RUSSES.

LES MAXIMES DE LA ROCHEFOUCAULD.-LE PRINCE BORIS VLADIMIROVITCH GALITZIN.

A Monsieur le directeur du Bulletin du Bouquiniste.

Parmi les traductions russes des Maximes de La Rochefoucauld, il y en a une, imprimée à Moscou en 1810, de M. Pimanof, pseudonyme du prince Boris Galitzin. Cette traduction est précédée de réflexions sur les traducteurs russes et particulièrement sur ceux des Maximes de La Rochefoucauld. L'original de ces réflexions a été écrit en français; comme différentes raisons avaient forcé le traducteur à y faire des retranchements, il a cru nécessaire de restituer les passages supprimés, qui donnent plus de développement à ses idées; c'est pourquoi il a fait publier séparément cet opuscale, qui parut sous le titre suivant: Réflexions sur les traducteurs russes et particulièrement sur ceux des Maximes de La Rochefoucauld. Saint-Pétersbourg, de l'imprimerie de F. Drechsler, 1811, 68 p. in-16. Ce petit volume renferme plusieurs exemples fort curieux de la manière dont on traduisait en Russie à la fin du xvIIe siècle et au commencement du xixe.

Le prince Galitzin termine sa courte préface en disant que depuis longtemps dans toutes les littératures, les personnes d'un goût sévère crient contre les traducteurs, qui n'en vont pas moins leur train. Cette mésintelligence vient au fond de ce que l'on ne s'entend pas. On oublie que Montesquieu avait dit à un homme qui traduisait depuis vingt ans : « Quoi, monsieur, il y a vingt ans que vous ne pensez pas ! » On les accable de critiques et ils ne lisent pas plus qu'ils ne pensent; on leur refuse toute espèce d'éloge, et ils ne les sollicitent pas; aucune célébrité n'est accordée à leurs travaux, et ils ne s'en plaignent pas. Pourquoi écrivent-ils donc? demandera-t-on. Je crois qu'avec un peu de sincérité ils pourraient tous en choeur répondre par ces deux vers d'un quatrain fort connu :

Nous n'écrivons que pour écrire,
C'est pour nous un amusement, etc.

Aussi pour nous qui croyons avoir deviné leur pensée, n'avons-nous eu d'autre but ici que de dire à ces messieurs combien en s'amusant ils nous ont amusé.

A la fin du siècle dernier, le talent nécessaire et les devoirs imposés aux traducteurs leurs étaient inconnus ; ils s'imaginaient qu'on peut facilement tout faire passer d'une langue dans une autre. Nous possédons entre autres traductions: Homère traduit de l'anglais; le Tasse du français d'après Mirabeau ; Adam Smith de l'allemand; les romans de Fielding du français et quelques-uns traduits de l'allemand; beaucoup de drames des Schiller, traduits du français, et encore dernièrement un de nos écrivains modernes, M. Panaeff avoue dans ses Mémoires que, dans le commencement de sa carrière littéraire, il a traduit Othello du français, traduction mise en scène à Saint-Pétersbourg.

Montesquieu s'est trompé en disant aux traducteurs: « Si vous traduisez toujours, on ne vous traduira jamais; » Pindare et Sapho ont été traduits du français; il existe un roman anglais intitulé: Nourzahade, connu pour être de la mère du fameux Sheridan, quoiqu'elle n'ait pas mis son nom à la tête du livre. Quelqu'un attaqué de la maladie de traduire l'aura trouvé en polonais et s'est empressé de le traduire et de l'imprimer, sans s'informer de son origine.

Les traductions russes des Maximes de La Rochefoucauld ont été la plupart incomplètes et mal comprises par les traducteurs; ainsi une des premières que l'on doit à une jeune femme et qui, par là même mérite de l'indulgence, ne peut pas donner une idée juste de l'énergie des expressions du duc; il dit par exemple: La passion fait souvent un fou du plus habile homme et rend souvent les plus sots habiles. Deux traducteurs en ont changé le sens en disant que les passions faisaient des hommes les plus sots des gens d'esprit, et que des gens d'esprit elles jaisaient des sots. Cette traduction rappelle les laquais de Mme de Sévigné, auxquels elle comparait les traducteurs, qui redisent de travers tout ce qu'on leur dit.

Aux exemples cités par le prince B. Galitzin, j'en ajouterai encore un: Les Lettres sur la Crimée, Odessa et la mer d'Azof, par Mme Guthrie, parurent dans une revue de Genève; M. Snegiref en publia la traduction en 1810, avec le texte en regard; nous pouvons juger des connaissances du traducteur de la langue française d'après les extraits suivants: le sol y est (en Moldavie) de la meilleure qualité est traduit en russe le soleil y a une influence bienfaisante. Plus loin en parlant du Dnieper il est dit que le fleuve, dans la saison des hautes eaux, a environ deux lieues de large, ce que le traducteur a rendu par deux lieues de circonférence. Ensuite, en parlant du nom de la montagne

Chatirdag, qui signifie la montagne de la tente, parce qu'elle a effectivement la forme d'une tente, le traducteur dit dans sa naïveté que la montagne a la forme d'une tante!!!

Il suffit de ces exemples pour montrer combien nos traducteurs comprenaient peu leur devoir.

Mais revenons à l'auteur des Réflexions dont je vous entretiens. Le prince Boris Vladimirovitch Galitzin (1769-1813) était le frère du prince Dmitri Galitzin, ci-devant gouverneur général de Moscou. En 1799, le prince Boris était lieutenant général; en 1800, l'empereur Paul Ier l'obligea de quitter le service pour avoir amené dans le logement du consul Trompovsky à Riga tous les tambours de son régiment, qui firent un tel tintamarre, que l'enfant de Trompovsky mourut de frayeur. En 1801, le prince rentra au service, prit part à la guerre de 1812 et mourut à Vilna en 1813. Voici une liste des ouvrages que nous savons être de sa plume:

Notice sur Risbeck, jeune auteur allemand, mort le 5 février 1786, insérée dans le Mercure de France, du 12 juillet 1788. Paris, in-12, p. 99-102.

Doris, églogue, 1790, insérée dans la correspondance littéraire de Grimm et de Diderot. Paris, 1831, p. 18-21 (1).

M. Quérard, dans la France littéraire, cite du prince B. Galitzin : Contes moraux, traduits de l'anglais de Goldsmith. 1804.

Notes sur Esther. Paris, 1790, in-12.

Diogène et Glycère et autres morceaux de poésie du même genre, imprimés dans l'Almanach littéraire de 1788.

M. POLOUDENSKY.

ALBERT DURER, SA VIE ET SES OEUVRES, par E. GALICHON.-Paris, chez Aug. Aubry. 1861, in-4 de 88 pages.

Vite, vite, la plus belle reliure pour ce splendide in-4, tiré vraiment à trop peu d'exemplaires, et dont l'édition s'enlève si rapidement que je suis forcé d'en rendre compte en grande hâte, sous peine de voir mon article paraître lorsque les cinquante exemplaires mis en vente seront écoulés. C'est seulement un tirage à part de la Gazette des Beaux-Arts, recueil où M. Emile Galichon, admirateur enthousiaste des peintres-graveurs, a déjà retracé la vie de Martin Schongauer, dont les musées de Bâle et de Colmar possèdent de précieuses toiles; mais ce tirage à part, parsemé de gravures sur bois

(1) Voy., pour ces renseignements, les Notices bibliographiques du prince Nicolas Galitzin dans les nos 23 et 25 de la Renommée (Molva) de 1857,

f

et sur métal, est exécuté dans le format in-4 sur un papier vergé si égal et si fort, qu'il ne peut recevoir pour enveloppe que le maroquin le plus habilement employé.

Je m'aperçois que la perfection extrinsèque de ce volume m'empê che trop longtemps de parler de son contenu. Voyons d'abord les estampes. Une grande eau-forte mêlée d'acqua-tinta reproduit un superbe dessin à la plume, lavé de couleurs, tiré de la riche collection de M. F. Reiset, dessin d'Albert Dürer, qui fait connaître la composition complète du retable de la Sainte-Trinité, peint en 1511 et conservé à Vienne. Sur le titre même du livre et à la page 58, nous trouvons une reproduction, signée de M. E. Sotain, de l'estampe de la sainte Véronique, « pièce exquise et d'une rareté extraordinaire qui fut très-probablement exécutée entièrement à la pointe sèche. Aussi la planche n'a-t-elle pu tirer qu'un très-petit nombre d'épreuves, et Albert Dürer, de son vivant déjà, l'offrait aux grands seigneurs dont il attendait quelques grâces. Elle se trouvait à la vente Verstolk de Soelen, en 1851, où elle atteignit la somme de 410 florins. >>

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Voici, comme lettre initiale, l'écusson à armoiries parlantes du grand peintre de Nuremberg. Cet écusson contient une porte à deux vantaux ouverts qui laissent apercevoir le chiffre A. D. C'est

un véritable rébus: Thur, signifiant porte,-dürer ou thürer, équivaut en allemand à nos noms français, Laporte ou Desportes.-Les deux gravures suivantes reproduisent des dessins inédits du grand artiste : d'abord des cavaliers hongrois de la collection de M. His de La Salle, puis un portrait de Gaspard Sturm, daté de 1520 et tiré de l'album de voyage d'Albert Dürer. Viennent ensuite une grande reproduction de la Dame à cheval, gravée au burin avant l'année 1496, et une copie de la Nativité, pièce gravée avec une finesse merveilleuse et l'une des plus jolies de l'œuvre de Dürer.

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N'oublions pas non plus une médaille rarissime marquée sur le fond du monogramme A D et du millésime 1554, et que M. Galichon a fait graver sur bois d'après l'exemplaire appartenant à M. Niel, ni

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