Imágenes de página
PDF
ePub

ÉLOGE

DE RENÉ

DESCARTES

LORSQU

ORSQUE les cendres de DESCARTES né en France & mort en Suède, furent rapportées, feize ans après fa mort, de Stokolm à Paris; lorfque tous les fçavans raffemblés dans un temple, rendoient à fa dépouille des honneurs qu'il n'obtint jamais pendant fa vie ; & qu'un Crateur fe préparoit à louer devant cette affemblée le grand Homme qu'elle regrettoit, tout-à-coup il vint un ordre qui défendit de prononcer cet éloge funèbre. Sans doute on penfoit alors que les Grands feuls ont droit aux Eloges publics; & l'on craignit de

donner à la nation l'exemple dangereux d'honorer un homme qui n'avoit eu que le mérite & la diftin&ion du génie. Je viens après cent ans prononcer cet éloge. Puiffe-t-il être digne & de celui à qui il eft offert, & des fages qui vont l'entendre! Peut-être au fiècle de DESCARTES on étoit encore trop près de lui pour le bien louer. Le temps feul juge les Philofophes comme les Rois, & les met à leur place. Le temps a détruit les opinions de DESCARTES: mais fa gloire fubfifte. Il eft femblable à ces Rois détrônés qui, fur les ruines même de leur Empire, paroiffent nés pour commander aux hommes. Tant que la philofophie & la vérité feront quelque chofe sur la terre, on honorera celui qui a jetté les fondemens de nos connoiffances, & recréé,pour ainfi-dire,l'entendement humain. On louera DESCARTES par admiration, par reconnoiffance, par intérêt même ; car fi la vérité est un

bien, il faut encourager ceux qui la cherchent.

Ce feroit aux pieds de la statue de Newton qu'il faudroit prononcer l'éloge de DESCARTES; ou plutôt ce feroit à Newton à louer DESCARTES. Qui mieux que lui feroit capable de mefurer la carrière parcourue avant lui? Auffi fimple qu'il étoit grand, Newton nous découvriroit toutes les penfées que les penfées de DES CARDESCARTES lui ont fait naître. Il y a des vérités ftériles, & pour ainfi dire mortes, qui n'avancent de rien dans l'étude de la nature: il y a des erreurs de grands Hommes, qui deviennent fécondes en vérités. Après DESCARTES, on a été plus loin que lui; mais DESCARTES a frayé la route. Louons Magellan d'avoir fait le tour du globe; mais rendons juftice à Colomb, qui le premier a foupçonné, a cherché, a trouvé un nouveau monde.

Tout dans cet ouvrage fera confa

cré à la philofophie & à la vertu. Peut-être y a-t-il des hommes dans ma nation, qui ne me pardonneroient point l'éloge d'un Philofophe vivant; mais DESCARTES eft mort, & depuis cent quinze ans il n'eft plus; je ne crains ni de bleffer l'orgueil, ni d'irriter l'envie.

Pour juger DESCARTES, pour voir ce que l'efprit d'un feul homme a ajouté à l'efprit humain, il faut voir le point d'où il eft parti. Je peindrai donc l'état de la philofophie & des fciences au moment où naquit ce grand Homme. Je ferai voir comment la nature le forma, & comment elle prépara cette révolution qui a eu tant d'influence. Enfuite je ferai l'hiftoire de fes penfées. Ses erreurs même auront je ne fçais quoi de grand. On verra l'efprit humain frappé d'une lumière nouvelle, fe réveiller, s'agiter & marcher fur fes pas. Le mouvement philofophique fe communiquera d'un bout de l'Europe à l'autre. Cependant

« AnteriorContinuar »