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dernier trespassé : lequel se rompit le col, devant elle, en passant une carriere, sur un genet, trois mois aprés qu'il l'eut espousée. Ils en ont encor une à marier.

Si tost que fut arrivé ledit du Bouchage, et eut fait son rapport, connut le Roy qu'à propos il avoit envoyé ledit du Bouchage, et qu'au moins il estoit asseuré de ce dont il estoit en doute, et luy sembloit bien que ledit de Clerieux avoit creu trop de leger. Outre luy dit ledit du Bouchage, qu'autre chose n'avoit pû faire que ladite trefve, et qu'il estoit au choix du Roy de l'arrester ou refuser. Le Roy l'arresta, et aussi elle estoit bonne veu que c'estoit la separation de cette ligue, qui tant l'avoit destourbé en ses affaires, et qu'aucune maniere n'avoit sceu trouver de la departir, et si il y avoit par toutes voyes essayé. Encores luy dit ledit du Bouchage, qu'aprés luy venoient ambassadeurs devers le Roy, et que lesdits roy et reyne luy avoient dit, à son partement, qu'ils auroient pouvoir de conclure une bonne paix: et aussi dit ledit du Bouchage qu'il avoit laissé malade le prince de Castille, leur seul fils.

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CHAPITRE XXIV.

Discours sur les fortunes et malheurs qui advinrent ù la maison de Castille, au temps du seigneur d'Argenton.

Dix ou douze jours aprés l'arrivée dudit du Bouchage et de ses compagnons, vinrent lettres audit du

Bouchage, d'un des herauts du Roy, qu'il avoit laissé là, pour conduire ladite ambassade qui devoit venir, et disoient ces lettres qu'il ne s'esbahit point, si lesdits ambassadeurs estoient retardez par aucuns jours : car c'estoit pour le trespas du prince de Castille (car ainsi il les appellent) dont les Roy et Reyne faisoient si merveilleux dueil qu'on ne sçauroit croire, et par especial la Reyne, de qui on esperoit aussitost la mort que la vie et à la verité je n'oüys parler jamais de plus grand dueil, que celuy qui en a esté faict par tous leurs royaumes: car toutes gens de mestier ont cessé quarante jours (comme leurs ambassadeurs me dirent depuis) tout homme estoit vestu de noir, de ces gros bureaux, et les nobles, et les gens de bien chargeoient leurs mulets couverts jusques aux genoux dudit drap, et ne leur paroissoient que les yeux, et bannieres noires estoient par tout sur les portes des villes. Quand madame Marguerite, fille du roy des Romains (1), sœur de monsieur l'archiduc d'Austriche (2), et femme dudit prince, sceut cette douloureuse nouvelle, estant grosse de six mois, elle accoucha d'une fille toute morte. Quelles piteuses nouvelles en cette maison; qui tant avoit receu de gloire et d'honneur et qui plus possedoit de terre, que ne fit jamais prince en la chrestienté, venant de succession? et puis avoir fait cette belle conqueste de Grenade, et fait partir un Roy tant honoré par tout le monde, hors d'Italie, et faillir en son entreprise : ce

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(1) Roy des Romains: Maximilien, duc d'Autriche, et empereur en 1493. —(2) Archiduc d'Austriche Philippe I, archiduc d'Autriche, et roi de Castille, à cause de sa femme Jeanne, fille et héritière desdits rois.

qu'ils estimoient à grande chose, et le Pape mesme, qui sous ombre de la conqueste de Grenade, leur avoit voulu attribuer le nom de Trés-Chrestien, et l'oster au roy de France, et plusieurs fois leur avoit escrit ainsi, au-dessus de leurs brefs, qu'il leur envoyoit, et parce qu'aucuns cardinaux contredisoient à ce titre, il leur en donna un autre, en les appellant Trés-Catholiques, et ainsi leur escrit encores, et est à croire que ce nom leur demeurera à Rome. Quelles douleurs donc receurent-ils de cette mort, quand ils avoient mis leur royaume en toute obeïssance et justice, et lors qu'il sembloit que Dieu et le monde les voulut plus honorer que tous les autres princes vivans, et qu'ils estoient en bonne prosperité de leurs personnes ?

Encores ne furent-ils point quittes d'avoir eu telles douleurs car leur fille aisnée (que plus ils aimoient que tout le monde, aprés leur fils le prince de Castille, qu'ils avoient perdu) estoit contrainte à se departir d'eux, ayant depuis peu de jours esté espousée avec le roy de Portugal, appellé Emanuel, prince jeune, et de nouveau devenu roy, et luy estoit avenuë la couronne de Portugal, par le trespas du Roy dernier mort: lequel cruellement fit couper la teste au pere (1) de sa femme (2), et tua le frere d'elle, depuis, fils du dessusdit, et frere aisné de celuy qui de present est roy de Portugal, qu'il a fait vivre en grande peur et crainte, et tua son frere de sa main, en disnant avec luy, sa femme presente, par envie de faire roy

(1) Ferdinand, son oncle, fils puîné d'Edouard, mort en 1438, et frère d'Alphonse V, mort en 1481. — (2) Sa femme: elle se nommoit Eléonore.

un sien bastard: et depuis ces deux cruautez, il vesquit en grande peur et suspicion, et tost aprés ces deux exploicts, il perdit son seul fils, qui se rompit le col, en courant sur un genet, et passant une carriere, comme j'ay dit: et fut celuy-là qui fut le premier mary de cette dame que je dis, qui maintenant a espousé le roy de Portugal, qui regne : et ainsi est retourné deux fois en Portugal, sage dame et honneste (ce dit-on) entre les sages dames du monde.

Or donc pour continuer les miserables adventures qui advinrent en si peu d'espace, ce roy et reyne de Castille, qui si glorieusement et heureusement avoient vescu jusques environ en l'age qu'ils sont, de cinquante ans tous deux, (combien que la Reyne avoit deux ans davantage) avoient donné leur fille à ce roy de Portugal, pour n'avoir aucun ennemy en Espagne, qu'ils tiennent toute, excepté la Navarre, dont ils font ce qu'il leur plaît, et y tiennent quatre des principales places. Aussi l'avoient fait pour pacifier du doüaire de cette dame, et de l'argent baillé, et pour subvenir à aucuns seigneurs de Portugal: car par ce mariage, ces seigneurs et chevaliers qui furent bannis du pays, quand le Roy mort fit mourir ces deux seigneurs dont j'ay parlé, et qui avoient confisqué leurs biens, et par ce moyen la confiscation tient de présent (combien que le cas dont ils estoient accusez, estoient de vouloir faire celuy, qui de present regne, roy de Portugal) sont recompensez en Castille, du roy de Castille, et leurs terres sont demeurées à la reyne de Portugal, dont je parle mais nonobstant telles considerations, ces roy et reyne de Castille avoient grand douleur de ce mariage. Or il faut en

tendre qu'il n'est nation au monde que les Espagnols hayent tant que les Portugais, et si les mesprisent et s'en mocquent. Parquoy il deplaisoit bien aux dessusdits d'avoir baillé leur fille à homme qui ne seroit point agreable au royaume de Castille, et à autres leurs seigneuries, et s'ils l'eussent eu à faire, ils ne l'eussent jamais fait: qui leur estoit une amere douleur, et encores une autre plus grande, en ce qu'il falloit qu'elle se departit d'eux toutesfois leurs douleurs passées, ils les ont menez par toutes les principales citez de leurs royaumes, et fait recevoir le roy de Portugal (1) pour prince, et leur fille pour princesse, et pour leur estre roys, aprés leur decés. Et un peu de reconfort leur est venu : c'est que ladite dame, princesse de Castille, et reyne de Portugal, a esté grosse d'un enfant bougeant: mais il leur advint. le double de leurs douleurs, et croy qu'il eussent voulu que Dieu les eut ostez du monde : car cette dame, que tant ils aimoient et prisoient, mourut en accouchant de son enfant, et croy qu'il n'y a pas un mois, et nous sommes en octobre l'an 1498: mais le fils est demeuré vif, du travail duquel elle est morte, et a nom comme le pere, Emanuel (2).

Toutes ces grandes fortunes leur sont avenues en trois mois d'espace mais avant le trespas de cette dame dont je parle, est avenu en ce royaume un autre grand dueil et desconfort car le roy Charles VIII de ce nom, dont tant j'ay parlé, estoit tres

() Emmanuel épousa en secondes noces sa sœur, nommée Marie, mère de Jean III, roi de Portugal, et en troisièmes noces, Léonore d'Autriche, sœur de l'empereur Charles V. (2) Emanuel: d'autres le nomment Michel; il mourut fort jeune.

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