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bares. La philosophie s'anéantit dans l'Occident. Elle se soutient encore dans l'empire de Bysance. Mais cet arbre desséché depuis neuf ou dix siecles, ne produit plus de nouveaux fruits. Les idées des philosophes grecs sont des bornes que l'audace humaine n'ose franchir.

Les révolutions se succedent, et les Arabes s'élevent. Vainqueurs de Gibraltar aux Indes, ils joignent la philosophie aux conquêtes. Alors la connoissance des cieux renait. De nouvelles tables astronomiques sont dressées. Les mathématiques réparoissent. La chymie commence à analyser les corps. Pendant quatre siecles quelque lumiere perce à travers la barbarie du reste du monde; mais la science de la nature n'avance point. Une dépendance servile enchaînoit les esprits. Platon avoit soumis les premiers chrétiens; Aristote subjugue les Arabes Accoutumés à croire et à servir, ils se Soumettent aux livres d'Aristote, comme ils s'étoient soumis à l'Alcoran. Ils adorent ce philoso phe, comme ils adoroient leurs califes. O avilissement de l'esprit humain ! Il semble que la liberté soit un poids qui l'accable. Aristote regne sur une partie de l'univers. Il domine à Samarcande et dans la Perse, comme en Afrique et dans l'Espagne.

Vers le onzieme siecle,la scholastique s'étend surtout dans l'occident. Elle y prend naissance au milieu de la barbarie. Aristote s'empare encore de ce nouvel empire. Mais on n'en sait pas même assez pour adopter ses erreurs. Ses sentiments défigurés par les Arabes sont expliqués par l'ignorance. Un jargon barbare et le mêlange des plus méprisables subtilités, les cbscurcit encore. Cet état dura cinq siecles. Heureusement il se fit une révolution. Des Tartares, en précipitant les Goths sur l'occident, y avoient étouffé la philosophie. D'autres Tartares, sous le nom de Turcs, la font renaître.

La chute de Constantinople donne une secousse, et fait refluer les Grecs vers l'Italie. La nature se réveille après mille ans. De nouvelles lumieres se répandent. Chacun veut étudier; chacun veut connoître ; mais sous tant de ruines, la route de la vérité s'est perdue On se tourmente pour la retrouver. On interroge les idées de Platon, les harmonies de Pythagore, les mysteres de la cabale des Juifs, les Hyéroglyphes des Egyptiens. On cherche la nature par-tout, excepté dans elle-même. La domination d'Aristote s'affermit de nouveau ; et en France, en Italie, en Angleterre, en Allemagne. on convient unanimement de le regarder comme le seul interprete de la nature. Voilà quel fut l'état de la philosophie jusqu'au commencement du dixseptieme siecle, époque à peu près de la naissance de Descartes.

On voit que la connoissance générale du monde étoit très peu avancée, si même elle étoit commencée. On avoit cependant des connoissances certaines sur plusieurs objets. De ce nombre étoient les observations astronomiques faites en Grece, dans Alexandrie, et du temps des Arabes; car pour l'astronomie, il suffit de bien voir et de calculer. Un certain nombre de découvertes en géométrie; car cette science s'étoit accrue de siecle en siecle par les travaux de plusieurs grands hommes; ces vérités se trouvoient réunies dans Euclide, Appollonius, Archimede, Pappus, et Diophante. En mécanique plusieurs inventions admirables d'Archimede. En médecine, les ouvrages d'Hippocrate, qui étonnent encore aujourd'hui ceux même qui ont le génie de cet art. En anatomię

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cellent traité de Galien, où il avoit rassemblé toutes les observations anatomiques faites avant lui, et où il en avoit ajouté quelques-unes de nouvelles. Enfin sur l'histoire naturelle, le livre de

Pline, où sont les plus grandes vues sur la nature, mêlées à quelques erreurs de détail; et sur-tout le traité des animaux d'Aristote, ouvrage prodigieux, où il y a tant de connoissances réunies, que dix peut-être des plus savants hommes de l'Europe auroient de la peine, dans le cours de leur vie, à les vérifier toutes. Voilà, à ce que je crois, l'inventaire à-peu-près exact de toutes les richesses philosophiques des anciens.

Page 11, (2) Il y a dans chaque siecle un esprit général qui influe, sans qu'on s'en apperçoive, sur tous ceux qui vivent dans le même temps. Il est très-sûr que le seizieme et le dix-septieme furent marqués par de grands changements et de grandes découvertes. Navigation, commerce, politique, sciences, belles lettres, tout éprouva des révolutions. Jamais on ne vit plus de ces hommes entreprenants et actifs, qui font des choses extraordinaires, qui veulent ouvrir des routes, et changer ou en bien ou en mal, tout ce qui est établi. Découverte de l'Amérique par Christophe Colomb en 1492. Découverte des Indes par Vaso de Gama, en 1497. Conquête du Mexique par Cortez en 1518; du Pérou par Pizarre en 1525. Expedition de Magellan vers les terres australes en Voyage autour du monde par Drak en 1577. Etablissement du protestantisme dans la moitié de l'Europe vers 1525. Copernic, né à Thorn en 1473, publia le vrai systême du monde en 1543; mort la même année. Tycho-Brahé, gentilhomme Danois, dépensa plus de cent mille écus à l'astrenomie; mort à Prague en 1601. Kepler, astronome Allemand, auteur des fameuses loix sur le cours des planetes, né en 1571, mort à Ratisbonne en 1630. Les verres concaves et convexes inventés en Italie en 1295, par Alexandre Spina, religieux, Le premier télescope formé par Jacques Métius

1519.

Hollandois, en 1609. Galilée, auteur de plusieurs belles découvertes en astronomie, et de la théorie du mouvement dans la chûte des corps, mort à Florence en 1642. Le fameux Bacon, baron de Vérulam, né à Londres en 1560, mort en 1626; on sait tout ce que les sciences lui doivent, et quelles vues il avoit principalement sur la physique expérimentale. Il y a apparence que l'esprit général de ces temps-là, et les travaux de tous ces hommes célebres, ont contribué à former Descartes. Quelques auteurs cependant assurent qu'il n'avoit point lu les ouvrages de Bacon ; et il nous dit luiinê me dans une de ses lettres, qu'il ne lut que fort tard les principaux ouvrages de Galilée. Si cela est, il faut convenir que la gloire de Descartes en est bien plus grande.

Page 16. (3) Réné Descartes, seigneur du Perron, dont on fait ici l'éloge, naquit à la Haye en Touraine, le 30 mars 1596, de Jeanne Brochard, fille d'un lieutenant-général de Poitiers, et de Joachim Descartes, conseiller au parlement de Bretagne, dont il fut le troisieme fils. Sa maison étoit une des plus anciennes de la Touraine. Il avoit eu dans sa famille un archevêque de Tours, et plusieurs braves gentilshommes qui avoient servi avec distinction. Ils étoient vraiment dignes d'être nobles, car dans le temps des guerres civiles ils avoient toujours été fideles au roi et à l'état. Son pere, soit par goût, soit par raison de fortune, entra dans la robe; profession qui n'est mise au dessous de celle des armes, que par un préjugé barbare. Au reste ce n'est pas pour louer Descartes que nous entrons dans tous ces détails; c'est pour honorer sa famille. Parmi nous, la noblesse d'institution descend des peres aux enfants. N'y a-t-il pas une noblesse de mérite dont la gloire doit remonter vers les ancêtres ? Depuis que le pere de

Descartes se fut établi à Rennes, ses descendants y ont toujours demeuré. On en compte six qui ont occupé avec distinction des charges dans le parlement de Bretagne, Madame la présidente de Chateaugiron, derniere de la famille, vient de mourir. On dit qu'elle avoit dans son caractere plusieurs traits de ressemblance avec Descartes. il y a eu aussi une Catherine Descartes, niece du philosophe, célebre par son esprit, et par son talent pour les vers agréables. Elle est morte en 1706.

Idem. (4) Descartes étoit né avec une complexion très-foible; et les médecins ne manquerent pas de dire qu'il mourroit très-jeune; cependant il les trompa au moins d'une quarantaine d'années. Ayant perdu sa mere presqu'en naissant,il fut trèsredevable aux soins d'une nourrice qui suppléa à la nature par tous les soins de la tendresse. Descartes en fut très-reconnoissant. Il lui fit une pension viagere qui lui fut payée exactement jusqu'à la mort ; et comme il n'étoit pas de ceux qui croient que l'argent acquitte de tout, il joignoit encore à ces bienfaits les devoirs et l'attachement d'un fils. Son pere ne voulut point fatiguer des organes encore foibles par des études prématurées; il lui donna le temps de croître et de se fortifier. Mais l'esprit de Descartes alloit au devant des instructions. II n'avoit pas encore huit ans, et déjà on l'appelloit le philosophe.. Il demandoit les causes et les effets de tout et savoit ne pas entendre ce qui ne signifioit rien. En 1604, il fut mis au college de la Fleche Son imagination vive et ardente fut la premiere faculté de son ame qui se déploya. Il cultiva la poésie avec transport. Il créoit des images, en attendant qu'il pût créer des idées. Cette progression est dans la nature, et on l'a remarquée dans les nations comme dans les hommes. Ce goût de la poésie lui demeura toujours, et peu de temps avant

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