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et qui ne paroissoit pas tout-à-fait ignorant. Ce pendant un jour, à quelques questions qu'il lui fit, il se douta que Descartes pouvoit bien avoir quelque mérite. Bientôt à la clarté et à la rapidité de ses réponses sur les questions les plus abstraites, it reconnut dans ce jeune homme le plus puissant génie, et ne regarda plus qu'avec respect celui qu'il croyoit honorer en le recevant chez lui. Descartes fut lié, ou du moins fut en commerce avec tous les plus savants géometres de son siecle. Il ne se passoit pas d'année qu'il ne donnât la solution d'un très-grand nombre de problêmes qu'on lui adressoit dans sa retraite : car c'étoit alors la méthode entre les géometres, à peu près comme les anciens sages, et même les rois de l'Orient, s'envoyoient des énigmes à deviner. Descartes eut beaucoup de part à la fameuse question de la roulette ou de la cycloïde. La cycloïde est une ligne décrite par le mouvement d'un point de la circonférence d'un cercle, tandis que le cercle fait une révolution sur une ligne droite. Ainsi quand une roue de carosse tourne, un des clous de la circonférence décrit dans l'air une cycloïde. Cette ligne fut découverte par le pere Mersenne, expliquée par Roberval, examinée par Descartes qui en découvrit la tangente, usurpée par Toricelli qui s'en donna pour l'inventeur, approfondie par Pascal, qui contribua beaucoup à en démontrer la nature et les rapports. Depuis, les géometres les plus célebres, tels que Huyghens, Wallis, Wren, Léibnitz, et les Bernouilli y travaillerent encore. Avant de finir cet article, il ne sera peut-être pas inutile de remarquer que Descartes, qui fut le plus grand géometrede son siecle, parut toujours faire assez peu de cas de la géométrie. Il tenta au moins cinq ou six mois d'y renoncer, et y revenoit sans cesse. C'est ainsi que la Mothe passa sa vie à écrire contre les vers et à en faire.

Page 20. (12) C'est un spectacle aussi curieux que philosophique, de suivre toute la marche de l'esprit de Descartes, et de voir tous les degrés par où il passa pour parvenir à changer la face des sciences. Heureusement en nous donnant ses découvertes, il nous a indiqué la route qui l'y avoit mené. Il seroit à souhaiter que tous les inventeurs eussent fait de même; mais la plupart nous ont caché leur marche, et nous n'avons que le résultat de leurs travaux. Il semble qu'ils aient craint ou de trop instruire les hommes, ou de s'humilier à leurs yeux, en se montrant eux-mêmes luttant contre les difficultés. Quoiqu'il en soit, voici la marche de Descartes. Dès l'âge de quinze ans, il commença à douter. Il ne trouvoit dans les leçons de ses maîtres que des opinions; et il cherchoit des vérités. Ce qui le frappoit le plus, c'est qu'il voyoit qu'on disputoit sur tout. A dix-sept ans, ayant fini ses études, il s'examina sur ce qu'il avoit appris il rougit de lui-même, et puisqu'il avoit eu les plus habiles maîtres, il conclut que les hommes ne savoient rien, et qu'apparemment ils ne pouvoient rien savoir. Il renonça pour jamais aux sciences. A dix-neuf il se remit à l'étude des mathématiques qu'il avoit toujours aimées. A vingt-un il se mit à voyager pour étudier les hommes. En voyant chez tous les peuples mille choses extravagantes et fort approuvées, il apprenoit, dit-il, à se défier de l'esprit humain, et à ne point regarder l'exemple, la coutume et l'opinion comme des autorités. A vingt-trois, se trouvant dans une solitude profonde, il employa trois ou quatre mois de suite à penser. Le premier pas qu'il fit, fut d'observer que tous les ouvrages composés par plusieurs mains, sont beaucoup moins parfaits que ceux qui ont été conçus, entrepris, et achevés par un seul homme: c'est ce qu'il est aisé de voir dans les ou

vrages d'architecture, dans les statues, dans les tableaux, et même dans les plans de législation et de gouvernement. Son second pas fut d'appliquer cette idée aux sciences. Il les vit comme formées d'une infinité de pieces de rapport, grossies des opinions de chaque philosophe, tous d'un esprit et d'un caractere différent. Cet assemblage, cette combinaison d'idées souvent mal liées et mal assorties, peut-elle autant approcher de la vérité, que feroient les raisonnemens justes et simples. d'un seul homme ? Son troisieme pas fut d'appliquer cette même idée à la raison humaine. Comme nous sommes enfants avant que d'être hommes, notre raison n'est que le composé d'une foule de jugements souvent contraires, qui nous ont été dictés par nos sens, par notre nourrice et par nos maîtres. Ces jugements n'auroient-ils pas plus de vérité et plus d'unité, si l'homme, sans passer par la foiblesse de l'enfance, pouvoit juger en naissant et composer lui seul toutes ses idées ? Parvenu jusque-là, Descartes résolut d'ôter de son esprit toutes les opinions qui y étoient, pour y en substituer de nouvelles, ou y remettre les mêmes, après qu'il les auroit vérifiées; et ce fut son quatrieme pas. Il vouloit, pour ainsi dire, recomposer sa raison, afin qu'elle fût à lui, et qu'il pût s'assurer pour la suite, des fondements de ses connoissances. Il ne pensoit point encore à réformer les sciences pour le public; il regardoit tout changement comme dangereux. Les établissements une fois faits, disoit-il, sont comme ces grands corps dont la chûte ne peut-être que très-rude, et qui sont encore plus difficiles à relever, quand ils sont abattus, qu'à retenir quand ils sont ébranlés. Mais comme il seroit juste de blâmer un homme qui entreprendroit de renverser toutes les maisons d'une ville, dans le seul dessein de les rébâtir sur un

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nouveau plan, il doit être permis à un particulier d'abattre la sienne , pour la reconstruire sur des fondemens plus solides. Il entreprit donc d'exécuter la premiere partie de ses desseins, qui consistoit à détruire, et ce fut son cinquieme pas. Mais il éprouva bientôt les plus grandes difficultés. Je m'apperçus, dit-il, qu'il n'est pas aussi aisé à un homme de se défaire de ses préjugés, que de brûler sa maison. Il y travailla constamment plusieurs années de suite, et il crut à la fin en être venu à bout. Je ne sais si je me trompe, mais cette mar che de l'esprit de Descartes me paroît admirable. Continuons de le suivre. A l'âge de vingt-quatre ans, il entendit parler en Allemagne d'une société d'hommes qui n'avoit pour but que la recherche de la vérité; on l'appelloit la confrairie des RoseCroix. Un de ses principaux statuts étoit de demeurer cachée. Elle avoit, à ce qu'on dit, pour fondateur un Allemand, né dans le quatorzieme siecle. On raconte de cet homme des choses merveilleuses. Il avoit profondément étudié la magie qui étoit alors une science fort importante. Il avoit voyagé en Arabie, en Turquie, en Afrique, en Espagne, avoit vu sur la terre des sages et des cabalistes, avoit appris plusieurs secrets de la nature, et s'étoit retiré enfin en Allemagne, où il vécut solitaire dans une grotte jusqu'à l'âge de cent six ans. On se doute bien qu'il fit des prodiges pendant sa. vie, et après sa mort. Son histoire ne ressemble pas mal à celle d'Apollonius de Tyane. On imagina un soleil dans la grotte où il étoit enterré, et ce soleil n'avoit d'autre fonction que celle d'éclairer son tombeau. La confrairie fondée par cet homme extraordinaire, étoit, dit-on, chargée de réformer les sciences dans tout l'univers. En attendant, elle ne paroissoit pas ; et Descartes, malgré toutes ses recherches, ne put trouver un seul homme qui

en fut. Il y a cependant apparence qu'elle existoit, car on en parloit beaucoup dans toute l'Allemagne; on écrivoit pour et contre; et même en 1623 on fit l'honneur à ces philosophes de les jouer à Paris sur le théâtre de l'hôtel de Bourgogne. Descartes, déchu de l'espérance de trouver dans cette société quelques secours pour ses desseins, résolut désormais de se passer des livres et des savans. II ne vouloit plus lire que dans ce qu'il appelloit le grand livre du monde, et s'occupoit à ramasser des expériences. A vingt-sept ans, il éprouva une secousse qui lui fit abandonner les mathématiques et la physique; les unes lui paroissoient trop vides, l'autre trop incertaine. Il voulut ne plus s'occuper que de la morale; mais à la premiere occasion il retournoit à l'étude de la nature. Emporté comme malgré lui, il s'enfonça de nouveau dans les sciences abstraites. Il les quitta encore pour revenir à l'homme. Il espéroit trouver plus de secours pour cette science; mais il reconnut bientôt qu'il s'étoit trompé. Il vit que dans Paris, comme à Rome et dans Venise, il y avoit encore moins de gens qui étudioient l'homme que la géométrie. Il passa trois ans dans ces alternatives, dans ce flux et reflux d'idées contraires, entraîné par son génie tantôt vers un objet, tantôt vers un autre, inquiet et tourmenté, et combattant sans cesse avec fui-même. Ce ne fut qu'à trente-deux ans que tous ces orages cesserent. Alors il pensa sérieusement à refaire une philosophie nouvelle; mais il résolut de ne point embrasser de secte, et de travailler sur la nature même. Voilà par quels degrés Descartes parvint à cette grande révolution: il y fat conduit par le doute et l'examen. Il seroit à souhaiter que Tous les hommes imitassent son exemple. Il ne dépend pas de nous de n'être pas trompés dans l'enfance, et de n'avoir pas reçu une foule d'opinions:

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