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passé, comme je diray aprés, et semble que NostreSeigneur ait regardé ces deux maisons de son visage rigoureux, et qu'il ne veut point qu'un royaume se moque de l'autre : : car aucune mutation ne peut estre en un royaume, qu'elle ne soit bien douloureuse pour la pluspart: et combien qu'aucuns y gagnent: encores en y a-il cent fois plus qui y perdent, et faut changer mainte coustume et forme de vivre à celle mutation: car ce qui plaist à un roy desplaist à l'autre. Et (comme j'ay dit en un autre endroit) qui voudroit bien regarder aux cruelles, et soudaines punitions que Dieu a faites sur les grands princes, depuis trente ans en ça, on y en trouveroit plus qu'en deux cens ans auparavant, à y comprendre France, Castille, Portugal, Angleterre, le royaume de Naples, Flandres et Bretagne et qui voudroit escrire les cas particuliers, que tous j'ay veus, et presque tous les personnages, tant hommes que femmes, on en feroit un grand livre, et de grande admiration, n'y en eut-il seulement de ce qui est advenu depuis dix ans : et par là la puissance de Dieu devroit estre bien cognuë et entenduë, et sont les coups qu'il donne sur les grands, plus cruels et plus pesans, et de plus longue durée que ne sont ceux qu'il donne sur les petites gens. Et enfin me semble que à tout bien considerer, ils n'ont gueres davantage en ce monde plus que les autres, s'ils veu lent bien voir et entendre par eux, ce qu'ils voyent advenir à leurs voisins, et avoir crainte que le semblable ne leur advienne : car quant à eux, ils chastient les hommes, qui vivent sous eux, et à leur plaisir, et Nostre-Seigneur dispose à son vouloir car autre n'ont-ils par dessus eux, et est le païs, ou royaume

bien-heureux, quand il y a roy, ou seigneur, sage et qui craint Dieu et ses commandemens.

Nous avons pu voir en peu de paroles, les douleurs qu'ont receu ces deux grands et puissans royaumes, en trois mois d'espace, qui peu par avant estoient si enflammez l'un contre l'autre, et tant empeschez à se tourmenter, et à penser à s'accroistre, et n'estoient en rien saouls de ce qu'ils avoient. Je confesse bien (comme j'ay dit) que tousjours en y a en telles mutatations, qui en ont joye, et qui en amendent : mais encores de prime-face, leur est celle mort advenuë ainsi soudaine, fort espouventable.

CHAPITRE XXV.

Du somptueux édifice que le roy Charles commença à bastir, peu avant sa mort: du bon vouloir qu'il avoit de reformer l'Eglise, ses finances, sa justice, et soi-mesme : et comment il mourut soudainement, sur ce bon propos, en son chasteau d'Amboise.

Je veux laisser de tous poincts, à parler des choses d'Italie, et de Castille, et retourner à parler de nos douleurs et pertes particulieres en France, et aussi de la joye que peuvent avoir ceux qui y ont du gain, et parler du soudain trespas de nostre roy Charles VIIL de ce nom; lequel estoit en son chasteau d'Amboise, où il avoit entrepris le plus grand edifice que commença, cent ans a, roy, tant au chasteau qu'à la

ville, et se peut voir par les tours, par où l'on monte à cheval, et par ce qu'il avoit entrepris à la ville, dont les patrons estoient faicts de merveilleuse entreprise et despense, et qui de long-temps n'eussent pris fin, et avoit amené de Naples plusieurs ouvriers excellens, en plusieurs ouvrages, comme tailleurs et peintres, et sembloit bien que ce qu'il entreprenoit, estoit entreprise de roy jeune, et qui ne pensoit à la mort mais esperoit longue vie, car il joignit ensemble toutes les belles choses, dont on luy faisoit feste, en quelque pays qu'elles eussent esté veuës, fut France, Italie, ou Flandres et si avoit son cœur tousjours de faire et accomplir le retour en Italie, et confessoit bien y avoir fait des fautes largement, et les contoit, et luy sembloit que si une autrefois il y pouvoit retourner, et recouvrer ce qu'il avoit perdu, qu'il pourvoyeroit mieux à la garde du pays qu'il n'avoit fait, et parce qu'il avoit intelligence de tous costez, pensoit bien d'y pourvoir, pour recouvrer et remettre en son obéissance le royaume de Naples, et d'y envoyer quinze cens hommes-d'armes italiens, que devoient mener le marquis de Mantoüe, les Ursins, et Vitellis, et le prefect de Rome, frere du cardinal de Sainct-Pierre - ad - Vincula, et monsieur d'Aubigny, qui si bien l'avoit servy en Calabre, s'en alloit à Florence, et ils faisoient la moitié de cette despense pour six mois. On devoit aussi premierement prendre Pise, ou, au moins, les petites places d'alentour, et puis tous ensemble entrer au royaume, dont à toutes heures venoient messagers. Le pape Alexandre, qui regne de present, estoit en grande pratique, de tous poincts, à se renger des siens,

comme malcontent des Venitiens, et avoit messager secret, que je conduisis en la chambre du Roy nostre sire, peu avant sadite mort. Les Venitiens estoient prests à pratiquer contre Milan. La pratique d'Espagne estoit telle que l'avez veuë. Le roy des Romains ne desiroit chose en ce monde tant que son amitié, et qu'eux deux ensemble fissent leurs besognes en Italie lequel roy des Romains, appellé Maximilian, estoit grand ennemy des Venitiens, aussi ils tiennent grande chose de la maison d'Austriche, dont il est, et aussi de l'Empire.

Davantage avoit mis le Roy, de nouveau, son imagination de vouloir vivre selon les commandemens de Dieu, et mettre la justice en bon ordre, et l'Eglise, et aussi de renger ses finances, de sorte qu'il ne leva sur son peuple, que douze cens mille francs, et par forme de taille, outre son domaine : qui estoit la somme que les trois Estats luy avoient accordée en la ville de Tours, lorsqu'il fut roy, et vouloit ladite. somme par octroy, pour la deffense du royaume, et quant à luy, il vouloit vivre de son domaine comme anciennement faisoient les roys. Ce qu'il pouvoit bien faire car le domaine est bien grand, s'il estoit bien conduit, compris les gabelles, et certaines aides et passe un million de francs. S'il l'eut fait, c'eut esté un grand soulagement pour le peuple, qui paye aujourd'huy plus de deux millions et demy de francs, de taille. Il mettoit grande peine à reformer les abus de l'ordre de Sainct-Benoist, et d'autres religions. Il approchoit de luy bonnes gens de religion, et les oyoit parler. Il avoit bon vouloir, s'il eut pû, qu'un evesque n'eut tenu que son evesché, s'il n'eut

esté cardinal, et cestuy-là deux, et qu'ils se fussent allez tenir sur leurs benefices: mais il eut eu bien affaire à ranger les gens-d'eglise. Il fit de grandes aumosnes aux mandians, peu de jours avant sa mort, comme me conta son confesseur, l'evesque d'Angers, qui estoit notable prelat. Il avoit mis sus une audience publique, où il escoutoit tout le monde, et par especial les pauvres, et si faisoit de bonnes expeditions, et l'y vis huict jours avant son trespas, deux bonnes heures, et onques puis ne le vis. Il ne se faisoit pas grandes expeditions à cette audience: mais au moins, estoit-ce tenir les gens en crainte, et par especial ses officiers: dont aucuns il avoit suspendus pour pillerie.

Estant le Roy en cette grande gloire, quant au monde, et en bon vouloir quant à Dieu, le septieme jour d'avril, l'an 1498, veille de Pasques flories, il partit de la chambre de la reine Anne de Bretagne, sa femme, et la mena avec luy, pour voir jouer à la paume ceux qui joüoient aux fossez du chasteau, où ne l'avoit jamais menée que cette fois, et entrerent ensemble en une galerie, qu'on appelloit la galerie Haquelebac, parce que cettuy Haquelebac l'avoit euë autrefois en garde, et estoit le plus deshonneste lieu de leans car tout le monde y pissoit, et estoit rompuë à l'entrée, s'y heurta le Roy, du front, contre l'huys, combien qu'il fut bien petit, et puis regarda long-temps les joueurs, et devisoit à tout le monde. Je n'y estois point présent: mais sondit confesseur, l'evesque d'Angers, et ses prochains chambelans, le m'ont conté : car j'en estois party huict jours avant, et estois allé à ma maison. La derniere parole, qu'il

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