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fois, et fus deux jours, sans manger que pain, bien meschant, et si j'estois de ceux qui avoient moins de necessité. D'une chose faut louer cette armée, c'est que jamais je n'oüy homme soy plaindre de necessité qu'il cut, et si ce fut le plus penible voyage que je vis onques jamais en ma vie, et si en ay veu, avec le duc Charles de Bourgogne, de bien aspres. Nous n'allions point plus fort que ces grosses pieces d'artillerie: où souvent y avoit à besogner à leurs affaires, et grande faute de chevaux mais à toute heure qu'il en estoit besoin, s'en recouvroit en l'ost, par les gens-de-bien, qui volontiers les bailloient, et ne se perdit pas une seule piece, ny une livre de poudre, et croy que jamais homme ne vit passer artillerie de telle grosseur, ny à telle diligence, par les lieux où passa cette-cy. Et si j'ay parlé du desordre, qui estoit tant à nostre logis qu'aux autres choses, ce ne fut pas par faute qu'il y eut des gens bien experimentez en l'ost: mais le sort voulut que ceux-là avoient le moins de credit. Le Roy estoit jeune et volontaire, comme ailleurs ay dit; et pour conclure l'article, semble que nostre Seigneur Jesus-Christ ait voulu que toute la gloire du voyage ait esté attribuée à luy.

Le septieme jour, depuis le partement du lieu où avoit esté la bataille, partimes de Nice-de-la-paille, et logeasmes en camp tous ensemble, assez prés d'Alexandrie, et fut fait gros guet la nuict; et du matin devant le jour partismes, et allasmes en Ast: c'est à sçavoir la personne du Roy, et les gens de sa maison (les gens-d'armes demeurerent prés de là en camp) et trouvasmes la ville d'Ast bien garnie de tous vivres, qui firent grand bien et secours à toute la compagnie,

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qui en avoit bon besoin parce que ladite armée avoit enduré grande faim et soif, grand travail et chaleur, et trés-grande faute de dormir, et les habillemens tous gastez et rompus. Sitost que le Roy fut arrivé en Ast, et sur l'heure, avant que dormir, j'envoiay un gentilhomme nommé Philippe de la Couldre ( qui autrefois m'avoit servy, et qui pour lors estoit au duc d'Orleans) à Novarre là où il estoit assiegé de ses ennemis: comme avez pu entendre. Le siege n'estoit pas encore si contraint, qu'on ne pût aller et saillir dehors; parce qu'ils ne taschoient sinon de l'affamer. Je luy manday par ledit gentilhomme, que plusieurs traictez se menoient avec le duc de Milan, de par le Roy nostre sire (dont j'en menois un par la main du duc de Ferrare) et que pour cette cause me sembloit qu'il s'en devoit venir devers le Roy, en asseurant bien ceux, qu'il laisseroit dedans, de brief y retourner, ou les venir secourir. Lesquels estoient le nombre de sept mille cinq cens hommes de solde, de la plus belle compagnie qu'on sçauroit dire, touchant le nombre, tant François que Suisses. Aprés que le Roy eut sejourné un jour audit Ast, il fut adverty, tant par le duc d'Orleans que par autres, comment les deux osts s'estoient assemblez devant Novarre: et desiroit ledit duc d'Orleans estre secouru : parce que ses vivres appetissoient là où il avoit donné mauvais ordre au commencement : car il y en avoit assez aux villes d'alentour, et par especial bleds, et si la provision eust esté faicte de bonne heure et bien pourmenée, jamais n'eussent rendu la ville: mais en fussent saillis à leur honneur, et les ennemis à grande honte, s'ils eussent pû tenir encore un mois.

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CHAPITRE XV.

Comment le Roy fit dresser une armée de mer pour cuider secourir les chasteaux de Naples, et comment ils n'en purent estre secourus.

APRÉS que le Roy eut sejourné quelque peu de jours audit Ast, il s'en alla à Thurin : et au departir que ledit seigneur fit d'Ast, il depescha un maistred'hostel, nommé Peron de Basche, pour faire une armée de mer, pour aller secourir les chasteaux de Naples, qui encores tenoient. Ce qu'il fit, et mit sus ladite armée monseigneur d'Arban, chef et lieutenant d'icelle armée, et alla jusques vers la cité de Pruce, où il fut à la veuë des ennemis: là où une fortune de temps le garda d'approcher : et fit cette armée peu de fruict; pource que ledit Arban tourna à Ligorne, là où la pluspart de ses gens s'enfuirent en terre, et laisserent les navires vuides, et l'armée des ennemis s'en vint au port de Bengon, prés Plombin, là où elle fut bien deux mois sans partir et les gens de nostre armée fussent allez legerement secourir lesdits chasteaux parce que le port de Bengon est de nature que l'on n'en peut saillir que d'un vent, lequel regne peu souvent en hyver. Ledit d'Arban estoit vaillant homme, et experimenté en armée de mer.

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En ce mesme temps, le Roy estant arrivé à Thurin, se menoient plusieurs traitez entre le Roy et le duc de Milan, et s'en empeschoit la duchesse de Savoye,

qui estoit fille de Montferrat, veuve, et mere d'un petit duc, qui estoit lors: mais par autres s'en traitoient encores. Je m'en meslois aussi, et le desiroient bien ceux de la ligue, (c'est à sçavoir les chefs, qui estoient au camp devant Novarre) que je m'en meslasse : et m'envoyerent un sauf-conduit: mais (comme les envies sont entre gens de Cour) le cardinal, que tant ay nommé, rompit que je ne m'en meslasse point, et vouloit que la pratique de madame de Savoye sortist son effect, que conduisoit son hoste le tresorier de Savoye (1), homme sage, et bon serviteur pour sa maistresse. Long-temps traisna cette matiere, et pour cette cause fut envoyé le baillif de Dijon aux Suisses, ambassadeur, pour en lever jusques à cinq mille.

Peu avant j'ay parlé comme l'armée de mer fut faite à Nice, pour secourir les chasteaux de Naples. Ce qui ne se pût faire, pour les raisons dessusdites. Incontinent monseigneur de Montpensier, et autres gens de bien, qui estoient dedans lesdits chasteaux, voyant ledit inconvenient, prirent party, et saillirent dehors, par le moyen de l'armée de ceux qui estoient demeurez, pour le roy Charles, en diverses places du royaume: laquelle armée pour lors estoit prés desdits chasteaux, et les laisserent fournis en nombre suffisant, pour les garder, selon les vivres, qui y estoient si estroits que plus ne pouvoit, et partirent avec deux mille cinq cens hommes, et laisserent pour chef, Ognas, et deux autres gens de bien, et s'en alla ledit seigneur de Montpensier, le prince de Salerne, le seneschal de Beaucaire, et autres qui là estoient, à Salerne et voulut dire le roy Ferrand, qu'ils avoient

(1) Le tresorier de Savoye : Antoine de Bessey, baron de Trichastel.

rompu l'appointement, et qu'il pouvoit faire mourir les ostages, qu'ils avoient baillez peu de jours avant : qui estoient le seigneur d'Alegre (1), un appellé de la Marche-d'Ardaine, et le seigneur de la Chapelle d'Anjou, un appellé Roquebertin Catelan, et un appellé Genly. Et faut entendre qu'environ trois mois auparavant, ledit roy Ferrand estoit entré dedans Naples par intelligence, et par le mauvais ordre des nostres; qui estoient bien informez de tout, et n'y sceurent mettre remede. Je parlerois bien plus avant de ce propos, mais je n'en puis parler que pour l'avoir oüy dire aux principaux: et ne tiens point volontiers long propos des choses où je n'ay point esté present. Mais estant ledit roy Ferrand dedans la ville de Naples, nouvelles y vinrent que le Roy estoit mort à la bataille de Fornoüe: et fut certifié à nos gens, qui estoient au chasteau, par les lettres et mensonges que mandoit le duc de Milan, qu'ainsi estoit, et adjousterent foy, et si firent les Colonnois, qui se tournerent incontinent contre nous; avec le bon vouloir qu'ils avoient d'estre tousjours des plus forts, encores qu'ils fussent bien tenus au Roy, comme il est dit ailleurs; et pour cesdits mensonges, et principalement pource que nos gens se voyoient restraincts, en grand nombre, dedans le chasteau, et peu de vivres, et avoient perdu tous leurs chevaux et autres biens, qu'ils avoient dedans la ville, composerent le sixieme octobre, 1495 (et avoient ja esté environnez trois mois et quatorze jours, et environ vingt jours aprés partirent, comme dit est) et promirent que s'ils n'estoient secourus dedans certain nombre de jours, qu'ils s'en iroient en (1) Yves, baron d'Alègre en Auvergne,

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