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Specie, et à Rapalo, prés de Gennes, où ils mirent en terre quelques mille hommes de leurs partisans: et de faict eussent fait ce qu'ils vouloient, si si-tost n'eussent esté assaillis; mais ce jour, ou le lendemain, y arriva le duc Louys d'Orleans, avec quelques naves, et bon nombre de galées, et une grosse galeace, qui estoit mienne, que patronisoit un appellé messire Albert Mely: sur laquelle estoit ledit duc et les principaux. En ladite galeace avoit grande artillerie, et grosses pieces: car elle estoit puissante : et s'approcha si prés de terre que l'artillerie desconfit presque les ennemis, qui jamais n'en avoient veu de semblables, et estoit chose nouvelle en Italie: et descendirent en terre ceux qui estoient ausdits navires: et par terre venoient de Gennes, où estoit l'armée, un nombre de Suisses, que menoit le baillif de Dijon (1): et aussi y avoit des gens du duc de Milan, que conduisoit le frere dudit Breto, appellé messire Jehan Louys de Flisco, et messire Jehan Adorne: mais ils ne furent point aux coups; et firent bien leur devoir, et garderent certains pas. En effect dés que nos gens joignirent, les ennemis furent deffaits, et en fuite. Cent ou six vingts en mourut : et huict ou dix furent prisonniers, et entre les autres un appellé le Fourgousin (2), fils du cardinal de Genes. Ceux qui eschaperent, furent tous mis en chemise par les gens du duc de Milan; et autre mal ne leur

(1) Le baillif de Dijon: Antoine de Bessey, baron de Trichastel, fils de Jean de Bessey, et de Jeanne de Saulx : il en est parlé ci-après, livre 8, chap. 6 et 8.

(2) Le Fourgousin: Jean Frégose, fils naturel de Paul Frégose, cardinal, archevêque et duc de Gennes. Voyez ci-après, liv. 8, ch. 15.

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firent et leur est ainsi de coustume. Je vis toutes les lettres, qui en vindrent, tant au Roy qu'au duc de Milan; et ainsi fut cette armée de mer reboutée, qui depuis ne s'apparut si prés. Au retour, les Genevois se cuiderent esmouvoir, et tuerent aucuns Allemans en la ville, et en fut tué aucuns des leurs; mais tout fut appaisé.

Il faut dire quelque mot des Florentins, qui avoient envoyé vers le Roy, avant qu'il partit de France, deux fois, pour dissimuler avec luy. L'une fois me trouvay à besogner avec ceux qui vindrent, en la compagnie dudit seneschal et general (1): et y estoient l'evesque d'Arese, et un nommé Pierre Sonderin. On leur demanda seulement qu'ils baillassent passage, et cent hommes-d'armes, à la soulde d'Italie (qui n'estoit que dix mille ducats pour un an) eux parlans par le commandement de Pierre de Medicis, homme jeune, et peu sage, fils de Laurens de Medicis: qui estoit mort, et avoit esté des plus sages hommes de son temps et conduisoit cette cité presque comme seigneur, et aussi faisoit le fils; car ja leur maison avoit ainsi vescu, la vie de deux hommes paravant : qui estoient Laurens, pere dudit Pierre, et Cosme de Medicis, qui fut le chef de cette maison, et la commença, homme digne d'estre nommé entre les trésgrands; et en son cas, qui estoit de marchandise, estoit la plus grande maison que je croy qui jamais ait esté au monde: car leurs serviteurs et facteurs ont eu tant de credit, sous couleur de ce nom Medicis, que ce seroit merveilles à croire, à ce que j'en ay veu en Flandres et en Angleterre : J'en ay veu (1) Le sénéchal de Beaucaire et le général Briçonnet.

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un appellé Guerard Quanvese, presque estre occasion de soustenir le roy Edouard le quart en son Estat, estant en grant guerre en son royaume d'Angleterre, et fournir par fois audit Roy plus de six vingts mille escus: où il fit peu de profit pour son maistre toutesfois il recouvra ses pieces à la longue. Un autre ay veu, nommé et appellé Thomas Portunay (1), estre pleige entre ledit roy Edouard et le duc Charles de Bourgogne, pour cinquante mille escus, et une autre fois, en un lieu, pour quatre-vingts mille. Je ne loue point les marchands d'ainsi le faire: mais je loue bien un prince de tenir bons termes aux marchands, et leur tenir vérité: car ils ne savent à quelle heure ils en pourront avoir besoin: car quelquefois peu d'argent fait grand service.

Il semble que cette lignée vint à faillir, comme on fait aux royaumes et empires: et l'authorité des predecesseurs nuisoit à ce Pierre de Medicis, combien que celle de Cosme, qui avoit esté le premier, fut douce et amiable, et telle qu'estoit necessaire à une ville de liberté. Laurens pere de Pierre, dont nous parlons à cette heure, pour le differend, dont a esté parié en aucun endroit de ce livre (2), qu'il eut contre ceux de Pise et autres, dont plusieurs furent pendus, en ce temps-là avoit pris vingt hommes pour se garder par commandement et congé de la seigneurie : laquelle commandoit ce qu'il vouloit ; toutesfois modelement se gouvernoit en cette grande authorité (car comme j'ay dit, il estoit des plus sages de son temps) mais le fils cuidoit que cela luy fut deu par raison: et se faisoit craindre, moyennant cette garde: (1) Portunay: ou Portmary. (2) Ce livre : liv. 6, chap. 5.

ct faisoit des violences de nuict, et des bateries lourdement, abusant de leurs deniers communs, si avoit fait le pere, mais si sagement qu'ils en estoient presque contens.

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A la seconde fois envoya ledit Pierre, à Lion, un appellé Pierre Cappon, et autres: et disoit pour excuse, comme ja avoit fait, que le roy Louys onziesme, leur avoit commandé à Florence se mettre en ligue avec le roy Ferrand, du temps du duc Jehan d'Anjou, et laisser son alliance; disans que puis que par commandement du Roy, avoient pris ladite alliance, qui duroit encores par aucunes années, ils ne pouvoient laisser l'alliance de la maison d'Arragon : mais si le Roy venoit jusques-là, qu'ils luy feroient des services et ne cuidoient point qu'il y allast, non plus que les Venitiens. En tous les deux ambassades y avoit tousjours quelqu'un ennemy dudit de Medecis, et par especial cette fois ledit Pierre Cappon, qui soubz main advertissoit ce qu'on devoit faire pour tourner la cité de Florence contre ledit Pierre et faisoit sa charge plus aigre qu'elle n'estoit; et aussi conseilloit qu'on bannist tous les Florentins du royaume; et ainsi fut fait. Cecy je dis pour mieux vous faire entendre ce qui advint aprés: car le Roy demeura en grande inimitié contre ledit Pierre et lesdits seneschal et general avoient grande intelligence avec ses ennemis en ladite cité, et par especial avec ce Cappon, et avec deux cousins germains dudit Pierre, et de son nom propre.

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CHAPITRE VII.

Comment le Roy estant encor à Ast, se resolut de passer outre vers Naples, à la poursuite de Ludovic Sforce: et comment messire Philippe de Comines fut envoyé en ambassade à Venise: et de la mort du duc de Milan.

J'AY dit ce qui advint à Rapalo par mer. Dom Federic se retira à Pise, et à Ligorne; et depuis ne recueillit les gens-de-pied, qu'il avoit mis à terre; et s'ennuyerent fort les Florentins de luy, comme plus enclins, et de tous temps, à la maison de France qu'à celle d'Arragon : et nostre armée, qui estoit en Romanie, combien qu'elle fut la plus foible, toutesfois faisoit prosperer nostre cas : et commença peu à peu à reculer dom Ferrand, duc de Calabre. Quoy voyant le Roy, se mit en opinion de passer outre, sollicité du seigneur Ludovic et des autres que j'ay nommez: et luy dit le seigneur Ludovic à son arrivée « Sire, ne craignez point cette entreprise. En << Italie y a trois puissances que nous tenons grandes, << dont vous avez l'une, qui est Milan : l'autre ne bouge, qui sont Venitiens : ainsi n'avez affaire qu'à « celle de Naples; et plusieurs de vos predecesseurs << nous ont battus, que nous estions tous ensemble : quand vous me voudrez croire, je vous aideray à « faire plus grand que ne fut jamais Charlemagne : << et chasserons ce Turc hors de cet empire de Cons

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