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Dauphiné, appellé Rabot, ou pour promesse, ou pour n'entendre ce qu'ils demandoient, dit au Roy que c'estoit chose piteuse, et qu'il leur devoit octroyer, et que jamais gens ne furent si durement traitez; et le Roy, qui n'entendoit pas bien que ce mot valoit, et qui par raison ne leur pouvoit donner liberté (car la cité n'estoit point sienne: mais seulement y estoit receu par amitié et à son grand besoin) et qui commençoit de nouveau à cognoistre les pitiez d'Italie, et le traitement que les princes et communautez font à leurs subjets, respondit qu'il estoit content: et ce conseiller, dont j'ay parlé, le leur dit: et ce peuple commença incontinent à crier Noël: et vont au bout de leur pont de la riviere d'Arne (qui est un beau pont) et jettent à terre un grand lion, qui estoit sur un grand pillier de marbre, qu'ils appelloient major, representant la seigneurie de Florence, et l'emporterent à la riviere et firent faire dessus le pillier un roy de France, une espée au poing, qui tenoit sous le pied de son cheval ce major, qui est un lion. Depuis le roy des Romains y est entré: ils ont fait du Roy comme ils avoient fait du lion: et est la nature de ce peuple d'Italie d'ainsi complaire aux plus forts; mais ceux-là estoient, et sont si mal traitez, qu'on les doit excuser.

CHAPITRE X.

Comment le Roy partit de la ville de Pise, pour aller à Florence: et de la fuite et ruine de Pierre de Medicis.

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Le Roy se partit de là, et il y sejourna peu, et tira vers Florence et là on luy remonstra le tort qu'il avoit fait ausdits Florentins, et que c'estoit contre sa promesse d'avoir donné liberté aux Pisans. Ceux qu'il commit à respondre de cette matiere, excusans la chose, dirent qu'il ne l'avoit point entendu, ne n'entendoit et entroit un autre appointement, dont je parleray, mais qu'un peu j'aye dit la conclusion de Pierre de Medicis, et aussi de l'entrée du Roy en ladite cité de Florence, et comme il laissa garnison dedans la cité de Pise, et autres places qu'on luy avoit prestées.

Ledit Pierre aprés avoir fait bailler au Roy les places, dont j'ay parlé, dont aucuns estoient consentans, s'en retourna en la cité, pensant que le Roy ne les tint point; ains que dés qu'il partiroit de Pise, où il n'auroit affaire que trois ou quatre jours, la leur rendroit. Bien croy-je que s'il y eut voulu faire son hyver, qu'ils l'eussent consenty, combien que Pise leur est plus grande chose que Florence propre, sauf les corps et les meubles. Arrivé que fut ledit Pierre à Florence, tout homme luy fit mauvais visage, et non sans cause; car il les avoit dessaisis de toute leur force et puissance, et de tout ce qu'ils avoient conquis en cent ans et sembloit que leur cœur sen

tît les maux, qui depuis leur sont advenus; et tant pour cette cause, que je croy la principale, combien qu'ils ne l'avoient jamais dit, que pour haine qu'ils luy portoient, que j'ay declarée, et pour retourner en liberté, dont ils se cuidoient forclos, et sans avoir memoire des bien-faicts de Cosme et de Laurens de Medicis ses predecesseurs, delibererent de chasser de la ville ledit Pierre de Medicis. Lequel Pierre, sans le sçavoir, mais bien estoit en doute, va vers le palais, pour parler de l'arrivée du Roy (qui encores estoit à trois mille prés) et avoit sa garde accoustumée avec luy, et vint heurter à la porte dudit palais : laquelle luy fut refusée par un de ceux de Nerly (qui estoient plusieurs freres, que j'ay bien cognus, et le pere trés-riches) disant qu'il y entreroit luy seul, s'il vouloit, ou autrement non : et estoit armé celuy qui faisoit ce refus. Incontinent retourna ledit Pierre à sa maison et s'arma, luy et ses serviteurs et fit advertir un appellé Paul Ursin : qui estoit à la soulde des Florentins (car ledit Pierre, de par sa mere, estoit des Ursins, et tousjours le pere et luy en avoient entretenu aucuns de la maison à leur soulde) et delibera de resister aux partisans de la ville. Mais tantost oüit crier liberté, liberté, et vint le peuple en armes et ainsi partit ledit Pierre de la ville, comme bien conseillé, à l'aide dudit Paul Ursin, qui fut une piteuse departie pour luy car en puissance et en biens, il avoit esté quasi égal aux grands princes, et luy et ses predecesseurs, depuis Cosme de Medicis, qui fut le chef: et ce jour, se mit luy courre sus fortune et perdit honneur et biens. J'estois à Venise, et par l'ambassadeur florentin estant là, je sceus ces

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nouvelles, qui bien me desplurent car j'avois aimé le pere et s'il m'eust voulu croire il ne luy fut point ainsi mesadvenu: car sur l'heure que j'arrivay à Venise, luy escrivis, et offris appointer : car j'en avois le pouvoir de bouche, du seneschal de Beaucaire et du general: et eut esté content le Roy du passage, ou à pis venir, d'avoir Ligorne entre ses mains, et faire toutes choses que Pierre eut sceu demander: mais il me respondit comme par moquerie, par le moyen du sire Pierre (1), que j'ay nommé ailleurs. Ledit ambassadeur porta le lendemain lettre à la seigneurie, contenant comment il avoit esté chassé, parce qu'il se vouloit faire seigneur de la ville, par le moyen de la maison d'Arragon et des Ursins, et assez autres charges, qui n'estoient point vrayes: mais telles sont les aventures du monde, que celuy qui fuit, et perd, ne trouve point seulement qui le chasse, mais ses amis se tournent ses ennemis, comme cet ambassadeur, nommé Paul Antoine Soderin: qui estoit des sages hommes qui

fussent en Italie.

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Le jour de devant m'avoit parlé dudit Pierre, comme s'il fut son seigneur naturel, et à cette heure se declara son ennemy, par commandement de la seigneurie mais de soy ne faisoit aucune declaration. Le jour aprés je sceus comment ledit Pierre venoit à Venise, et comme le Roy estoit entré en grand triomphe à Florence: et mandoient audit ambassadeur qu'il prit congé de ladite seigneurie, et qu'il s'en retournat, et qu'il falloit qu'il navigeast avec ce vent, et vis la lettre car il la me monstra, et s'en partit. Deux jours aprés vint ledit Pierre, en pourpoint, ou avec (1) Pierre Cappon, dont il est parlé au chap. 5 de ce livre.

la robbe d'un valet: et en grande doute le receurent à Venise: tant craignoient de desplaire au Roy : toutesfois ils ne le pouvoient refuser par raison et desiroient bien sentir de moy que le Roy en disoit : et demeura deux jours hors la ville. Je desirois luy aider et n'avois eu nulle lettre du Roy contre luy : et dis que je croyois sa fuite avoir esté pour crainte du peuple, et non point de celle du Roy. Ainsi il vint, et l'allay voir le lendemain qu'il eut parlé à la seigneurie qui le fit bien loger: et luy permirent porter les armes par la ville, et à quinze ou vingt serviteurs qu'il avoit : c'est à sçavoir espées et luy firent trésgrand honneur, combien que Cosme, dont j'ay parlé, les garda autrefois d'avoir Milan; nonobstant cela, ils l'eurent en remembrance, pour l'honneur de sa maison, qui avoit esté en si grand triomphe et renommée par toute la chretienté.

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Quand je le vis, me sembla bien qu'il n'estoit point homme pour respondre. Il me conta au long sa fortune: et à mon pouvoir le reconfortay. Entre autres choses me conta comme il avoit perdu le tout: et entre ses autres malheurs, qu'un sien facteur estant en la ville, vers qui il avoit envoyé pour avoir des draps pour son frere et luy, pour cent ducats seulement, les luy avoit refusez. Qui estoit grande chose, veu son estat et authorité : car soixante ans avoit duré l'authorité de cette maison si grande, que plus ne pouvoit. Tost aprés il eut nouvelles, par le moyen de monseigneur de Bresse, depuis duc de Savoye, et luy escrivoit le Roy aller devers luy mais ja estoit ledit seigneur party de Florence, comme je dirai à cette heure; un peu m'a fallu parler de ce Pierre de Medicis.

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