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poursuivoient. Et pour ce, le plus tôt qu'ils purent, tirèrent au passage de la Blanche-Tache pour passer, et aller avecque messire Jacques de Harcourt qui étoit atout ses gens à l'autre côté de ladite rivière, vers Saint-Riquier. Durant lequel temps les gens dudit duc, renvoyèrent derechef plusieurs messages devers lui pour le faire hâter.

Lequel duc, qui étoit moult désirant d'assembler comme avec iceux, chevaucha son art atout moult, fort tant chevaux les pouvoient porter, pour les atteindre, et commençoient iceux Dauphinois à passer Jarivière; mais quand ils virent venir après eux ledit duc et sa bataille ordonnément, ils murent leurs propos, et retournèrent aux pleins champs, pour venir contre lui, chevauchant en bonne ordonnance, et montrant semblant de venir combattre ledit duc et sa puissance, jà-soit-ce qu'ils fussent en petit nombre au regard de lui. Et s'étoit Pothon de SainteTreille bouté avec eux, lui douzième, qui toute nuit étoit venu dudit lieu de St.-Riquier pour être à cette besogne. Et lors lesdites deux parties chevauchant, comme dit est, l'un contre l'autre, commencèrent à voir pleinement chacun d'eux la puissance de son adverse partie; et adonc, pource que les gens dudit duc chevauchoient en train, furent envoyés plusieurs hérauts et poursuivants pour le faire hâter; et ainsi chevauchèrent les deux parties assez bonne espace, toujours approchant les uns contre les autres; et messire Jacques de Harcourt, qui étoit à l'autre côté de la rivière atout ses gens, comme dit

est dessus, voyant icelles deux parties ainsi chevaucher l'une contre l'autre, ne s'efforça pas de passer pour aider à ses gens, que lui-même avoit mandés, mais s'en retourna au Crotoy, dont il s'étoit parti le matin.

CHAPITRE CCLVI.

Comment les deux parties, c'est à savoir le duc de Bourgogne et les Dauphinois, s'assemblèrent en bataille le dernier jour d'août, et ce qu'il en advint.

par

OR est vérité qu'en ce samedi dernier jour d'août, environ onze heures du matin, les deux batailles dessusdites, chevauchant l'une contre l'autre moult fièrement, s'arrêtèrent un petit, comme à trois traits d'arc l'un de l'autre ; et adonc furent faits moult en hâte de chacune partie nouveaux chevaliers. Entre lesquels le fut fait ledit duc, la main de messire Jean de Luxembourg. Lequel duc, après ce, fit chevaucher Philippe de Saveuse; et y furent faits de son côté Collart de Commines, Jean d'Estenhuse, Jean de Roubaix, Andrieu Villain, et Jean Villain, Philebert Andrenet, Daviod de Poix, Guérard d'Athies, le seigneur de Moyencourt, le Maître de Renty, Colinet de Brimeu, Jacques Pot, Louis de Saint-Sauf-lieu, Guillem de Halewyn, Derre de Coroy, et aucuns au

tres; et de la partie des Dauphinois le furent faits pareillement Gilles de Gamache, Regnault de Fontaines, Colinet de Villequier, le marquis de Sere, Jean Rogan, Jean d'Espaigny, Corbeau de Rieu, et Sarrazin de Beaufort. En après, fut envoyé, de la partie du duc de Bourgogne, l'étendard Philippe de Saveuse, avec six vingts combattants, que conduisoient messire Mauroy de Saint-Légier et le bâtard de Roussy, loin à pleins champs, sur le côté, pour férir lesdits Dauphinois au travers. Et lors les deux parties, qui étoient désirants d'assembler l'un contre l'autre, s'approchèrent très fort ; et par especial les Dauphinois, en grand bruit et roideur, se férirent, tant que chevaux les pouvoient porter, à plein cours dedans la bataille du duc de Bourgogne, de laquelle ils furent très bien reçus. Et y eût à cette première assemblée grands froissis de lances, et hommes d'armes et chevaux portés par terre moult terriblement d'un côté et d'autre.

Et adonc de toutes parts commencèrent à férir l'un sur l'autre ; et moult crueusement tuer, abbattre et navrer; mais durant cette première assemblée, départirent de l'ost dudit duc les deux parts de ses gens ; et moult en hâte se prirent à fuir vers Abbeville, où ils ne furent pas reçus; et pourtant, allèrent de là à Péquigny. Si étoit avec eux la bannière du duc, laquelle, pour la grand' hâtiveté, n'avait pas été baillée en autre main que du varlet qui l'avoit accoutumée de porter, lequel, en fuyant avec les autres, la jeta à terre; mais elle fut relevée

par un gentilhomme nommé Jean de Rosimbos, et à icelle se rallièrent et r'assemblèrent plusieurs nobles hommes des dessusdits, desquels grand' partie, paravant ce jour, étoient renommés d'être vaillants en armes. Toutefois ils laissèrent ledit duc de Bourgogne leur seigneur, et leurs autres gens en ce danger; pourquoi ils furent depuis grandement diffamés. Mais les aucuns se voulurent excuser pour la dessusdite bannière, disant qu'ils pensoient que avec icelle fût ledit duc.

Et aussi derechef leur fut certifié par le roi d'armes de Flandre, qu'icelui duc étoit mort ou pris, et qu'il le savoit véritablement : pourquoi en poursuivant de mal en pis, furent plus effrayés que devant, et, sans retourner, s'en allèrent, comme dit est, passer l'eau de Somme à Péquigny, et de là en leurs propres lieux. Et entre temps, une partie des Dauphinois, qui les virent partir de l'ost du duc de Bourgogne, commencèrent à courre après; c'est à savoir Jean Raullet, et Pierron de Luppel, atout environ six vingts comballants, et en prirent et tuèrent aucuns. Et entendoient à avoir gagné la journée, et que tout fut déconfit, mais leur pensée ne fut pas véritable; car ledit duc, et environ cinq cents combattants, qui étoient demeurés avec lui des plus nobles et experts en armes, se combattirent moult âprement et vaillamment contre lesdits Dauphinois; et tant firent, qu'en conclusion ils obtinrent la victoire, et demeurèrent maîtres en la place. Et comme il

fut relaté de toutes les deux parties, ledit duc, de sa personne, se gouverna moult prudentement, et fut en grand péril d'avoir occupation, par ce qu'il assembla (attaqua) des premiers ; et fut enferré de deux lances, de première venue, dont lui perça sa selle de guerre tout outre l'arçon de devant; et lui échoppa de côté son harnois; et avec ce, fut pris à bras d'un puissant homme d'armes, qui le cuida (ruer) jus; mais il étoit monté sur un bon cheval coursier, qui à force le passa outre. Si soutint, et aussi donna plusieurs coups à ses ennemis, et prit de sa main deux hommes d'armes; et chassa lesdits Dauphinois très longuement vers la rivière. Et au plus près de lui étoient le seigneur de Longueval, Guy d'Erly, et autres en petit nombre, qui bien l'accompagnèrent. Si fut grand espace que ses gens ne savoient où il étoit. Et après, Jean Raullet et Pierron de Luppel, retournant de la chasse dessusdite, vinrent au lieu ou s'étoit faite la bataille, et entendoient à trouver leurs compagnons victorieux; mais quand ils aperçurent le contraire ils se mirent à fuir, et avec eux le seigneur de Mouy, vers Saint-Valery; et les autres prirent le chemin vers Araines. Et adonc le duc de Bourgogne, qui étoit retourné sur le champ, fit rassembler ses gens, et lever aucuns de son côté, qui là avoient été mis à mort, par espécial le seigneur de la Viefville.

Et jà-soit-ce que les nobles et grands seigneurs qui étoient demeurés avec ledit duc, se portassent

CHRONIQUES De MonstreleT. – T. IV.

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