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conte deux mille pour la sequelle et serviteurs des gens de bien de l'ost, je ne conte point les pages ne valets de sommiers, ne telles gens.

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CHAPITRE X.

Disposition des deux armées pour la journée de Fornoüe.

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Le lundy matin, environ sept heures, sixieme jour de juillet, l'an 1495, monta le noble Roy à cheval : et me fit appeller par plusieurs fois. Je vins à luy, et le trouvay armé de toutes pieces, et monté sur le plus beau cheval que j'aye veu de mon temps, appellé Savoye plusieurs disoient qu'il estoit cheval de Bresse, le duc Charles de Savoye le luy avoit donné: et estoit noir, et n'avoit qu'un œil et estoit moyen cheval, de bonne grandeur pour celuy qui estoit monté dessus. Et sembloit que ce jeune homme fut tout autre que sa nature ne portoit, ne sa taille, ne sa complexion : car il estoit fort craintif à parler, et est encores aujourd'huy. Aussi avoit-il esté nourry en grande crainte, et avec petites personnes : et ce cheval le monstroit grand: et avoit le visage bon, et de bonne couleur, et la parole audacieuse et sembloit bien (et m'en souvient) que frere Hieronyme m'avoit dit vray, quand il me dit que Dieu le conduisoit par la main, et qu'il auroit bien affaire au chemin, mais que l'honneur luy en demeureroit. Et me dit le Roy, que si ces gens vouloient parlementer, que je parlasse: et parce que le cardinal estoit present, le nomma, et

le mareschal de Gié: qui estoit mal paisible: et estoit cause d'un differend, qui avoit esté entre le comte de Narbonne, et de Guise, qui quelquefois avoit mené des bandes et chacun disoit qu'à luy appartenoit de mener l'avant-garde. Je luy dis : Sire, je le feray volontiers: mais je ne vis jamais deux si grosses compagnies, si prés l'une de l'autre, qui se departissent sans combattre.

Toute l'armée saillit en cette greve, et en bataille, et prés l'un de l'autre, comme le jour de devant : mais à voir la puissance, me sembloit trop petite, auprés de celle que j'avois veuë à Charles de Bourgogne, et au Roy son pere: et sur ladite greve nous tirasmes à part ledit cardinal et moy, et nommasmes une lettre aux deux provediteurs dessusdits, qu'escrivoit monseigneur Robertet, un secretaire que le Roy y avoit, de qui il se fioit, disant le cardinal qu'à son office et estat appartenoit de procurer paix, et à moy aussi, comme celuy qui de nouveau venois de Venise ambassadeur; et que je pouvois encore estre mediateur : leur signifiant, le Roy ne vouloit que passer son chemin, et qu'il ne vouloit faire dommage à nul: et parce, s'ils vouloient venir à parlementer, comme il avoit esté entrepris le jour de devant, que nous estions contens, et nous employerions en tout bien. Ja estoient escarmouches de tous costez: et comme nous tirions pas à pas nostre chemin, à passer devant eux la riviere entre deux, comme j'ay dit, y pouvoit avoir un quart de lieuë de nous à eux, qui tous estoient en ordre en leur ost: car c'est leur coustume qu'ils font tousjours leur camp si grand, que tous y peuvent estre en bataille et en ordre.

Ils envoyerent une partie de leurs estradiots, et arbalestriers à cheval, et aucuns hommes-d'armes, qui vinrent du long du chemin, assez couverts, entrerent au village, dont nous partions, et là passerent cette petite riviere, pour venir assaillir nostre charriage, qui estoit assez grand : et crois qu'il passoit six mille sommiers, que mulets, que chevaux, que asnes, et avoient ordonné leur bataille si trés-bien que mieux on ne sçauroit dire, et plusieurs jours devant, et en façon qu'ils se fioient à leur grand nombre. Ils assailloient le Roy, et son armée, tout à l'environ, et en maniere qu'un seul homme n'en eut sceu eschapper, si nous eussions esté rompus: veu le pays où nous estions: car ceux que j'ay nommez, vinrent sur nostre bagage; à costé gauche vint le marquis de Mantoue, et son oncle le seigneur Rodolphe, le comte Bernardin de Valmonton, et toute la fleur de leur ost, en nombre de six cens hommes-d'armes, comme ils me conterent depuis et vinrent se jetter en la greve, droict à nostre queuë : tous les hommes-d'armes, bardez, bien empanachez, belles bourdonnasses, bien accompagnez d'arbalestriers à cheval, et d'estradiots, et de gens de pied. Vis-à-vis du mareschal de Gié, et de nostre avant-garde, se vint mettre le comte de Cajazze, avec environ quatre cens hommes-d'armes, accompagnez comme dessus, et grand nombre de gens-de-pied. Avec luy estoit une autre compagnie de quelques deux cens hommes-d'armes, que conduisoit le fils de messire Jehan de Bentivoille de Boulogne, hommes jeunes, qui n'avoient jamais rien veu (et avoient aussi bon besoin de chefs que nous) et cestuy-là devoit donner sur l'avant-garde, aprés ledit

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comte de Cajazze : et semblablement y avoit une pareille compagnie aprés le marquis de Mantoüe (et pour semblable occasion) que menoit un appellé messire Antoine d'Urbin, bastard du feu duc d'Urbin, et en leur ost demeurerent deux grosses compagnies. Cecy j'ay sceu par eux-mesmes: car dés le lendemain, ils m'en parlerent, et le vis à l'œil et ne voulurent point les Venitiens estrader tout à un coup, ne degarnir leur ost; toutesfois il leur eut mieux valu mettre tout aux champs, puis qu'ils commençoient.

Je laisse un peu ce propos pour dire que devint nostre lettre, qu'avions envoyée le cardinal et moy par un trompette. Elle fut receuë par les provediteurs: et comme ils l'eurent leuë, commença à tirer le premier coup de canon de nostre artillerie, qui encores n'avoit tiré : et incontinent tira la leur qui n'estoit point si bonne. Lesdits provediteurs renvoyerent incontinent nostre trompette, et le marquis une des siennes, et manderent qu'ils estoient contens de parlementer, mais qu'on fit cesser l'artillerie, et aussi qu'ils feroient cesser la leur. J'estois pour lors loin du Roy, qui alloit et venoit et renvoya les deux trompettes, dire qu'il feroit tout cesser et manda au maistre de l'artillerie ne tirer plus, et tout cessa des deux costez un peu et puis soudainement eux tirerent un coup, et la nostre recommença plus que devant, en approchant trois pieces d'artillerie, et quand nos deux trompettes leur arriverent, ils prirent la nostre, et l'envoyerent en la tente du marquis et delibererent de combattre. Et dit le comte de Cajazze (ce me dirent les presens) qu'il n'estoit point temps de parler, et que ja estions demy vain

cus et l'un des provediteurs s'y accorda (qui le m'a conté) et l'autre non et le marquis s'y accorda : et son oncle, qui estoit bon et sage, y contredit de toute sa puissance (lequel nous aimoit, et à regret estoit contre nous) et à la fin tout s'accorda.

CHAPITRE XI.

Pourparlers tentés inutilement, et commencement de la bataille de Fornoüe.

OR faut entendre que le Roy avoit mis tout son effort en son avant garde, où pouvoit avoir trois cens cinquante hommes-d'armes : et trois mille Suisses (qui estoit l'esperance de l'ost) et fit le Roy mettre à pied, avec eux trois cens archers de sa garde (qui luy fut grande perte) et aucuns arbalestriers à cheval, des deux cens qu'il avoit de sa garde; d'autres gens-depied y avoit peu, mais ce qui y estoit, y fut mis: et y estoit à pied, avec les Allemans, Engilbert, monseigneur de Cleves, frere au duc de Cleves (1), Lornay, et le baillif de Dijon (2), chef des Allemans, et devant eux l'artillerie. Icy faisoient bien besoin ceux qu'on avoit laissez aux terres des Florentins, et envoyez à Genes, contre l'opinion de tous. Cette avant-garde avoit ja marché aussi avant que leur ost: et cuidoiton qu'ils deussent commencer : et nos deux autres batailles n'estoient point si prés, ne si bien pour s'aider, comme ils estoient le jour devant. Et parce que le

(1) Duc de Cleves: il étoit grand écuyer de la Reine.

(2) Le baillif de Dijon: Antoine de Bessey. Foyez liv. 7, ch. 5 et 13.

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