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d'une autre; mais trop plus de douleur et de passion porte le fol que le sage (combien qu'à plusieurs semble le contraire) et si y a moins de reconfort. Les pauvres gens (qui travaillent et labourent pour nourrir eux et leurs enfans, et payent la taille et les subsides à leurs seigneurs) devroient vivre en grand desconfort, si les grands princes et seigneurs n'avoient que tous plaisirs en ce monde, et eux travail et misere mais la chose va bien autrement: car (si je me voulois mettre à escrire les passions, que j'ay veu porter aux grands, tant hommes que femmes, depuis trente ans seulement) j'en ferois un gros livre (je n'entends point de ceux qui sont des conditions de ceux qui sont nommez au livre de Bocace (1): mais j'entends de ceux et celles, qu'on voit en toute richesse, santé et prosperité) et ceux qui ne les pratiquoient point de si prés comme moy, les reputoient estre bien-heureux, et si ay veu maintesfois leurs desplaisirs et douleurs estre fondez en si peu de raison, qu'à grande peine l'eussent voulu croire les gens qui ne les hantoient point, et la pluspart estoient fondez en soupçons et rapports: qui est une maladie cachée (qui regne aux maisons des grands princes) dont maint mal advient, tant à leurs personnes, qu'à leurs serviteurs et sujets, et s'en abrege tant leur vie, qu'à grand peine s'est veu aucun roy en France, depuis Charlemagne, avoir passé soixante

ans.

Pour cette suspicion, quand Louys XI vint et approcha du terme, estant malade, se jugeoit desja mort. Son pere Charles VII qui tant avoit fait de belles

(1) Au livre de Bocace: dans son livre des Nobles malheureux.

choses en France, estant malade, se mit en fantaisie qu'on le vouloit empoisonner, parquoy il ne vouloit jamais manger. Autres suspicions eut le roy Charles VI qui devint fol et le tout par rapport. Ce qui doit estre reputé à grande faute aux princes, quand ils ne les averent ou font averer, si ce sont choses qui leur touchent, et encores que ne fussent de trop grande importance (car par ce moyen ils n'en auroient point si souvent) et faudroit en demander aux personnes l'un devant l'autre : j'entens de l'accusateur et de l'accusé, et par ce moyen ne se feroit aucun rapport, s'il n'estoit veritable. Mais il y en a de si bestes, qu'ils promettent et jurent n'en dire rien, et par ce moyen ils emportent aucunesfois ces angoisses dont je parle, et si hayent le plus souvent les meilleurs, et les plus loyaux serviteurs qu'ils ayent, et leur font des dommages, à l'appetit et rapport de plusieurs meschans, et par ce moyen font de grands torts, et de grands griefs à leurs sujets.

CHAPITRE XXI.

Comment les nouvelles de la perte du chasteau de Naples vinrent au Roy: de la vendition des places des Florentins à diverses gens : du traité d'Atelle en la Poüille, au grand dommage des François, et de la mort du roy Ferrand de Naples.

Le trespas de monseigneur le Dauphin, seul fils du roy Charles VIII, fut environ le commencement de

l'an 1496: qui luy fut la plus grande perte, que jamais luy fut advenue, ne qui luy pût advenir; car jamais n'a plus eu enfant, qui ait vescu. Ce mal ne vint point seul: car en ce propre temps, luy vinrent nouvelles que le chasteau de Naples estoit rendu par ceux que monseigneur de Montpensier y avoit laissez, par faveur, et aussi pour avoir les ostages, que ledit seigneur de Montpensier avoit baillez (qui estoit monsieur d'Alegre, un des enfans de la Marche-d'Ardaine, et un appellé de la Chapelle (1), de Loudonnois, et un appellé Jehan Roquebertin, Catelan) et revinrent par mer ceux qui estoient audit chasteau. Une autre honte et dommage luy avint, c'est qu'un appellé Entragues (qui tenoit la citadelle de Pise, qui estoit le fort, et qui tenoit cette cité en subjection) bailla ladite citadelle aux Pisans: qui estoit allé contre le serment du Roy, qui deux fois jura aux Florentins de leur rendre ladite citadelle, et autres places, comme Serzanne, et Serzannelle, Pietre-Sancte, Librefacto, et Mortron, que les Florentins avoient presté audit seigneur, à son grand besoin et necessité, à son arrivée en Italie, et luy avoient donné six-vingt mille ducats: dont il n'en restoit que trente mille à payer, quand nous repassasmes comme en quelque autre endroit en a esté parlé. Bref toutes ces places furent vendues. Les Genevois achepterent Serzanne et Serzannelle, et les leur vendit un bastard de Sainct-Paul PietreSancte vendit encores ledit Entragues aux Luquois, et Librefacto aux Venitiens, le tout à la grande honte du Roy, et de ses sujets, et au dommage et consommation de la perte du royaume de Naples. Le premier (1) Il est nommé ci-devant la Chapelle d'Anjou.

serment (comme dit est ailleurs) que le Roy fit de la restitution desdites places, fut à Florence, sur le grand autel, en la grande eglise de Sainct-Jehan. Le second fut en Ast, quand il fut retourné, et presterent les Florentins trente mille ducats comptant audit seigneur (qui en avoit bien grand besoin) par condition que si Pise se rendoit, le Roy ne payeroit rien de ladite somme, et seroient rendus les gages et bagues qu'on leur bailloit, et si devoient prester audit seigneur encores soixante mille ducats, et les faire payer comptant au royaume de Naples, à ceux qui encores estoient là pour le Roy, et tenir audit royaume trois cens hommes-d'armes continuellement, à leurs despens, au service dudit seigneur, jusques à la fin de l'entreprise, et pour cette mauvaistié dite, rien ne se fit de ces choses, et fallut rendre lesdits trente mille ducats, que ces Florentins avoient prestez, et avint tout ce dommage par faute d'obeïssance, et par rapports en l'oreille car aucuns des plus prés de luy donnerent cœur audit Entragues d'ainsi le faire.

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En ce mesme temps, deux mois plus ou moins, au commencement de cette année 1496, voyans monseigneur de Montpensier et le seigneur Virgile Ursin, messire Camille Vitelly, et autres capitaines françois, que tout estoit ainsi perdu, se mirent aux champs, et prirent quelques petites places, et là leur vint audevant le roy Ferrand, fils du roy Alphonse (qui s'estoit voué de religion, comme avez veu devant) et avec ledit Ferrand estoit le marquis de Mantoüe, frere de la femme dudit Montpensier, et capitaine general des Venitiens, qui trouverent logé ledit Montpensier en une ville, appellée Atelle, lieu trés-avan

tageux (1) pour eux, pour avoir vivres, en un haut, et fortifierent leurs logis, comme ceux qui craignoient la bataille: car ledit roy Ferrand, et ses gens, avoient tousjours esté battus en tous lieux, et ledit marquis, en venant à Fornoüe, où nous avions combattu: et l'avoient les Venitiens presté au roy Ferrand : auquel ils presterent aussi quelque somme d'argent, qui valoit peu, pour les gages qu'ils en prirent : car ils en eurent six places en la Poüille, de grande importance (comme Brandis, Trani, Galipoli, Carna, Otrante et Monopoli, qu'ils avoient prises sur nous) et compterent le service de leurs gensd'armes, qu'ils avoient audit royaume; et tant qu'ils tiennent lesdites places pour deux cens mille ducats, et puis veulent compter la despense de les garder, et croy que leur intention n'est point de les rendre : car ils ne l'ont point de coustume, quand elles leur sont bienseantes, comme sont celles-cy, qui sont du costé de leur goufre de Venise ; et par ce moyen sont vrays seigneurs du goufre, (qui est une chose qu'ils desirent bien) et me semble que dudit Otrante (qui est le bout du goufre) y a neuf cens milles jusques à Venise. Le Pape y a eu autres places entre deux mais il faut que tout paye gabelle à Venise, si on veut naviguer par ledit goufre. Or est-ce grand chose à eux d'avoir acquis ces places, et plus que beaucoup de gens n'entendent car ils en tirent grands bleds et huiles, qui leur sont deux choses bien seantes, et necessaires.

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Audit lieu dont je parle, survint question entre les

(1) Très-avantageux : il y a désavantageux dans quelques anciennes éditions.

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