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CHAPITRE XI.

Comment le Roy fit son entrée à Florence: et par quelles autres villes il passa jusques à Rome.

LE Roy entra le lendemain en la cité de Florence: et luy avoit ledit Pierre fait bailler sa maison: et ja estoit le seigneur de Ballassat (1) pour faire ledit logis; lequel quand il sceut la fuite dudit Pierre de Medicis, se prit à piller tout ce qu'il trouva en ladite maison, disant que leur banque à Lion luy devoit grande somme d'argent et entre autres choses il prit une licorne entiere (qui valoit six ou sept mille ducats) et deux grandes pieces d'une autre, et plusieurs autres biens. D'autres firent comme luy. En une autre maison de la ville avoit retiré tout ce qu'il avoit vaillant : le peuple pilla tout. La seigneurie eut partie des plus riches bagues, et vingt mille ducats comptans, qu'il avoit à son banc, en la ville, et plusieurs beaux pots d'agatte, et tant de beaux camayeux bien taillez, que merveilles, qu'autrefois j'avois veus, et bien trois mille medailles d'or et d'argent, bien la pesanteur de quarante livres : et croy qu'il n'y avoit point autant de belles medailles en Italie. Ce qu'il perdit ce jour en la cité, valoit cent mille escus, et plus.

Or estant le Roy en la cité de Florence, comme dit

(1) Seigneur de Ballassat: Ferron le nomme Mathæus Balassius, d'autres le nomment de Balsac. Dom Juan de Vitrian, dans ses notes sur Comines, lui donne le titre d'Apozintador Major.

est, se fit un traicté avec eux: et crois qu'ils le firent de bon cœur. Ils donnerent au Roy six vingts mille ducats dont ils en payerent cinquante mille comptant, et le reste en deux payemens assez briefs: et presterent au Roy toutes les places, dont j'ay parlé : et changerent leurs armes, qui estoient la fleur de lis rouge, et en prirent de celles que le Roy portoit : lequel les prit en sa protection et garde, et leur promit et jura sur l'autel Sainct-Jehan, de leur rendre leurs places, quatre mois aprés qu'il seroit dans Naples, ou plustost, s'il retournoit en France: mais la chose prit un autre train, dont sera parlé cy-aprés.

Le Roy s'arresta peu à Florence, et tira vers Sienne où il fut bien receu, et de là à Viterbe, où les ennemis (car dom Ferrand s'estoit retiré vers Rome) avoient intention de venir loger, et s'y fortifier et combattre, s'ils y voyoient leur avantage : et ainsi le me disoit l'ambassadeur du roy Alphonse, et celuy du Pape, qui estoient à Venise; et à la vérité, je m'attendois que le roy Alphonse y vint en personne (veu qu'il estoit estimé de grand cœur) et qu'il laissast son fils dedans le royaume de Naples: et me sembloit le lieu propice pour eux : car il eut eu son royaume, les terres du Pape, et les places et terres des Ursins à son dos mais je fus tout esbahy que les lettres me vindrent du Roy, comme il estoit en la ville de Viterbe et puis un commandeur luy bailla le chasteau: et le tout par le moyen du cardinal Petri-ad-vincula, qui en estoit gouverneur, et les Colonnois. Lors me sembla que Dieu vouloit mettre fin à cette besogne: et me repentis qu'avois escrit au Roy, et conseillé de prendre un bon appointement : ear on luy en offroit

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assez. Aquependant et Monteflascon luy furent rendus avant Viterbe, et toutes les places d'alentour, comme je fus adverty par lettres du Roy, et celles de ladite seigneurie, qui de jour en jour étoient advertis de ce qui survenoit, par leurs ambassadeurs : et m'en monstrerent plusieurs lettres, ou le me faisoient dire par un de leurs secretaires. Et de là tira le Roy à Rome, par les terres des Ursins, qui toutes luy furent renduës par le seigneur Charles Ursin, disant avoir ce commandement de son pere (lequel estoit serviteur souldoyé du roy Alphonse) et que durant que dom Ferrand seroit alloüé, et en la terre de l'Eglise, qu'il luy tiendroit compagnie, et non plus ( ainsi vivent en Italie, et les seigneurs et les capitaines, et ont sans cesse pratique avec les ennemis, et grand peur d'estre des plus foibles) et fut receu ledit seigneur dedans Brachane, principale place du susdit seigneur Virgile Ursin, qui estoit belle, forte, et bien garnie de vivres et ay bien fort ouy estimer au Roy ladite place, et le recueil que l'on luy fit car son armée estoit en necessité et extremité de vivres, et tant que plus ne pouvoit: et qui consideroit bien combien de fois cette armée se cuida rompre, depuis qu'il arriva à Vienne en Dauphiné, et comment elle se revenoit, et par quelles ouvertures; bref on disoit que Dieu la conduisoit.

CHAPITRE XII.

Comment le Roy envoya le cardinal Petri-ad-vincula, qui fut depuis appellé le pape Jules II dedans Ostie, et de ce que le Pape faisoit à Rome cependant: et comment le Roy y entra malgré tous ses ennemis; avec les partialitez entre les Ursins et Collonnois dans ladite ville de Rome.

DE Brachane envoya le Roy le cardinal SainctPierre-ad-vincula à Ostie, dont il estoit evesque : et est lieu de grande importance: et le tenoient les Colonnois, qui l'avoient pris sur le Pape : et les gens du Pape l'avoient osté audit cardinal, n'y avoit gueres. la place estoit trés-foible: mais long-temps depuis tint Rome en grande subjetion avec ledit cardinal, lequel estoit grand amy des Colonnois, qui estoient nostres, par le moyen du cardinal Ascaigne, frere du duc de Milan, et vice-chancelier, et aussi en haine des Ursins, dont tousjours sont, et ont esté contraires : et est toute la terre de l'Eglise troublée pour cette partialité, comme nous dirions Luce et Grandmont (1): ou en Hollande, Houc, et Caballan (2): et quand ne seroit ce

(1) Luz et Gramont étoient deux puissantes maisons de la BasseNavarre.

(2) Caballan et Houc désignent deux factions qui se formèrent dans les Pays-Bas, vers le milieu du quatorzième siècle, sous le nom de Cabilliaves et de Houckiens. La première tiroit son nom d'un poisson très-commun en Hollande; la seconde, du mot hollandois hock, qui signifie hameçon, Ces factions subsistoient encore en 1475. Olivier de la Marche en parle dans ses Mémoires.

differend, la terre de l'Eglise seroit la plus heureuse habitation, pour les subjets, qui soit en tout le monde (car ils ne payent ne tailles, ne gueres autres choses) et seroient tousjours bien conduits (car tousjours les papes sont sages et bien conseillez) mais trés-souvent en advient de grands et cruels meurtres et pilleries. Depuis quatre ans en avons veu beaucoup, tant des uns que des autres. Car depuis les Colonnois ont esté contre nous, à leur grand tort: car ils avoient vingt mille ducats de rente, et plus audit royaume de Naples, en belles seigneuries, comme en la comé de Taillecouse (1), et autres, que paravant avoient tenus les Ursins, et toutes autres choses qu'ils avoient sceu demander, tant en gens-d'armes, qu'en pensions. Mais ce qu'ils firent, ils le firent par vraye desloyauté, et sans nulle occasion: et faut entendre que de toute ancienneté, ils estoient partisans de la maison d'Arragon, et des autres ennemis de France: pource qu'ils estoient Gibelins: et les Ursins (2), partisans de France, comme les Florentins, pour estre de la part des Guelfes,

Avec ledit cardinal de Sainct-Pierre-ad-vincula, à Ostie fut envoyé Peron de la Basche, maistre-d'hostel du Roy, qui trois jours auparavant avoit apporté audit seigneur vingt mille ducats, par mer: et estoit descendu à Plombin et estoit de l'argent presté par le duc de Milan: et estoit demeuré en l'armée de mer, qui estoit petite, le prince de Salerne, et un appellé le seigneur de Sernon en Provence, que la

(1) Taillecouse: Tragliacozzo.

(1) Les Ursins étoient Guelphes et partisans de la France, et les Colonnes, Gibelins.

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