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et d'autre de grands estours, hommes d'armes navrés terriblement, et aucuns autres pris prison niers de la partie des Anglois. Mais, en ce faisant, ledit comte, pour secourir et aider ses gens, se hâta moult fort atout son ost, pourquoi il fallut par contrainte les Dauphinois rentrer dedans leur ville en grand' hâte.

Et lors ledit comte moult prudentement chevauchoit en ses armes autour de la ville, pour fermer son ost et tenir ses gens en bonue ordonnance. Dont la plus grand' partie desdits Anglois se logèrent dedans l'abbaye, et les autres le mieux qu'ils purent en tentes et en pavillons. Après lequel logis pris par eux, commencèrent à abattre ladite ville de leurs pierres et engins, sans cesser, jetant contre les murs d'icelle, et les dérompant en plusieurs lieux. Et au regard des saillies et envahisse ments que firent les Dauphinois chevaleureusement sur ceux du siége, se convient taire, pour cause de brièveté ; et pour tant que du côté vers la mer n'y avoit point de siége, par faute de navires que n'avoient pas lesdits assiégeants, issoient lesdits assiégés à leur plaisir par leurs navires, pour aller quérir vivres abondamment et autres choses à eux nécessaires, tant au Crotoy comme ailleurs; laquelle chose moult déplaisoit au comte de Warwick, et à ceux du siége.

Pour ce envoya icelui comte en plusieurs ports de Normandie quérir navires, lesquels vinrent en grand' puissance, et assiégèrent par le côté de

la mer. Dont lesdits assiégés, voyant que de tous côtés avoient perdu l'issue de leur ville, furent moult troublés et assimplis. Pourquoi, au bout de trois semaines ou environ, firent traité avec le dessusdit comte de Warwick, par condition qu'ils se départiroient de ladite ville, saufs leurs corps et leurs biens, le quart jour du mois de septembre ensuivant, au cas que le duc de Touraine, dauphin, ne seroit à ce jour puissant de combattre ses ennemis devant ladite ville. Et aussi durant le temps dessusdit, lesdits assiégés se abstiendront de courir ni fourrager les pays. Sur ce ́, délivrèrent audit comte, pour plus grand' sûreté, bons ôtages; lequel, atout, ses Anglois, retourna devers le roi Henri d'Angleterre, après l'accomplissement des choses dessusdites. Et pareillement envoya le roi Henri d'Angleterre, le duc de Bedfort, son frère, et autres de ses princes, grandement accompagnés, en la ville de Compiègne, pour icelle recevoir en la main du seigneur de Gamache; lequel, comme par avant avoit promis, la rendit le dix-huitième jour du mois de juin, en la main dudit duc de Bedfort, et après se départit, atout environ douze cents combattants, lesquels sous bon sauf-conduit du roi Henri, il emmena outre la rivière de Seine, et de là vers le Dauphin. Et en cas pareil rendit le seigneur de Gamache les forteresses que ses gens tenoient, dont dessus est faite mention. Et par ainsi toutes les places que tenoient les Dauphinois, depuis Paris jusques à

Boulogne sur mer, furent mises en l'obéissance des deux rois de France et d'Angleterre, réservé le Crotoy et la terre de Guise.

En outre, après que ledit duc de Bedfort eut reçu les serments des bourgeois et habitants de Compiegne, et aussi qu'il y eut constitué capitaine messire Hue de Launoy, s'en retourna à Senlis, devers le roi Henri, son frère; et en ce même temps furent envoyés, de par iceux rois, ambassadeurs au Crotoy, devers messire Jacques de Harcourt, c'est à savoir son frère l'évêque d'Amiens, et avec lui l'évêque de Beauvais, messire Hue de Launoy, maître des arbalêtriers, et un héraut, de par le roi Henri, pour lui faire sommation de rendre la ville et châtel en la main des rois dessusdits; mais finablement, pour diligence qu'ils pussent faire, ne purent venir à quelque traité, et pour ce

s'en retournèrent.

CHAPITRE CCLXXIII.

Comment le roi d'Angleterre alla de Senlis à Compiégne; la prise de Saint-Dizier, et la rencontre des Dauphinois et Bourguignons.

En ce temps, alla le roi d'Angleterre de Senlis à Compiégne, pour voir la ville; auquel lieu lui furent apportées nouvelles qu'on avoit voulu prendre CHRONIQUES DE Monstrelet. T. IF. 25

la ville de Paris, par aucuns moyens de lettres apportées en ladite ville par la femme de l'armurier du roi de France, laquelle, par un certain jour, bien matin, fut aperçue d'un prêtre qui étoit allé en un sien jardin au dehors d'icelle ville; et la vit parler secrètement à aucuns gens d'armes, en une vallée au-dessous dudit jardin; et sur ce, tout effrayé, retourna dedans la porte de Paris, et dit aux gardes qu'ils avisassent à ce qu'ils avoient à faire, et qu'il avoit vu gens armés et une femme parler à eux. Et adonc lesdites gardes, de ce avertis, prirent ladite femme et la mirent en prison, laquelle tantôt après connut son fait. Pour lesquelles nouvelles, ledit roi Henri retourna avec tous ses gens d'armes à Paris, et fit noyer la dessusdite femme pour ses démérites, et avec elle aucuns de ses complices, et puis retourna à Senlis devers le roi de France.

Auquel temps messire Jean du Vergy et messire Antoine prirent la ville de Saint-Dizier en Partois ; mais les Dauphinois qui étoient dedans se retrahirent au châtel, auquel lieu ils furent tantôt assiégés; et entre temps, la Hire et aucuns autres capitaines s'assemblèrent en grand nombre, pour aller secourir ceux dudit châtel. De laquelle assemblée furent avertis les deux seigneurs dessusdits, et pour y résister se mirent ensemble au plus grand nombre qu'ils purent finer, et allèrent au-devant de leurs adversaires, lesquels ils assaillirent très vigoureusement, et enfin les détroussèrent. Si en y eut de morts environ quarante, et les autres se

sauvèrent par fuite. Après laquelle besogne retournèrent audit lieu de Saint-Dizier ; et bref ensuivant se rendit à eux ledit châtel, lequel ils regarnirent de leurs gens.

S'ensuit la complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France.

Hélas! hélas! hélas ! hélas!
Prélats, princes, et bous seigneurs,
Bourgeois, marchans, et advocats,
Gens de mestiers grans et mineur's,
Gens d'armes, et les trois estats,
Qui vivez sur nous laboureurs,
Confortez nous d'aucun bon ayde:
Vivre nous fault, c'est le remède.
Vivre ne povons plus ensemble
Longuement, se Dieu n'y pourvoye :
Mal fait qui l'autruy tolt ou emble
Par barat, ou par faulse voye.
Perdu avons soulas et joye
L'en nous a presque mis à fiu,
Car plus n'avons ne blé ne vin.

Vin ne froment ne autre blé.
Pas seullement du pain d'avoyne,
N'avons nostre saoul la moité

Une seulle fois la sepmaine :

Les jours nous passons à grand' peine,

Et ne sçavons que devenir;

Chacun s'en veult de nous fuyr.

Fuyr de nous ne devez mie,
Pensez-y, nous vous en prions.

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